[Suite de ma traduction de cette excellente nouvelle de Lou Reed, véritable maître, comme vous allez pouvoir le constater.]
Dès le vendredi après-midi, Waldo était entièrement paré. Il s’était minutieusement empaqueté, et le bureau de poste avait donné son accord pour le prendre chez lui à 15 heures tapantes. Il avait marqué le paquet d’un gros « FRAGILE », et en se pelotonnant dedans, installé dans la mousse caoutchouteuse amortissante qu’il avait disposée en prévention, il essaya de visualiser le visage de Marsha où se mêleraient frayeur, admiration et joie au moment où elle ouvrirait la porte, verrait le colis, donnerait un pourboire au livreur et ouvrirait ensuite le paquet pour y trouver son Waldo finalement là, en chair et en os. Elle commencerait par l’embrasser, et puis ensuite, qui sait, ils iraient peut-être voir un film. Il pensait à tout ça, impatient de revoir sa Marsha, et se disait qu’il aurait véritablement dû y penser plus tôt, quand des mains empoignèrent rudement son paquet et le portèrent jusqu’à un camion dans lequel il atterrit avec un bruit sourd avant de se sentir prendre le large.
Marsha Bronson venait juste de finir l’arrangement de sa coiffure. C’avait été un week-end particulièrement dur : elle devait se rappeler de ne plus boire autant. Quoique que Bill avait été très gentil avec elle. Après qu’ils eurent conclu, il lui avait dit qu’il la respectait encore et qu’après tout c’était la nature, et que s’il ne l’aimait pas, il ressentait tout de même de l’affection pour elle. Et puis après tout, ils étaient des adultes. Oh ! tout ce que Bill pouvait apprendre à Waldo ! — mais tout ça, son histoire avec lui, semblait remonter à des années. Sheila Klein, sa meilleure amie parmi les meilleurs, traversa la véranda jusqu’à la cuisine. « Dis donc, il fait très bizarre dehors aujourd’hui ».
«Ah oui, je vois ce que tu veux dire ; je me sens toute poisseuse.»
Marsha serra dans ses poings la ceinture de sa robe de coton, celle avec le revers de soie ; Sheila fit quant à elle courir son doigt à travers quelques grains de sels qui se trouvaient sur la table de la cuisine, le lécha et fit une grimace.
« Je suis censée prendre ces pilules de sel, mais — elle secoua le bout de son nez — elles me donnent envie de gerber .»
Marsha se mit à se caresser sous le menton, un exercice qu’elle avait vu à la télévision.
« M’en parle même pas. »
Elle se leva de table et se dirigea vers l’évier où elle s’empara d’une bouteille de vitamines bleues et rouges pour en avaler deux, une rouge et une bleue.
« T’en veux ? C’est sensé être meilleur qu’un steak. »
Après quoi elle tenta de toucher ses genoux.
« Je pense que je ne toucherai plus jamais à un daiquiri. »
Elle lâcha l’affaire et s’assit, cette fois plus près de la table où était posé le téléphone.
« Peut-être que Bill va appeler », lança-t-elle en réponse au coup d’œil de Sheila qui se grignotait une peau d’ongle.
« Après la nuit dernière, je me suis dit que peut-être tu en aurais fini avec lui .»
« Je vois ce que tu veux dire. Mon Dieu, ce mec est comparable à une pieuvre : les mains partout à la fois .»
Elle gesticula, levant ses bras comme pour se défendre.
« Le truc c’est qu’au bout d’un moment, on en a marre de le repousser, tu vois, et comme après tout il n’a pas fait grand chose vendredi et samedi, je lui devais ça en quelque sorte, enfin tu vois ce que je veux dire. »
Elle commença à se gratter. Sheila riait bêtement avec les mains devant la bouche.
« Je vais te dire, j’ai ressenti la même chose, et même, après un petit moment, — elle se pencha en avant et chuchota — j’en avais envie », et elle se mit cette fois à rire très fort.
C’est à ce moment que M. Jameson du bureau de poste de Clarence Darrow actionna la sonnette de la large porte de bois enduite de stuc qui faisait l’ouverture de la maison.

tags :
posted the 09/12/2006 at 09:22 PM by
franz