J’ai décidé de mettre fin à mes jours ;
Mes nuits sont tellement plus chouettes.
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on ne reste en tout cas pas indifférent.
C’est le truc que j’ai souvent l’occasion de lire, bien souvent dans les magazines mais aussi sur les blogs ou dans tout espace où l’on donne son avis. C’est un peu le poncif récurrent quand on veut défendre un truc que plein de gens n’aiment pas, sans pour autant dire clairement que c’est un machin génial.
C’est un peu dans la veine du bah, de toute façon, les goûts et les couleurs ça se discute pas : en gros, voyant que le film (je prends un film comme exemple, mais ça peut tout aussi bien être un jeu vidéo, un livre, un album, ma grand-mère, etc) que l’on veut défendre suscite surtout des critiques négatives, on tranche en balançant ce sempiternel en tout cas ça ne laisse pas indifférent.
Ce qu’il y a de pervers avec ce lieu commun, c’est que derrière ça ne laisse pas indifférent, il nous murmure, doucement mais avec beaucoup de réussite, et ça c’est une grande qualité. Donc l’ensemble de la production est morne, et pour une fois qu’un machin sort et qu’il fait débat, ben au moins il est bien pour ça hein. C’est comment vendre quelque chose en reconnaissant que le bidule en question peut être détestable. D’ailleurs même les boîtes de DVD ou les quatrièmes de couvertures de livres s’y mettent, parfois ; — pour un film décapité par la critique, hop, on dit au spectateur potentiel dans tous les cas tu ne resteras pas indifférent, et comme ça on est sûr qu’il finira par le regarder, le navet.
Personnellement, le racisme ne me laisse pas indifférent, mais je ne prends pas ça pour une qualité. Et pourtant ça semble plutôt être original, d’être raciste aujourd’hui, non ? (Quoiqu’en fait je doute que ce soit très original — ce qui est original c’est de reconnaître qu’on est raciste).
Au fait, et je ne sais pas pourquoi j’introduis ce paragraphe par ces deux mots dans la mesure où ce qui suit n’a presque aucun rapport avec ce qui précède — hormis peut-être l’aspect biliaire de ce qui sera raconté, et qui relèvera une nouvelle fois d’un cri d’énervement du tenancier de cette page à l’égard d’injustices sociales qui ne sont vécues que par lui, tout paranoïaque qu’il est et tout monomaniaque qu’il incarne à son corps défendant —, ça y est, la publicité a entamé le travail de destruction de l’image du fumeur.
Je ne sais pas si vous avez vu ce spot de deux mecs au cafés, l’un plutôt beau gosse, grand, musclé, regard mystérieux, l’autre un peu moins, petit, courbé, pas très bien fringué. Le moins beau gosse — évidemment — propose au beau gosse d’aller fumer une clope dehors — partant du postulat qu’il est déjà interdit de fumer dans les cafés —, et le beau gosse refuse gentiment, parce que lui, voyez-vous, il a pris la décision d’arrêter, vu que marre c’est marre. L’autre est un toxico ; infoutu de se retenir il file donc dehors la clope au bec, mais là… oui, évidemment, rien d’autre ne pouvait se produire, une nana canon aborde l’empêcheur de fumer en ronds de fumée, accoudé au zinc. Les deux commencent à causer, et là le grand brun, pas gêné, même fier en fait, sort son paquet de Nicorette et en gobe un bonbon — et ce geste semble faire un effet bœuf sur la fille, vu qu’après ils sortent tous les deux du bar, accolés, tandis que le fumeur, la cigarette dans la bouche, les observe avec envie comme un gamin le nez collé contre la vitrine d’un magasin de jouets. Son malheur ne s’arrête évidemment pas là, et c’est ici que le spot devient ouvertement et gratuitement méchant, puisque par je ne sais quel miracle il trébuche et s’effondre sur une fille attablée à la terrasse, fille dont le copain aux gros bras semble mal tolérer l’intrusion fumesque du larvé cigaretté, lequel, finalement, se fait limite tabasser, pendant que l’ex-fumeur Nicorretté se barre avec sa nana et qu’un paquet de Nicorette apparaît à l’écran.
Le fumeur est donc devenu un pantin ridicule qui, parce qu’il porte une cigarette, ne mérite pas la moindre considération, et fait même l’objet d’un jeu de sadisme réel — d’un acharnement à lui faire subir toutes les merdes du monde sous le simple prétexte qu’il fume.
La publicité étant une composante majeure de ce que le chercheur Jacques Ellul a appelé propagande sociologique, il n’est absolument pas étonnant qu’un tel spot soit diffusé, et que son contenu soit d’une telle violence. On veut s’exorciser de la cigarette, et il apparaît que pour cela il faut se faire violence contre elle et ceux qui l’aiment — parce que ces gens-là, nous disent des chiffres sur lesquels personne ne s’interroge une seconde, tuent aussi ceux qui ne fument pas. Ellul définit la propagande sociologique comme une propagande caractéristique des sociétés démocratiques : c’est une propagande inconsciente, qui n’est menée par personne et ne poursuit aucun but, et qui se particularise par le rôle actif du propagandé (chacun de nous), qui est également propagandiste. La propagande sociologique, c’est l’ensemble des normes qui nous sont imposées inconsciemment, essentiellement part la publicité : par exemple les femmes font le ménage et les courses, la parole des enfants doit être écoutée et entendue plus que celle des adultes, une vraie famille a des tendances aryennes — deux parents heureux, un garçon et une fille —, les vieux ne cherchent qu’à rajeunir, les femmes qu’à mincir, les hommes qu’à s’enrichir, les fumeurs qu’à arrêter. Et en l’occurrence, le spot dont je parle ci-dessus ne fait que suivre l’esprit du moment (marre des fumeurs) tout en le légitimant, tout en le confortant dans sa position.
On se dit souvent critique à l’égard des médias ; ce qui semble certain, c’est qu’on est critique dès lors qu’ils attaquent des idées que l’on défendait au départ (par exemple je suis très critique quand on parle de cigarette), mais que l’on fonce tête baissée dans tout discours dès lors qu’il vient conforter notre point de vue. L’idée selon laquelle les médias nous manipulent est, je pense, très fausse ; en revanche je pense bien que l’on construit son point de vue en fonction d’eux — dans l’opposition ou dans l’approbation —, de la même manière qu’ils construisent leur discours sur la base de ce qu’ils pensent que nous pensons.
(Mes cours sont géniaux. Je les adore.)
Je me souviens, même si je ne l’ai pas vécu, qu’à une époque la cigarette était l’attribut de séduction par excellence, celui sans lequel Bogart ou Mitchum n’auraient peut-être pas été les mythes qu’ils sont. D’ailleurs, continuera-t-on seulement de respecter ceux qui jadis avaient la clope aux lèvres ? Sartre et Malraux se sont en tout cas vus amputés de la leur sur de récents timbres-postes, l’un se retrouvant à faire un V avec son index et son majeur, l’autre avec la bouche à moitié ouverte en coin.
Je terminerai toute cette digression — à moins que ce ne soit le corps réel du billet ? Pour être franc je crois que je m’en branle un peu — par le courrier d’une lectrice de Télérama — et je t’entends pouffer moquamment, sacripant, mais moi j'aime ce magazine, bien qu'il soit également et en tout premier lieu victime du syndrôme ça ne laisse pas indifférent dans beaucoup de ses critiques — paru dans le numéro de cette semaine. Les lecteurs de Télérama disent souvent des choses intelligentes ; en voici un élément de preuve :
Si je fume, je vais finir prématurément et coûter cher à la société (si toutefois le tabac est détaxé), mais si je ne fume pas, je vais vivre très vieille, et non seulement je coûterai cher à la Sécurité sociale, mais encore je toucherai une longue, longue retraite. Alors, comment faire pour mourir prématurément en bonne santé ? Et ne rien coûter à personne ?
(Vous pouvez constater que ce blog continue d’abriter des articles à l’intérêt plus que discutable, encore et toujours révélateurs d’une certaine frustration de leur auteur par rapport à la société (que ses relations sociales doivent être pauvres, murmurez-vous à votre écran, comme sa vie doit être piteuse pour que des choses aussi vulgairement insignifiantes l’insupportent à ce point) ; — et peu importe pour moi que vous aimiez ou détestiez ça, l’essentiel n’est-il pas qu’au moins vous n’y soyez pas indifférent ?)
posted the 02/28/2007 at 10:12 PM by
franz
..mh sinon, avec "fumer tue" en gros sur la boite, je doute que le suicide par cigarette soit complètement involontaire. Je pense qu'il est volontaire sur une loooongue durée.
N'empèche que c'est vrai ça, toute l'energie qu'a mis la pub à nous démontrer que la cigarette c'est cool est maintenant réduite à néant par la nouvelle génération de pub.. ça se trouve dans un siècle, ça redeviendra le summum de la coolitude de fumer.
L'expression à sortir quand les avis divergent sur une oeuvre controversé, je me souviens d'un film qui date déjà de quelques années qui avait crée la polèmique, alors que certains criaient au chef d'oeuvre, d'autres descendaient l'oeuvre critiquant la violence omniprésente( c'était Cannibal Holocaust si je me souviens bien ).
Bref tout ça pour dire que l'expression "Ca ne laisse pas indifférent" était toute appropriée pour ce cas là.
Expression qui empêche tout débat selon moi, vu que le mec qui dit ça sous entend "Toutes façons ca sert à rien d'essayer de te convaincre, t'es trop con, on en reste là"....
La cigarette n'est qu'un moyen pour certains fumeurs ( surtout les plus jeunes je pense ) de se démarquer ( inconsciemment ) du reste de la société et d'affirmer leurs identités en bravant l'interdit ( pensée...).
Cette diabolisation que subit le fumeur va surement s'atténuer et fumer reviendra à la mode ou du moins sera de nouveau acceptable par les non-fumeurs dans quelques années, et le cowboy malboro fera son come-back.
Et moi je veux être comme le cowboy malboro. *_*