Fin de ce que j'ai à dire dans le débat sur le tabac
Deuxièmement, cette idée de fumoir entretient l’idée que la consommation de cigarette est par définition une dépendance, et que, — et là c’est carrément pire que tout —, elle doit être exercée comme telle. On oublie que fumer n’est pas une activité qui retient toute l’attention du fumeur, mais que bien souvent la consommation d’une cigarette accompagne un verre, un livre, une conversation, des réflexions. Mettre les fumeurs dans des fumoirs c’est leur dire, de manière provocante pour ne pas dire accusatrice et culpabilisatrice : « Vous voulez fumer ? Allez-y, mais vous ne pourrez faire que ça. » On incite donc par ce biais les fumeurs à faire de la consommation de cigarette une fin en soi qui nécessite une certaine organisation du temps et de l’espace, avec des déplacements et des privatisations nécessaire pour s’adonner à leur plaisir. En clair, le fameux rituel de la cigarette, celui qui justement caractérise la dépendance, et qui consiste à mettre de côté des activités pour se consacrer à celle du fumage, laquelle est alors l’objet d’une organisation tenant presque compte de l’emploi du temps, est tout simplement légalisée.
Le fumeur n’est plus fumeur occasionnellement et partiellement — rappelons que fumeur n’est pas un métier, juste une activité qui en accompagne généralement d’autres — mais à temps plein et exclusivement — sa vie est alors, aux yeux de la loi, consacrée à la cigarette, et fumer devient une activité religieuse caractéristique d’une communauté bien précise.
Pour ces raisons là, ce décret est à revoir, en tout cas en ce qui concerne les bars, et les boîtes de nuit si tu y tiens toi qui y vas demain.
Il est évident qu’une solution est à trouver pour que tout le monde soit satisfait, mais cette solution n’est pas dans la cristallisation de deux communautés créées par les médias qui prennent un malin plaisir à les faire se provoquer mutuellement.
Suite à cet état de fait, le dialogue qui doit à tout prix exister entre fumeurs et non-fumeurs est rompu.
Tout à l'heure je mangeais au bar avec mon amoureuse ; en arrivant on a voulu fumer, mais on a vu qu'aux deux tables à côté des gens mangeaient, donc on s'est abstenus. A un moment, tout le monde avait fini de manger à gauche et à droite, donc on s'y est mis. On a fumé peut-être une demi-heure, et les nanas de droite sont parties parce qu'il était temps pour elles ; et l'une d'elles a signifié du bras en le secouant qu'elle était importunée par notre fumée, mais ceci sans même nous regarder vraiment ni nous parler ; juste comme ça, pour nous culpabiliser, pour faire celle qui a subit sans rien dire, soi-disant par respect, en réalité pour mieux nous envoyer notre vice supposé dans le nez par la suite - et il y avait presque dans son mouvement la pensée qui traversait peut-être sa tête à ce moment-là, de toute façon la loi est passée, vous êtes niqués, et moi j'ai gagné.
Cette nana aurait eu tout intérêt à nous dire 30 minutes plus tôt que ça la dérangeait qu'on fume, parce qu'il est évident que nous serions allés le faire ailleurs ou que nous ne l'aurions tout simplement pas fait.
Le problème est qu'il n'est pas écrit sur la tête des gens que la clope les incommode, et les fumeurs ne peuvent pas le deviner comme ça - ce ne sont pas des extralucides. C'est beaucoup trop exiger d'eux que d'attendre qu'ils comprennent eux-mêmes, dès le premier regard, qu'on n'aime pas la cigarette.
Je crois qu'il faut simplement se parler, arrêter de se considérer comme des ennemis ne cherchant qu'à s'agresser mutuellement ; les non-fumeurs gênés doivent dire aux fumeurs qu'il ne veulent pas de cigarette près d'eux et les fumeurs doivent avoir conscience qu'ils n'ont pas moralement le droit de fumer près de quelqu'un qui ne désire pas respirer un air enfumé.
Je crois que très peu de fumeurs seraient suffisamment cons pour refuser de cesser leur activité dans le cas où on leur demanderait gentiment de le faire.
En revanche, faire comme la nana tout à l'heure un geste de dégoût, comme si on lui avait imposé la clope pendant les 30 minutes précédentes, au lieu de simplement parler, ça nous vexe nécessairement, et plus qu'autre chose ça nous donne envie de l'asphyxier.
Je n'ai qu'une seule chose à demander aux non-fumeurs : parlez-nous, bordel de dieu ! Vous savez que nous fumons, mais nous ne pouvons pas savoir que ça vous gêne si vous ne nous le dites pas. Etre non-fumeur ne se traduit pas par des caractéristiques physiques reconnaissables, à part quand on est gosse ou enceinte de plus de six mois, et ce ne sont pas des mimiques grimacées qui nous feront comprendre qu'on vous gêne.
Les non-fumeurs ont un rôle aussi important à jouer que les fumeurs s'ils veulent que ces derniers fassent preuve du civisme qu'ils réclament légitimement.
On m'a aussi dit ces derniers temps, comme on nous l’apprend en cinquième, « ta liberté s’arrête là où commence celle des autres. »
C’est joli, c’est niais, mais c’est surtout con, parce que cette phrase est toujours interchangeable : ma liberté de fumer s’arrête là où commence la tienne de ne pas sentir ma fumée, mais ta liberté de ne rien faire ne devrait théoriquement pas amputer ma liberté de fumer.
C’est sur une vision manichéenne des choses que repose cette phrase que l’on me dit parfois. C’est cette vision-là qui fait dire à chacun de nous que l’autre est égoïste pour lui faire porter le chapeau.
Oui, chacun est égoïste, c’est évident et c’est comme ça. Le fumeur qui ne s’est jamais soucié des non-fumeurs et qui veut continuer d’accompagner son café d’une clope est égoïste, et il est compréhensible qu’il estime subir un préjudice quand on lui dit qu’il ne pourra plus fumer dans les lieux publics alors qu’on l’a toujours laissé faire sans jamais rien lui dire ; le non-fumeur qui se plaint d’avoir les vêtements qui puent le tabac et de respirer l’odeur nauséabonde des autres et qui au non de ça se réjouit que tout le monde soit privé de cigarette dans son entourage est tout aussi égoïste, pour des raisons tout aussi compréhensibles mais qui sembleront tout aussi futiles à l’autre.
Vivre en société, ce n’est pas éviter d’être égoïste, c’est tolérer que les autres le soient autant que soi.
A venir : un article sur le concept d'égoisme, souvent mis en avant de manière faussement moraliste pour faire comprendre aux autres qu'on aimerait qu'ils pensent à soi sans passer soi-même pour un égoiste.

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posted the 10/07/2006 at 08:58 PM by
franz