C’est très faiblement que les lampes éclairent la rue où marche cet homme, et c’est tout aussi faiblement qu’il tête sa cigarette en pleurant.
Qui sait d’où il vient ? Qui osera dire où il va ? Lui le sait très bien. Il pourrait être vêtu d’un long imperméable et d’un chapeau mou ; à cet heure-ci je le vois comme un détective privé à l’américaine mais marchant dans une rue à la périphérie de Nancy.
Il ne sera finalement pas habillé en détective ; — il sera tout simplement habillé comme bon vous semble. Alors voilà, il déambule, il doit avoir vingt-cinq ans, et il écoute de la musique.
Je pense qu’il écoute Radiohead, Like Spinning Plates en live et Where I End And You Begin (I will eat you alive / There will be no more lies).
Il pleut mais il y a du soleil — en fait les lampes sont inutiles et s’éteignent — ; et ses rayons lèchent son visage à travers les feuilles des arbres. Il sait que lorsque ses yeux sont éclairés leur clarté apparaît plus franche, et leur beauté plus puissante — c’est dans ces moments qu’il regarde les femmes dans les yeux.
Radiohead transforme le monde. A l’approche de Noël certaines maisons arborent des guirlandes clignotantes, mais le rythme de Street Spirit les fait clignoter tristement, suspend leur joie et laisse imaginer un intérieur sinistre dans la maison : un homme et son fils, quarante ans pour l’un, douze pour l’autre ; suite à son divorce il en a la garde un jour par semaine, et la veille du réveillon il tenait à l’avoir à ses côtés parce que le soir de Noël il ne sera chez personne, à peine chez lui, morose et sans cadeau, seul face à l’écran de sa télévision. Il ne parle pas à son fils — après tout qu’a-t-il à lui dire ? Il n’a jamais su être proche de son fils ; c’est précisément la raison pour laquelle a femme est partie. Il sait qu’il a fait des erreurs et porte la responsabilité de la chute de son couple ; et petit à petit il tombe dans l’alcoolisme, sans bien s’en rendre compte. Mais devant sa maison il a installé une guirlande clignotante ; des lumières bleues, jaunes, rouges et verts serpentent autour de l’arbre dénudé dans le petit jardin qui fait face à la rue, et Street Spirit rythme la vie de cette guirlande, comme les pas de celui qui l’écoute.
L’homme est maintenant au centre-ville, peut-être un samedi après-midi ; en tout cas il y a foule et lui, il a toujours des écouteurs dans ses oreilles, et une cigarette entre les lèvres. Je crois qu’il écoute le Velvet Underground, Heroin et I’m Beginning To See The Light.
Il y a du soleil mais il pleut ; tout de même les gens sont habillés légèrement ; même l’homme se contente d’une chemise et d’une veste de velours.
Le Velvet Underground transforme le monde. A l’écoute de Rock ‘n’ Roll le type lève la tête et regarde les passants, et Lou Reed hurlant à tue tête It was alright donne l’impression que tout le monde, peut-être, est heureux et marche légèrement, presque en dansant. Même les regards les plus tristes ou, plus tristes encore, les regards les plus vides, semblent emplis d’espoir et de bonheur. Au fond des yeux d’un homme notre homme voit un quadragénaire un peu alcoolo qui décore soigneusement sa maison pour Noël, pour quand son fils viendra et qu’il se fera une joie, comme à chaque fois, de le retrouver et de le gâter ; et au son de Rock ‘n’ Roll les lumières de la guirlande dans le petit jardin qui fait face à la route exécutent une parade nuptiale et valsent dans un rythme effréné. Notre type lui-même a envie de danser, de sautiller et de crier — mais c’est interdit. Alors il serre les poings, sourit et lève les yeux vers le ciel ; — et à ce moment il croit discerner, plus ou moins clairement, une présence divine.
Dieu existe parce que le Velvet Underground et Radiohead existent.
Et réciproquement.

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posted the 03/26/2007 at 11:41 PM by
franz