A propos du décret sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics, petit 3
Je tiens aussi à en passer, de manière inévitable, par le véritable problème de fond de tout ça, qui tient à l’incompréhension entre les fumeurs et les non-fumeurs.
D’une, chacun des deux partis tend à oublier facilement que l’autre n’est pas nécessairement revendicatif dans son comportement ; en clair nous ne sommes pas dans une question de religion ou de choix idéologiques, et le problème c’est que peu à peu la question se mue finalement en un débat idéologique.
Le non-fumeur ne non-fume pas par choix ; bien souvent je suppose qu’il ne fume pas parce qu’il n’y pense même pas. Quant au fumeur, dans la plupart des cas il ne fume pas pour faire comme tout le monde ou pour se donner un genre mais juste par plaisir, comme un mange un bonbon.
Ce sont des choses que tout le monde, moi y compris, tend à oublier, non sans raison.
La raison de ce bordel se situe je pense dans l’histoire. Ca fait environ 500 ans qu’on fume en Europe, autant dire que c’est rentré dans nos mœurs au même titre que le vin (sur lequel d’autres bien-pensants ne manqueront évidemment pas de s’acharner).
Jusqu’à il y a 15 ans, on n’a jamais emmerdé les fumeurs pour ce qu’ils faisaient ; on ne leur a jamais non plus dit officiellement que ce qu’ils faisaient était nocif, surtout pour eux. En clair, jusqu’en 1991, fumer était la norme, et ne pas fumer n’inspirait aucun commentaire ; il semblerait même que les non-fumeurs n’existaient finalement pas en tant que tels, en tout cas pas en tant que communauté.
En 1991, tout change. On annonce d’abord aux fumeurs qui ne s’en doutaient pas qu’ils se font du mal ; par la suite ont les culpabilise pour le mal qu’ils se font et celui qu’ils font aux non-fumeurs — apparaît le concept de tabagisme passif. Il faut bien comprendre que depuis 15 ans les fumeurs en prennent quand même pas mal dans la poire sans avoir jamais rien demandé à personne : on leur apprend qu’ils vont tous en crever, qu’ils empoisonnent le monde, qu’ils polluent la planète, qu’ils favorisent des trafics, et on quintuple le prix de leur paquet ; en clair de la norme ils passent à la déviance la plus absolue, et cette éjection de la norme trouve sa prolongation logique dans le décret d’aujourd’hui. C’est tout de même un peu beaucoup pour des gens qui, s’ils ont commencé de fumer il y a 25 ans par exemple, n’ont pas pu voir venir quoi que ce soit.
Parallèlement à ça, on observe une sorte de phénomène de laïcisation de la société, appliquée au domaine du tabac. Pour faire une comparaison simple, on en revient à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, quand on dit aux non-croyants depuis quelque décennies qu’ils sont la nouvelle norme dominante, qu’ils sont les plus légitimes, et, de manière implicite, qu’on peut en foutre plein dans la gueule de la religion en échange des 1500 ans passés sous sa tyrannie. C’est pareil avec les non-fumeurs depuis 10 ans : de la catégorie « groupe inexistant », ils sont passés, par le biais du consensus des médias et des politiques sur le problème du tabac, à la catégorie « groupe martyr ayant aujourd’hui tous les droits en compensation des 500 années de tabagisme passif subies jusqu’ici ».
Conséquence : les non-fumeurs son légitimés dans leurs revendications — qui ont, et c’est évident donc j’ai failli ne pas le préciser, un fond juste sur le fait qu’il n’y pas de raison qu’ils se fassent enfumer —, tandis que les fumeurs en prennent tellement dans la gueule alors qu’ils n’ont jamais commis de crime qu’ils peuvent légitimement se demander pourquoi on leur en veut à ce point-là.
Je crois qu'on peut dès lors comprendre qu'ils se sentent quelque peu mis au ban.
Conclusion sur ce décret demain

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posted the 10/05/2006 at 09:29 PM by
franz
J'ai juste une question philosophico-existancielle pour toi , Padrino : Imagine que ta copine-que-tu-veux-la-quitter-pour-rien-au-monde (ou le copain, ou le raton laveur, je ne te jugerais pas) te demande de choisir entre elle/lui et la cigarette, parce que la cigarette c'est le mal. Tu choisis quoi ?
(simple question, hein. Moi on me demande entre elle et les jeux vidéo, ben je choisis elle et je me lance dans le ciné, je ruine le couple, et si elle me quitte je reprends mes jeux. Na.)