Au sujet du décret sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics


Les problèmes de la France seront tous résolus dans un an, en septembre 2007. Comment en douter ? Grâce à l'interdiction absolue de la cigarette dans les lieux publics, y compris les bars — qu'il faudra donc appeler désormais salons de thé et qui seront l'équivalent d'une maison sans chauffage ou d'une voiture où les fauteuils seraient remplacés par des tabourets —, tous les ennuis de santé publique seront éradiqués, et enfin débutera une ère propre où tout le monde vivra 100 ans sous médicaments, âge qui deviendra par ailleurs l'âge minimal de mort sous lequel on estimera qu'un homme a raté sa vie alors qu'un bel avenir de légume s'annonçait pour lui.

C'est donc la fête chez les bien-pensants censeurs de joie, qui hypocritement disent défendre les libertés individuelles, et mettent tous les fumeurs dans le même paquet, parmi la catégorie des gens qu'il faut clairement mettre au ban de la société sous peine de voir celle-ci préjudiciée par une pratique insupportablement égoïste et irrespectueuse des pauvres petits poumons des non-fumeurs qui n'osaient plus mettre les pieds dans les bars de peur d'y choper un cancer instantané et de mourir dans les deux jours oh les pauvres.

Nouveaux intouchables, nouveaux détenteurs d'armes de destruction massive, les fumeurs sont insupportable parce qu'ils sont l'image même de la liberté absolue : celle de se faire du mal délibérément, et en en extrayant qui plus est un plaisir non feint — comble de l'outrecuidance —. Regardons-les tirer goulûment sur leurs bâtonnets diaboliques, et expirer la fumeur les yeux fermés, la tête vers l'arrière, tels que les reportages les montrent systématiquement — seul manque alors au portrait un garrot autour du poignet — ; regardons-les allumer leur poison à la sortie du cinéma, des cours, de la boucherie : n'est-ce point là un comportement débile et irresponsable ?

Grâce à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, la santé publique se remettra sur pieds dans les plus brefs délais. Les 70 000 victimes annuelles du tabagisme actif comme passif s'évaporeront soudain dans l'air épuré et libéré de nos villes où l'essence sent certainement la rose puisque personne ne s'en plaint et où le bruit des moteurs, des klaxons, des cris et des travaux ne peut pas être assimilé à de la pollution sonore puisqu'en réalité ce qui se dégage de tout ce joyeux brouhaha sonne comme une musique douce et joyeuse aux oreilles de ceux qui, jusqu'aujourd'hui, ont souffert le martyr avec la fumée de vingt fumeurs à chaque fois qu'ils mettaient les pieds dans un café — et à côté de cette pestilentielle odeur, celle des cent pots d'échappement, qui monte aux naseaux, à peine est-on sorti du lieu où les fumeurs s'adonnent à leur pratique quasi-sexuelle dans le plaisir orgasmique qu'elle semble leur procurer, n'a rien de dérangeant, bien au contraire.

La suite pour demain.
(A vrai dire c'est presque écrit, mais je préfère publier en plusieurs morceaux, parce que la flemme des gens est souvent proportionnelle à la taille de l'article auquel on les confronte — c'est mon cas par exemple : plus un article me semble long, moins j'ai de chances de le lire.)