Hier je me suis réveillé dans un écran de télé.
Un enfant d’une dizaine d’années, blond aux yeux bleus, était assis à une table à côté de moi ; je me suis rendu compte que je me trouvais dans une cuisine. A côté du gamin il y avait son père, qui semblait réticent à l’idée de boire une goutte de lait ; mais le gosse avait des arguments et lui a fait comprendre, en n’omettant pas de répéter trois fois la marque du lait, qu’en le buvant il améliorerait ses défenses grâce à la vitamine D qu’il contenait en grande quantité. En outre, ce lait avait l’avantage d’être facile à digérer. Je me suis étonné que les CM1 d’aujourd’hui sachent déjà ce qu’est la vitamine D, avec toutes ses propriétés, étant donné que pour ma part j’en ignorais tout jusqu’à ce moment.
Face à cet argumentaire complet et superbement organisé, d’une grande qualité rhétorique, le père ne pouvait évidemment être que comblé, et s’est mis à boire du lait comme un trou en ajoutant qu’en plus il était bon.
J’en ai déduit que le lait que je bois depuis quinze ans est dégueulasse, donne la chiasse et ne protège pas contre les petits tracas de santé, et aussi que les enfants d’aujourd’hui sont bien plus intelligents que je ne l’étais au même âge. Merde alors, comment suis-je encore en vie ?
Après cette scène d’environ quarante-cinq secondes, je me suis trouvé pris au milieu de dessins d’un gosse période grande maternelle/début CP, laids à vomir, et la voix off d’un enfant, ou plutôt d’une voix se donnant l’air enfantine, a expliqué qu’on pouvait grâce au truc représenté en gribouillis téléphoner tant qu’on voulait aux gens qu’on aime, tout en surfant sur Internet à la vitesse de l’éclair et en matant les chaînes câblées. La gamine qui parlait en savait tellement qu’elle connaissait même le prix de l’ensemble, 29,99 € par mois ; elle a terminé en citant de sa petite voix le nom de la marque dont elle vantait les mérites.
Je me suis ensuite trouvé dans une foultitude de décors différents, à chaque fois pendant une quarantaine de secondes, et à chaque fois un petit aryen convainquait ses parents d’acheter tel ou tel truc, quand bien même il n’aurait aucunement servi à un enfant ; je me suis même étonné au final qu’aucun gamin ne promeuve la lingerie ou ne parle des problèmes d’érection — c’est une femme qui s’est chargée de ce problème difficile en s’adressant maternellement aux hommes ; certainement qu’elle tentait de régler ce tracas en direct, par elle-même, avec l’aide de sa voix et de sa tenue et de sa poitrine —.
Le manège a duré une dizaine de minutes, puis une séquence est apparue où les lettres PUB dansaient devant un projecteur. Je me suis alors retrouvé dans un château, avec une dizaine de personnes d’environ vingt – vint-cinq ans. Quelqu’un est arrivé, la quarantaine, qui semblait faire autorité sur eux et les qualifiait tous d’artistes. A priori cette personne était très déçu que l’un des vingtenaires quitte le navire, estimant que cette personne plongeait un million de téléspectateurs dans la détresse.
Ca s’est terminé après cinquante minutes, au bout desquelles un mec, sweet-shirt Rolling Stones et jean moule-bite, a fait un bisou en direction de la caméra en concluant tchatchao portez-vous bien tapez 3 on se retrouve au praïme.
Je me suis retrouvé à côté des lettres PUB dansantes, puis, à nouveau, auprès de gosses vendant de tout à leurs parents. Plusieurs fois aussi, je me suis vu auprès de femmes qui se plaignaient d’être grosses, et dont le rêve était de se réveiller un matin en constatant que leur pantalon était devenu trop grand pour elles. Ce rêve était réalisable, me suis-je dit ; il suffisait d’acheter des pantalons de la taille supérieure. Mais pour ces nanas-là, la solution était ailleurs, elle était dans des yaourts. Si elles le disent. Il faut donc, pour continuer de séduire son mari après la trentaine, avoir des pantalons trop grands, peut-être pour qu’il glisse plus facilement les mains dedans ; c’est ce que j’en ai conclu.
Les lettres PUB sont revenues à côté de moi ; — et un générique tonitruant a démarré, qui m’annonçait l’heure — vingt heures en l’occurrence —.
J’ai atterri à côté d’une femme en tailleur, assise face à une caméra, qui lisait le texte défilant sur un petit écran face à elle. Elle a annoncé que la France avait gagné son match brillamment — cocorico —, le meurtre d’un gosse par son père — sûrement que le gamin avait un peu trop insisté en voulant lui faire prendre une offre Internet imbattable —, et quelques milliers de morts de ci-de-là — qui auraient mieux fait de manger des yaourts —, et que la cigarette était dangereuse, et que les mecs de banlieue l’étaient peut-être autant, et qu’une dénommée Ségolène, que j’ai d’abord prise pour une comique puisqu’on se permettait de l’appeler par son prénom, était favorite pour devenir Président de la République de la France, et que les gens ne devaient pas boire avant de conduire, et que la planète se réchauffait et que c’était dramatique — en oubliant que ça pouvait peut-être faire plaisir aux Russes —, et que à demain bonsoir pour de nouvelles informations.
Au final, j’ai retenu peu de choses de ce qu’elle a raconté, et peu de choses de ces deux heures passées dans l’écran.
Toutes les personnes à côté desquelles je me suis trouvé, des petits aryens commerciaux aux nanas complexées en passant par les lettres PUB, m’ont totalement ignoré ; il est vrai que de mon côté je n’ai pas fait d’effort pour leur montrer l’attention qu’ils suscitaient en moi.
En dépit de ce manque de communication, le voyage aura été agréable, chaleureux ; du début à la fin, quoique je n’aie rien eu à voir avec les gens que j’ai croisés, je me suis senti comme chez un ami dont la porte reste toujours ouverte et qui a toujours un truc à nous proposer, même quand on vient à l’improviste.
Si je n’ai passé que deux heures dans la télévision, sur une seule chaîne, je n’ose imaginer toutes les choses que je pourrais raconter en passant les vingt-quatre heures de chaque journée sur une foultitude de chaînes différentes.
Reposé par ce voyage, je me suis rendormi dans l’écran de ma télé.

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posted the 11/23/2006 at 10:54 PM by
franz