(Ne regardez pas, s'il vous plaît, la longueur du billet avant de vous décourager. Commencez tranquillement la lecture ci-dessous, là, et partez si vous vous faites chier.)
Le marché à la mode en ce moment, c’est les médocs pour arrêter de fumer. Considérant que, quoi qu’il fasse, fumer ou tenter d’arrêter, le fumeur est une vache à lait, les laboratoires ont pigé qu’ils pouvaient se faire autant d’argent sur le dos des tabagiques que les fabricants de tabac eux-mêmes. La différence évidemment, c’est que les laboratoires prétexteront toujours que eux, ils le font pour délivrer les fumeurs du mal, amen.
Du coup toutes les télés parlent depuis hier d’un nouveau machin pour arrêter la cigarette, un truc paraît-il révolutionnaire et super efficace qui limite l’envie de fumer. Le truc en question porte un joli nom, Champix — et c’est un nom qui laisse rêveur. Il faut bien évidemment dépasser l’impossibilité d’établir un rapport entre cette nomination et le sevrage tabagique, pour s’interroger sur l’origine du médicament et son fonctionnement. S’agit-il de la dernière invention du comte de Champignac ? Est-il conçu sur la base de champignons hallucinogènes qui font voir au fumeur des cigarettes partout, jusqu’à lui filer la nausée ? C’est difficile à dire.
Pendant que je parle de ça, j’évoque rapidement le décret antitabac, qui ne me semble finalement pas, comme je le pressentais, usurper l’appellation de décret antifumeurs. Oh, on pourra bien évidemment dire que son but est justement d’aider toute la société, fumeurs compris, mais ma chère et tendre pourra témoigner que depuis le 1er février la porte semble ouverte à la culpabilisation outrancière des tabageurs. Si les gens restaient dans l’ensemble respectueux il y a encore deux semaines, je crois qu’on a passé un cap dangereux.
Ainsi, la semaine dernière, mon amoureuse achetait des kebabs dans un restaurant prévu à cet effet, et dans lequel subsiste une partie fumeuse. Un type entre sur ses talons avec une femme, et le voilà-t-y pas qui gueule, limite à la cantonade, ah non ! y a une tablée de tabagiques, je veux pas respirer la fumée des usines !. Bon, déjà, le terme tabagique, ça évoque tout de même un peu trop le terme sidaïque que Le Pen avait employé, — genre n’approchez pas ils sont malades.
A la faculté de droit, où elle poursuit ses études, il était jadis possible de fumer sous un préau (assez étroit certes) désormais libéré de toute fumée. En raison de la pluie, certains de ses camarades et elle-même s’en grillaient une petite à cet endroit-là, quand un type de l’entretien surgit et hurle les fumeurs c’est dans la cour !, menaçant une de nos amies, un peu trop réfractaire, de lui prendre sa carte d’identité. A quant le port de l’étoile et les rafles ?
(Je concède néanmoins que les fumeurs ont parfois un côté comique. Sont considérés comme comiques les fumeurs :
- qui ont moins de seize ans et ne savent pas vraiment ni pourquoi ils fument, ni comment il faut le faire ;
- qui, avec une clope à la main, vous disent en crachant leur fumée dans un toussotement Nan moi je mets pas de sel dans mes pâtes, il paraît que c’est pas bon pour la santé ;
- qui, dans le même genre, gueulent si on touche à un cheveu de leur gosse tout en teckant outrageusement avec lui et en laissant tomber leur main armée d’une clope à hauteur de sa tête ;
- qui prennent la pose en fumant mais finalement grimacent, genre la cigarette au coin de la bouche, tenue entre le pouce et l’index, les autres doigts levés, le front plissé/les sourcils relevés en montagne, et les yeux loucheurs (nul besoin d’accumuler tous ces éléments pour être comique, quelques-uns suffisent à eux seuls) ;
- qui confondent leur tasse de café avec le cendrier ;
- en manque.)
Heureusement, la fac de lettres, où je poursuis mes propres études, semble demeurer une sorte d’oasis enfumé. Si elle n’échappe pas au décret, les gens qui y fument sont trop nombreux pour être ignorés ou maltraités. Cela dit, l’administration met les bouchées triples sur la signalisation : il y a encore deux semaines, on avait juste sur les portes d’accès aux bâtiments un panneau avec une cigarette barrée ; — aujourd’hui on en a un deuxième qui précise qu’on risque une amende forfaitaire de 68 € en contrevenant à la loi, plus une feuille siglée Université Nancy 2 qui précise en toutes lettres Nous vous signalons que vous pénétrez dans un bâtiment non-fumeur, — pour les gens qui n’auraient pas compris les panneaux mais sauraient lire (et vice-versa).
Il y a tout de même un durcissement de la bite et de la considération de certains à l’égard des fumeurs qui me semble net, et qui annonce, très sérieusement, une dérive vers l’intolérance la plus complète. D’ailleurs, pour les gens qui se plaignaient que les fumeurs puent et embaument les lieux où ils vont rien que par l’odeur de tabac qu’ils véhiculent, je me demande quelles seront vos prochaines cibles. Je crains un peu, je l’avoue, pour les gens qui puent naturellement — que ce soit de la gueule ou d’ailleurs —, et pour qui la vie n’est déjà pas toujours facile. Mais c’est vrai qu’ils m’importunent vraiment ; avec cette odeur qu’ils traînent on devrait leur interdire les lieux publics, — à cause d’eux il est devenu impossible d’apprécier un café.
De toute façon il y a plein de choses qui sont tacitement interdites en public. Essayez donc de vomir tranquillement au comptoir, et vous verrez si c’est toléré. On tolère à peine un pet de travers. Plus sérieusement, alarmante est la manière dont on est regardé lorsqu’on rit tout seul, par exemple. C’est interdit de se marrer tout seul, ça donne l’air fou donc dangereux, même quand on est en train de lire un bouquin fendard de Woody Allen. C’est comme parler tout seul, vaut mieux éviter. D’ailleurs, même rire ou parler avec des gens, ça passe parfois mal. Il suffit d’avoir un rire pas facile à gérer ou une voix qui porte un peu trop, et on vous fait vite savoir que vous importunez. Et puis rire ou parler au téléphone, étant donné que c’est à mi-chemin entre faire ça seul et à plusieurs, ça emmerde vraiment les gens. D’ailleurs j’en ai entendu qui, après l’interdiction de fumer, proposaient carrément l’interdiction des portables dans les lieux publics. A priori j’ai tendance à les rejoindre ; de prime abord c’est chiant les gens qui parlent super fort dans leur portable alors que tout le monde s’en fout. Mais il faut bien avouer que si on va dans ce sens-là, la logique serait d’interdire tout simplement de parler à qui que ce soit — car, soyons franc, on s’en branle tout autant de la discussion des deux badauds d’à côté.
D’ailleurs, j’ai lu qu’à New York ils avaient déposé un projet de loi visant à interdire l’utilisation d’objets électroniques dans la rue — mobiles, baladeurs, jeux vidéo etc —, sous prétexte qu’il y a encore un naze qui s’est fait écraser par une bagnole qu’il n’avait pas entendue arriver à cause de son iPod. Là je suis désolé, mais faut pas exagérer. A la limite, si le type écoutait un truc pourri, je tolère qu’on interdise l’écoute de chansons merdiques (se faire écraser pour avoir écouté Shakira un peu trop fort, c’est justement un peu trop fort), mais après faut pas abuser, — il est tout de même évident qu' un iPod ou un mobile ne servent presque plus à rien si on ne peut pas s’en servir dans la rue. Ils proposent même une amende de 77 $, genre ça y est la planète est en danger à cause de ton téléphone. De toute façon c’est même pas logique leur machin ; en allant jusqu’au bout dans leur logique c’est pareil que pour ce que je disais précédemment : on interdit aux gens de parler entre eux dans la rue — d’ailleurs, en y repensant, je constate que je frôle plus souvent le dézinguage pneumatique lorsque je suis dans une discussion avec ma chère et tendre qu’à tout autre moment —, et on leur interdit de lire un livre en marchant.
Tout ça relève évidemment de ce grand processus d’infantilisation de la société, mis en place avec l’accord de l’opinion, qui consiste de la part des gens à exiger des lois pour faire changer leurs propres comportements. Mais c’est à l’état de s’en occuper ! arguent-ils alors qu’ils pourraient tout aussi bien agir eux-mêmes. Alors on attend de ne plus avoir le droit de fumer, de téléphoner, de parler trop fort pour arrêter de le faire, — et pourtant il est évident qu’avec un peu de maturité on comprend soi-même que par respect il vaut mieux faire attention à ce qui peut gêner les autres. Je vais finir par croire que l’éducation et le respect se perdent, avec toutes ces conneries !
Non mais franchement, on ne va quand même pas faire passer un décret obligeant de lacer ses chaussures sous prétexte qu'un clampin s’est cassé la gueule hier à Dunkerque !
Pour le rire en tout cas, c’est vrai que c’est mal géré par les gens. On se croirait revenu au Moyen Age, époque où certains fondamentalistes catholiques proscrivaient le rire, estimant qu’il découlait d’une empathie avec le diable * (astérisque ! ). Reconnaissons-leur néanmoins la logique qui faisait tenir leur réflexion : le monde est parfait parce que conçu par Dieu, et nous rions de ce qui dans le monde ne va pas comme prévu. Et ce qui ne va pas comme prévu, c’est l’œuvre du diable ; — donc en riant de l’œuvre du diable on sympathise avec lui et on se moque des créations de Dieu — CQFD. Et puis le fait que le Christ ne soit jamais montré riant dans la Bible tend à confirmer leurs suppositions.
Pour ma part, je pense que le Christ, comme Dieu — qu’il est par ailleurs —, doit nécessairement être un grand rigolo. L’humour étant une composante, à mes yeux, de la perfection, je ne peux pas croire en un Dieu qui ne se marre pas, et je refuse de donner ma foi à un Dieu plus sérieux encore que Giscard. Et puis plein de choses, dans le monde tel qu’il se présente, laissent à penser que Dieu à un sacré sens de l’humour : il suffit de voir la tronche d’un tapir ou d’un ornithorynque pour être d’accord.
Ah, Dieu, réveille-toi ! Tu as voulu laisser les hommes libres, et regarde ces branleurs qui s’interdisent tout tous seuls, - sans même faire appel à Hitler !
(*Rendons à M. de Carné, mon professeur de littérature du Moyen Age occidental, ce qui lui appartient : c’est lui qui a dit ça en cours hier.)
posted the 02/13/2007 at 11:52 AM by
franz
Ah, Dieu, réveille-toi ! Tu as voulu laisser les hommes libres, et regarde ces branleurs qui s’interdisent tout tous seuls, - sans même faire appel à Hitler !" Tu me décois franchement, je te pensais plus intelligent.