Aujourd’hui je vais faire mon lourdingue, toujours en attendant de reprendre la rédaction des aventures de Casimir.
J’ai envie d’évoquer ce que je considère comme un écueil et qui parcoure régulièrement les conversations entre joueurs : l’opposition entre le gameplay et le graphisme. Il semble désormais acquis pour beaucoup que l’une ou l’autre de ces caractéristiques est à privilégier dans un jeu — voire carrément dans une console, comme si une cohabitation était inimaginable. C’est Nintendo qui est à l’origine de cette dichotomie, depuis qu’il justifie les faibles puissances de sa DS et de sa Wii en arguant que ces deux consoles apportent un nouvel éclairage sur le jeu vidéo, nous y font jouer différemment et le renouvellent de cette manière. Voilà un message commercial parfaitement calibré qui convainc presque tout le monde, mais qui au final ne fait pas nécessairement ses preuves.
On constatera dans les discours que ceux qui vendent leur DS ou leur Wii le font souvent sur l’argument du gameplay, alors que ceux qui vendent leur 360 ou leur PS3 ne se concentrent pas tellement sur l’argument de leur graphisme, mais plutôt sur leurs ludothèques, ce qui me semble du reste être le moyen le plus sûr de juger d’une console.
Que la DS et la Wii proposent de nouveaux outils pour jouer, c’est indéniable ; pour autant il me semble erroné d’avancer le concept d’un gameplay propre à chacune de ces consoles. C’est même insultant pour elles dans la mesure où ça sous-entend que chacune, si elle propose un gameplay original, ne propose que ce gameplay et n’est pas capable d’en offrir un autre. Il est en fait évident que ce ne sont pas les consoles qui font le gameplay mais les développeurs de jeu ; en conséquence de quoi un jeu sur DS peut être très faible dans ses idées de gameplay — prenons pour exemple Mario Kart — alors qu’un jeu sur PSP peut être très novateur dans ce domaine — prenons pour exemple Loco Roco—.
Ces deux exemples ne sont pas innocents et m’amènent à démontrer que l’absence d’innovation dans le gameplay, même sur une console supposée en apporter, ne fait pas un mauvais jeu (Mario Kart est excellent, tout comme Super Mario Bros et un paquet d’autres sur DS) et qu’un gameplay peut tout à fait être novateur sur une console qui n’est pas censée le permettre.
J’irai même plus loin : il me semble difficilement contestable que la première année de la DS a été légère en nombre de jeux de qualité, bien que fournie en nombre de jeux exploitant à fond la dualité des écrans et la tactilité de l’inférieur. A partir de quoi les innovations de la DS apparaissent surtout comme un frein, non pas à la créativité, mais à la qualité intrinsèque de ses jeux, dans le début de sa vie ; et c’est lorsque les développeurs s’affranchissent de cette obligation tacite d’en rester au tactile qu’ils peuvent aborder des projets de plus grande ampleur.
Ainsi, et là je vise à nouveau ceux qui espèrent que la Wii révolutionnera le jeu vidéo, il est peu probable — et encore moins souhaitable — que les jeux de la dernière Nintendo soient développés que dans un esprit « Wiimote ». Il appartient aux développeurs de cesser au plus vite d’utiliser la Wiimote comme un prétexte pour des jeux techniquement peu aboutis et décevants sur la longueur.
Ce que je veux dire en tout cas, c’est qu’une manette ne révolutionne rien par elle-même ; et surtout, une révolution ne se fait pas en détruisant ce qui existe. L’idée générale d’un certain nombre est que la Wiimote doit faire disparaître les vieilles manettes, désormais supposées obsolètes, et par conséquent les anciennes manières de jouer. Or une révolution ne se fait pas en reconstruisant sur des ruines encore chaudes, mais en améliorant ce qui existe déjà, par petits coups. Ainsi il faudra vite, pour les développeurs comme pour les joueurs, arriver assez rapidement à l’idée que la Wii ne changera peut-être pas fondamentalement nos habitudes de jeu, mais qu’elle nous en apportera de nouvelles, qui viendront s’additionner aux anciennes — afin que la Wii atteigne l’état actuel de la DS, équilibre parfait entre spécificité et qualité —.
Il est par conséquent vain de renier la PS3 et la 360 sous prétexte qu’elles proposent une manière de jouer dite « classique », car cette manière de jouer, après avoir fonctionné depuis l’arrivée de la 3D, ne saurait être enterrée, et ne pourra jamais constituer un défaut. L’idée que la Wiimote donne nécessairement un minimum de qualité à tout jeu Wii est fausse ; bien au contraire c’est à la Wiimote de prouver qu’elle est suffisamment compétente et polyvalente pour, à terme, équiper n’importe quelle console sans que le joueur y perde en terme de profondeur de jeu.
Pour en venir à la traditionnelle opposition entre graphisme et gameplay, il me semble bon de rappeler quelques éléments :
Premièrement, il est rare qu’un beau jeu soit mauvais dans sa jouabilité ou son gameplay — je me souviens que The Bouncer, de la première fournée PS2, était un peu dans ce cas, mais j’avoue n’avoir aucune autre idée, sauf peut-être des titres EA ;
Deuxièmement, et c’est logique, la plupart des meilleurs jeux sont aussi beaux que leur gameplay est réussi : citons en vrac Ico, Shadow of the Colossus, Zelda Twilight Princess, Resident Evil 4, Perfect Dark, New Super Mario Bros, Okami, et la liste est évidemment extensible presque à volonté ;
Troisièmement, toujours dans cette logique, très rares sont les jeux qui sont bons grâce à un bon gameplay malgré de mauvais graphismes. Même si un paquet de nuances doit être apporté, il convient d’ailleurs de distinguer qualité technique et qualité esthétique. Exemple : Tetris est peu évolué techniquement, mais graphiquement il n’est pas laid — pas beau non plus, évidemment, mais là on peut nuancer en avançant que la beauté de Tetris ne provient pas de ce que l’écran affiche mais de ce que l’on a amené l’écran à afficher, c’est-à-dire le résultat de nos réflexions successives et du placement de nos pièces. Distinguer qualité technique et qualité esthétique, c’est aussi ne pas perdre de vue que si des consoles comme la Wii ou la DS sont à la traine techniquement, elles ne le sont que comparées à leurs concurrentes, et sont en mesure de donner à l’écran des graphismes d’une grande qualité esthétique : Twilight Princess (Wii) et Viewtiful Joe (DS) en sont deux preuves. Du reste, la PS2, console la plus en retard sur le marché du salon, annonce une ludothèque si puissante pour cette année qu’on ne voit pas nécessairement l’utilité d’acheter une next-gen : des jeux comme Okami (qui sort demain), FF XII ou God of War II proposent une telle qualité graphique que nous ne pourrons pas être frustrés, en y jouant, qu’ils ne soient pas sortis sur une console plus puissante. Et nous ne serons pas non plus frustrés qu’ils se jouent de manière classique.
Pour en revenir à l’idée de départ, à savoir que les bons jeux, réussis d'un point de vue du gameplay mais laids, sont rares, j’aurais même tendance à dire qu’ils n’existent pas, n’ayant aucun exemple en tête.
En clair, l’histoire de jeu vidéo démontre, et il n’y a pas besoin de fouiller très loin pour s’en rendre compte, que gameplay et graphisme font toujours bon ménage, que l’un sans l’autre ne vaut finalement pas grand-chose, et que finalement ils s’alimentent : sur la base de l’idée qu’il se fait du gameplay de son jeu, le développeur va lui donner une esthétique particulière (cf. Okami, qui devait au départ être plus réaliste, mais dont le gameplay était trop original pour que le graphisme du jeu en soit réduit à un aspect classique), et sur la base de ce que la console lui offre en terme de puissance, il va déterminer son gameplay (cf. Shadow of the Colossus, qui n’aurait pas pu être ce qu’il est si la PS2 n’avait pas été capable, au prix d’un effort certes intense, de le faire tourner).

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posted the 02/07/2007 at 08:07 PM by
franz
C'est vrai qu'a cause de Nintendo et de son matraquage marketing, les joueurs ont tendance a séparer ces deux ingredients essentiels a un jeu vidéo... Alors que dans tout les jeux, on le retrouve (bah oui, sans graphismes, ya pas d'images, et sans gameplay, ya pas d'interactions...)
Comme si avec la DS et la Wii, on venait de découvrir cette face du jeu vidéo...
Ce qui fait la base d'un bon jeu, c'est avant tout une bonne équipe qui crée le jeu. Le gameplay, c'est juste des actions exterieurs qui nous facilitent la prise en main. Après, qu'on bouge sa manette dans tout les sens, qu'on bouge son corps devant une camera, ou qu'on appuie simplement sur des boutons, ça change rien.
Les graphismes, c'est autre chose. Avec les consoles et les possibilités que l'on a aujourd'hui, on est en droit d'attendre des jeux beau techniquement, et comme tu l'a dit, esthètiquement. Après, c'est relatif. Un jeu qui sur PS3 sera moche sera sublime sur DS...
Bref, c'est un tout qui fait le jeu, pas que deux notions complètement subjective...
C'est d'ailleurs le centre du débat aujourd'hui(next gen VS new gen)