Comme le disait Léopold Cendar-Cégore, sans cendrier c’est dur de fumer.
(Notons qu’il ne faut pas confondre Cendare-Cégore avec son proche cousin Cégore-Sansdare, qui pour sa part déclara pour sa part une guêpe qui pique sans dard, c’est gore.)
(Et notons par ailleurs que ces deux personnages n’ont rien à voir avec Léopold-Sédar Senghor, qui ne fut pas seulement noir de peau, mais tint également des postes aussi insignifiants que Président de la République sénégalaise et membre de l’Académie Française.)
Sans cendrier comment fumer ?
Comment s’adonner au plaisir de la cigarette, dernier objet des houspillements branlotteux de la bien-pensance hygiénique aseptisée qui pourrit les âmes en prétendant purifier les corps ?
Et puis qu’est-ce qu’ils ont tous contre la clope au fait, hein ?
C’est pas parce que 66 000 personnes la choisissent tous les ans en France pour remplacer la corde ou le pistolet qu’il faut chercher à en limiter la consommation.
De toute manière le problème est simple : en légiférant sur le comportement des fumeurs, on renforce leur déprime, alors qu’eux-mêmes fument bien souvent pour y échapper. Résultat : encore plus dépressifs qu’ils ne l’étaient jadis, ils fumeront d’autant plus.
Alors il faut penser au tabagisme passif, qui tue 5000 personnes par an blabla, et surtout qu’en plus rendez-vous compte la fumée émise par un fumeur est plus dangereuse pour son interlocuteur que pour lui-même.
Dans ces conditions, s’il est plus dangereux de ne pas fumer, on se demande pourquoi les non-fumeurs ne s’y mettent pas à leur tour ; ce serait plus sain pour leur santé.
Et puis fumer est finalement, à cette heure-ci, l’une des rares activités auxquelles on puisse s’adonner en tout liberté. On ne se met pas à se pourrir l’organisme, à dépenser son argent et à traîner derrière soi une puanteur constante sans en avoir ne serait-ce qu’un peu le désir ; à ce stade-là, fumer est bel et bien, a fortiori de nos jours où la tendance est à la diabolisation de cette pratique, le symbole d’une liberté totale et d’un contrôle absolu de son existence.
Surtout, fumer c’est réfléchir. Comme le signale une caricature du XIXe siècle, aucun crime ou délit n’a encore été commis la cigarette à la main.
Le plaisir de la fumée retenue dans ma bouche, de sa danse à la lisière de ma gorge, de sa sensation douce qui colle au palais, de sa grâce au moment de descendre vers les poumons en léchant la glotte, et de son expansion dans ceux-ci, et de son arrivée au cœur, et de l’énergie qu’elle lui insuffle et qui est immédiatement renvoyée vers le cerveau, avec le constat immédiat que ça y est, ça tourne mieux là-dedans, ce plaisir, ne trouve sa comparaison que dans le sexe.
En détruisant son corps on le sent plus sain, plus fort. Mon esprit n’est jamais aussi bien que quand la nicotine accompagne ses pensées, les clarifie, leur insuffle de l’émotion et du rire.
Je fume en marchant, je lève les yeux vers le ciel, évite de marcher dans une merde de chien si j’ai de le chance, m’émerveille de la grandeur et de la beauté de l’univers tout en m’effarant de ma propre petitesse, j’expire la fumée et la regarde s’envoler voluptueusement dans les rayons du soleil couchant perçant à travers les feuilles jaunes des arbres en fin de cycle dont le tronc est marqué par des traits roses incompréhensibles. Je contemple la beauté du monde et jubile en voyant les regards apeurés et dédaigneux des piétons qui ne lèvent la tête que lorsqu’ils sentent qu’une cigarette se fait fumer à moins de cinq mètres.
Je crache ma fumée dans les coins non-fumeurs quand ils sont à portée de ma bouche.
Je rencontre des gens avec qui je n’aurais jamais échangé un mot s’ils n’avaient pas eu besoin d’une cigarette, si je n’avais pas eu besoin de feu. La cigarette crée la rencontre, favorise la sympathie, désinhibe la timidité sans la camoufler, annihile les complexes.
Elle aide à être drôle et à rire : il faut avoir une sacrée dose d’humour pour se ruiner dans un loisir mortel et s’en faire une joie jusqu’à aller s’en vanter.
Elle est le seul médicament qui s’avèrera efficace contre la déprime et les centenaires, qui iront inévitablement de paire ; vouloir atteindre l’âge des uns à tout prix oblige à en passer par l’autre.
Elle sera, dans le monde aseptisé qui nous attend, la seule source d’air à la recherche de laquelle on partira pour retrouver des émotions pures.
De même que, dans une société où tout le monde est beau, plus personne ne l’est sauf le moche, dans un univers où tout est propre plus rien ne l’est sauf le sale.
Et c’est allègrement que je franchis le pas de l’illégalité en priant toute personne qui me lit de fumer à son tour.
Et c’est ainsi que je clos la longue série d’articles que j’ai consacrés au sujet.

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posted the 11/01/2006 at 09:05 PM by
franz
Elle est le seul médicament qui s’avèrera efficace contre la déprime. Elle sera, dans le monde aseptisé qui nous attend, la seule source d’air à la recherche de laquelle on partira pour retrouver des émotions pures.
Ca par exemple! Perso je ne fume pas donc c'est sans doute normal que je ne sois pas d'accord avec toi.
Moi ça serait plus la Musique qui me permettrait de survivre à se monde de fou. Mais bon chacun son truc, surtout que ton texte est entièrement une éloge du tabac donc c'est normal que certaines choses me dérange.