« La PS3 perd ses exclus, ça y est c’est foutu pour elle (et c’est tant mieux). »

C’est en substance le discours à la mode du moment sur beaucoup de sites de jeu vidéo, et la quintessence de ce discours vient d’être atteinte avec l’annonce de DMC 4 sur Xbox 360 (excluons immédiatement l’annonce de la version PC, puisqu’en l’occurrence c’est bien la guerre des consoles, et l’aspect fondamental qu’elle revêt aux yeux de certains, qui est au centre des débats).

Sans s’attarder sur la jovialité qui ne prend même pas la peine de se dissimuler derrière tous les discours pessimistes sur l’avenir de la PS3 (oh, elle va se planter, bien fait) ; sans s’attarder non plus sur ceux qui tiennent ces discours, et qui pour beaucoup n’ont nulle raison de le faire, étant des Nintendorks patentés dont le seul objectif de vie est de déceler les faiblesses de Sony l’Empire Maléfique (la preuve en est que les termes dans lesquelles s’expriment majoritairement les possesseurs de Xbox 360 à cette annonce sont « je suis content, je vais pouvoir en profiter », avant d’être « bien fait pour $ony ») ; peut-être faut-il s’interroger sur le phénomène dont DMC 4 est symptomatique.

Posons-nous la question des termes. DMC 4 sur Xbox 360, c’est une perte d’exclusivité ou une multiplateformisation ? Au regard du comportement de Capcom, on pencherait plutôt pour la seconde option, tant l’éditeur se montre peu enclin à maintenir les exclusivités qu’il annonce. Il n’y a par conséquent pas de quoi s’étonner que ce jeu se voie annoncé sur une plateforme qui marche et qui s’est bien installée.

Il n’y a pas non plus la moindre raison de voir ceci comme un soi-disant coup dur pour Sony ; DMC a du faire vendre autant de PS2 que Ninja Gaiden des Xbox, et il n’est en rien un killer-app, un jeu qui fait vendre.

Mais surtout, ce phénomène de pertes d’exclusivités n’a rien d’inquiétant pour l’avenir de la PS3. Au contraire, c’est la qualité de sa ludothèque future qui se joue ici ; et la qualité de cette ludothèque ne reposera justement pas sur des licences connues. Il me semble normal que la PS3 se défasse des exclusivités qui ont fait la PS2 ; et pour moi ceci est bel et bien porteur d'espoir : le fait que bien des jeux appelés à être des exclus PS3 se multiplateformisent aura certainement pour effet de créer un mouvement de création parmi les studios internes de Sony, avec à la clef l'apparition de nouvelles licences fortes.

Vous qui vouliez de l'innovation, vous qui réclamiez à corps et à cri des nouvelles licences — tout en jubilant de voir celle de DMC, vieille de 7 ans, s’étendre à un autre support —, je pense qu'elles viendront finalement de là où vous les attendiez le moins, motivées par la nécessité de créer des jeux nouveaux pour promouvoir la PS3. Little Big Planet est le prémice de ce mouvement.

Si l’on remonte en arrière, déjà la PS2 avait connu ce phénomène lors du passage de flambeau avec la PSone. A l’époque c’était Crash Bandicoot qui la faisait cocue (pour être remplacé par Jak & Daxter), mais aussi Medal of Honor ; et puis plus tard, lorsque la Xbox et la GC sont arrivées, c’était Silent Hill 2, Metal Gear Solid 2, Onimusha, mais c’était aussi GTA 3 et Vice City, et dans une certaine mesure c’était FF aussi (avec Cristal Chronicles), et puis encore plus tard PES. L’histoire de la PS2 est marquée par la perte régulière de soi-disant exclusivités ; et pourtant jamais ces pertes n’ont su atteindre cette console et son prestige.

C’est précisément pour cette raison que DMC 4 n’est pas une grosse perte, que Virtua Fighter 5 n’en est pas une non plus, pas plus que Silent Hill n’en serait une. Mais surtout, plus important que tout, on tend à oublier qu’avant tout ce sont des gains pour les joueurs, pour les possesseurs de Xbox 360, et non pas des pertes pour les joueurs PS3 qui en profiteront de toute manière. La PS3, finalement, ne gagne ni ne perd rien dans l’affaire.

En remontant plus loin, on peut faire une analogie entre la situation actuelle de la PS3 et celle de la Nintendo 64 en 1997, il y a 10 ans : certes Sony ne perdra pas la saga-tronc des FF comme Nintendo à l’époque (en clair FF XIII reste sur PS3 jusqu’à nouvel ordre, et ne la quittera pas même s’il sort ailleurs, tandis que FF VII quittait définitivement la Nintendo 64), mais il se dessine clairement, pour le futur, que le succès de la PS3 demandera des efforts : indubitablement, elle ne pourra pas se vendre autant que la PS2, parce que la partie débute avec une remise à zéro des compteurs ; mais pour autant elle ne sera pas inévitablement un échec (ou bien ceux qui prédisent l’échec de la PS3 au sens où elle se vendra moins que la PS2 doivent reconnaître l’échec consécutif de la N64 et de la GC). Elle sera même, tout comme la N64, une réussite en terme de qualité de l’offre — et la qualité de l’offre, n’est-ce pas ce que réclame un gamer, avant la quantité de jeux proposés, et avant de se préoccuper du nombre de consoles vendues ?

(Il y en a d’ailleurs, je les ai vus, qui savent que l’échec commercial annoncé de la PS3 sera révélateur de la piètre qualité de sa ludothèque, tandis que le succès de la Wii sera symbolique de la révolution qu’elle incarne. Il y en avait d’autres, il y a 5 ans, mais en fait c’étaient juste les mêmes avec une vision différente, qui pensaient que le succès de la PS2 montrait bien que sa ludothèque était nulle et que les mauvaises ventes de la GC prouvaient que c’était une console de gamers. Le grand public aurait-il bon goût, maintenant qu’il choisit Nintendo ? Et les moutons de Sony sont-ils si nombreux, eux qui laissent la PS3 traîner sur les étals des magasins pour s’arracher des Wii ? La mémoire du joueur est parfois bien courte.)

Se dessine, me semble-t-il, pour Sony et pour la PS3, un avenir à la Nintendo 64 : passée une certaine arrogance (« si vous ne voulez pas pleurer à Noël, ne demandez pas une 32 bits », hein ? ) on remet les choses en place, on descend du piédestal, et pour cette raison on n’a guère d’autre choix que de créer, que d’être original, que d’inventer. Je l’ai dit, Little Big Planet entame ce mouvement ; et à coup sûr les teams de Fumito Ueda (Ico et Shadow of the Colossus), de LocoRoco, de Cambridge (MediEvil), de Liverpool (WipEout) ou de Polyphony Digital feront preuve, pour la PS3, d’une inventivité impressionnante ; elles y seront obligées parce que la logique des choses veut que ce qui a eu du succès sur PS2 et qui venait des éditeurs tiers tente d’en avoir ailleurs que sur PS3, et elles en auront la possibilité parce que la PS3 leur ouvrira, par sa puissance, bien des champs.

Peut-être bien que la PS3 nous réserve des claques à la Ocarina of Time ; et peut-être bien que certains fanatiques de Nintendo devraient regarder un peu en arrière pour constater qu’à une certaine époque leur entreprise favorite, aujourd’hui pleine de succès, a du faire face à des difficultés similaires à celles de Sony aujourd’hui, — et qu’elles les a surmontées par la création de jeux d’exception. La PS3 a toutes les chances d'être un succès, et par succès je n'entends pas en terme de ventes, mais en terme de ludothèque - car la victoire du joueur ne réside pas dans les chiffres de vente de ses consoles mais dans le bonheur qu'il tire de leurs jeux.

La PS3 pourrait être, pour les six années qui viennent, l’affirmation définitive de Sony en tant qu’éditeur de jeux de qualité ; et elle pourrait également être la console de ceux qui se veulent gamers. Etonnant, non ?

Mais tout cela ne change rien au fait que tant va la cruche à l'eau, qu'en la fin elle se brise.