Remémorons-nous la chanson des Beatles dédiée à Michel Houellebecq :
« Miiiiiiichel, ma belle, sont des mots qui vont très bien ensemble… »
Il y a deux semaines, la Miche a opéré un come-back médiatique dans Esprits Libres, l’émission de Guillaume Durand, après avoir royalement ignoré Campus lors de la sortie de La Possibilité d’une île.
(j’ai du retard sur l’émission, mais ces derniers jours j’avais du mal à me mettre devant mon clavier, par manque de temps et de courage)
Donc, Houellebecq interviewé dans Esprits Libres par Sylvain Bourmaud, directeur de la rédaction des Inrockuptibles, ça donne un truc rigolo.
Pour commencer, et c’est le point sur lequel je m’atterderai le plus, Houellebecq nous explique pourquoi il a quitté la société.
Là on s’attend à ce qu’il nous lance une théorie politique, un truc idéologique fort, « mes idées ne correspondent pas avec la bêtise ambiante », mais non : « le fait qu’on n’ait plus le droit de fumer, m’interdit les transports en commun concrètement ; de même que ça m’interdit aussi le cinéma, le théâtre le restaurant les cafés (plan sur Houellebecq marchant dans la rue en fumant, un mec se retourne sur lui genre j’ai déjà vu cette gueule de frustré quelque part, en plus il est filmé)… Donc en fait je vis, euuh ben je vois bien la société mais en fait je peux pas rentrer dans les lieux publics quoi… Ayant pris conscience de ça, je me rends compte que je voterai plus jamais en fait… ça a pas de sens… je peux pas voter je fais plus vraiment partie de la société. Puisque j’ai pas le droit d’y être. »
Vous avez pu me trouver chiant (à juste titre) avec tout ce que j’ai consacré au problème du décret antitabac, mais à côté de Houellebecq je me sens comme un défenseur de la cigarette modéré. Voilà un homme qui a l’air de souffrir au plus profond de son être de l’ambiance aseptisatrice qui règne ne ce moment — quoiqu’en fait ça ne doive pas tant le faire souffrir : d’abord il a l’air d’en être ravi, d’être exclu, et puis ensuite Michel a-t-il jamais été dans la société, même quand elle tolérait la cigarette ? c’est la question que tout le monde se pose.
Pour le reste, on s’en fout un peu : il nous parle de son adaptation en film de la Possibilité, qu’il est content de la faire, pas plus modeste que l’année dernière par rapport à son roman : « c’est le triomphe de la poésie dans le roman quoi ».
Il s’offre aussi un gros bouquet de fleurs en évoquant l’adpatation ciné des Particules Elémentaires sortie récemment, qu’il avait dit avoir aimée chez Fogier sur RTL, mais dont il se dit déçu ici, avec toutefois une teinte d’espoir : « Pour les très bons livres y a plusieurs films. Et c’est pas mal Les Particules, c’est plutôt un bon livre ». (Ce qui est, soit dit en passant, vrai.)
Il transpire de partout, fume comme à son habitude en gobant à moitié sa cigarette, tenue entre son index et son majeur, et parsème ses phrases de euuuuuh….
Bref on s’en branle de tout ça.
Plus intéressante, la chose alarmante que j’ai pu voir à la télévision tout à l’heure. Je ne parle pas de l’exécution de Saddam Hussein, qui me chagrine au plus haut point tant j’aimais cet homme, mais de l’émission Sentez vous bien de France2, et qui traite de la santé, de votre santé — vous remarquerez au passage le superbe jeu de mots qui habite ce titre, certainement dégotté par Laurent Ruquier au détour d’un couloir.
En réalité l’émission pourrait s’appeler Sentez-vous bien ma bêtise ?, rien que pour ce que j’ai pu entendre sortir de la bouche proprette de la coprésentatrice. Le débat tournait autour du décret antitabac (ça vous le sentiez venir je suis sûr : vous vous dites mais qu’il est prévisible ce con). Enfin débat est un grand mot : avec un reportage expliquant les avancées du truc et trois invités venus le défendre contre personne pour l’attaquer, il s’agissait plutôt d’une promotion en bonne et due forme. Bien conscients que sur 13 millions de fumeurs en France, il devait y en avoir quelques petits milliers qui regardaient leur émission (on se demande bien pourquoi d’ailleurs : un fumeur qui regarde une émission lui donnant des conseils de santé alors que son paquet de clopes lui en offre tous les jours, c’est un peu le comble de l’insolence), les présentateurs se sont dit pour mieux faire passer la pilule du décret, les faire culpabiliser sur le tabagisme passif ne suffit pas : il faut qu’on fasse comme si on était à leur écoute et qu’on leur donne des trucs pour arrêter de fumer. (Oui, une fois que le fumeur a allumé sa première cigarette, il n’a qu’une envie, c’est qu’on lui dise comment s’en défaire.)
Donc là on nous vend des tonnes de produits dix fois plus chers que des cigarettes, et à un moment la présentatrice, pour introduire un médoc à 50 €, pose la fausse question suivante au tabacologue qui se trouve là : « Par exemple, pour arrêter de fumer si je suis fumeuse — ce qui n’est pas le cas hein —, quel conseil vous me donnez ? »
Je vous l’avoue, à ce moment j’ai complètement paniqué sur un détail de sa phrase — mais un détail porteur de beaucoup d’importance à mes yeux — : ce qui n’est pas le cas.
Voilà, on y est pour de bon : fumer est bel et bien une pratique qui n’inspire que la honte et il vaut mieux préciser d’entrée de jeu qu’on n’appartient pas à cette communauté de suicidaires/assassins.
Ca me rappelle quand on parle parfois avec des gens de l’homosexualité et qu’il y en a qui se sentent obligés, quand ils disent je défends les droits des homosexuels, de préciser immédiatement mais j’en suis pas un.
C’est aussi le genre de remarques que l’on peut trouver dans les discussions sur le racisme, avec le mais je suis pas raciste hein, ou mais je voterai jamais Le Pen.
Ce genre d’ajouts subtils et presque involontaires est révélateur d’un refus étendu à la société de certaines choses. Dans le cas du racisme, c’est justifié ; mais dans le cas de l’homosexualité, il n’y a aucun intérêt à préciser que l’on n’est pas pédé, et dans le cas de la cigarette c’est clairement représentatif de l’opposition entre deux camps, l’un fumeur, inacceptable et meurtrier, et l’autre non-fumeur, altruiste et bienveillant, qui se forme à travers les médias, contribuant plus que jamais à replier chacun sur soi et son petit espace vital.
Voilà ce qui me fait peur depuis quelque temps, c’est ce choisis ton camp camarade lancé à la population, qui ne manque pas de sous-entendre mais choisis le bon, choisis celui du respect de l’autre et de la vie, celui des non-fumeurs.
Deux camps, ça me fait déjà chier, mais appartenant à celui auquel il ne faut pas appartenir, ça m’emmerde encore plus profondément.
A moins que ça ne contribue à faire ma fierté de fumeur.

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posted the 12/30/2006 at 10:31 PM by
franz