Quand les assureurs évaluent notre comportement au volant
En l’espace de cinq mois, Axa, Allianz ou la Maaf ont tous sorti une application mobile analysant notre comportement sur la route. Une étape avant une modulation de la prime d’assurance en fonction de prises de risques au volant ?
On connaissait le concept du « Pay as you drive » qui permet, depuis près de dix ans en France, de proposer des tarifs attractifs aux « petits » conducteurs. Un boîtier GPS servant à vérifier que les forfaits kilométriques ne sont pas dépassés sur la base des données liées aux dates, aux horaires de circulation et au déplacement du véhicule.
Se profile désormais l’étape suivante, le « Pay how you drive », « Vous payez comme vous conduisez ». Il s’agit non seulement de calculer le nombre de kilomètres parcourus mais d’analyser notre comportement au volant. C’est ce que proposera Direct Assurance à ses assurés d’ici la fin de l’année. La filiale d’Axa promettant des réductions allant jusqu’à 30 % pour les conducteurs les plus responsables.
Pour préparer le terrain, Direct Assurance a sorti en juin, YouDrive, une application mobile qui se présente comme un « coach virtuel » pour mieux évaluer notre conduite et surtout l’améliorer. Grâce aux fonctions GPS et accéléromètre du smartphone, quatre indicateurs sont mesurés : l’accélération, le freinage, la tenue de route dans les virages et la vitesse.
A partir de là, l’application établit pour chaque trajet un score sur 100, remonte les points forts et points faibles, ainsi que les gains en consommation de carburant d'une conduite économe. Après coup, l’automobiliste visualise sur une carte à quel endroit il a roulé trop vite ou il a freiné trop brutalement. Depuis, d’autres assureurs ont emboité le pas. Sur le même modèle, la Maaf a lancé Ecorouleur, son appli éco-conduite. Allianz propose, lui, des cours de «conduite connectée» avec TomTom. Tandis, qu'inversement, Coyote se lance dans l'assurance auto.
Conduisez-vous comme un bon père de famille ou un pilote de F1 ?
L’appli d’Axa va plus loin en proposant, au-delà du scoring, un système d’alerte qui analyse les conditions du trafic. L’utilisateur renseigne ses adresses courantes, et les heures auxquelles il souhaite impérativement arriver. L’appli scanne les données et conseille, par exemple, de partir 10 minutes plus tôt à un rendez-vous si le trafic est plus dense que d’habitude. Ce qui donne la possibilité au chauffeur de conduire en toute tranquillité, sans stresser.
L’assureur affirme avoir travaillé depuis plus d’un an sur Axa Drive. « Il ne s’agit pas d’une opération ponctuelle, avance Thierry Fabing, directeur digital adjoint d’Axa France. Nous voulons mettre à la main des conducteurs un outil de prévention en identifiant les éléments du parcours où le risque apparaît. »
Pour Nicolas Le Berrigaud, actuaire consultant assurance dommages au cabinet Optimind Winter, les sociétés d'assurances remettent la prévention au cœur de leur métier avec ce type de services innovants. C’est aussi un moyen de mieux prendre en compte le risque qu’elles assurent – est-ce que l'assuré conduit comme un bon père de famille ou comme un pilote de F1 ?. « C’est un pari gagnant-gagnant. Les jeunes conducteurs qui sont à la fois les plus connectés et ceux qui paient les primes plus élevées sont principalement visés par Direct Assurance. »
Mais à terme, selon Nicolas Le Berrigaud, ce rôle de prévention concernera tout le monde. « On pourrait imaginer qu’une société d’assurances propose des stages de perfectionnement aux assurés qui n’obtiennent pas de bons scores afin améliorer certains aspects de leur conduite. »
Les assureurs, des brokers de données ?
Pour autant, est-ce que cette collecte de données relève du métier de l’assureur ? « Le métier de base d’un assureur c’est de couvrir des risques et il doit donc l’appréhender et le comprendre pour donner un prix à la couverture qu’il propose, rappelle Nicolas Le Berrigaud. La collecte de données est pour lui un moyen d’appréhender le risque mais pas son objectif. Si les constructeurs autos ou d’autres acteurs sont capables de leur remonter ses données, ils seront je pense d’accord. A moins que les assureurs se diversifient en devenant brokers de données. »
A l’inverse, est-ce que des acteurs comme Google et Apple peuvent devenir des fournisseurs de données pour les assureurs ? Si l’essor de la voiture connectée va créer des interactions entre les acteurs traditionnels et les nouveaux, Marc Dupuis, directeur métier digital au cabinet Optimind Winter, n’y croit pas. « La donnée, c’est effectivement l’expertise des GAFA mais ce sont des généralistes. Les constructeurs automobiles sont plus légitimes à collecter et analyser les données venant de leurs véhicules. Constructeurs et assureurs sont également des partenaires historiques dans la prévention routière. »
Thierry Fabing ne se sent pas d’ailleurs en concurrence avec Car Play (Apple) ou Android Auto (Google). « Ce sont des OS pour des tableaux de bord permettant de répliquer sur cet écran les données des smartphones. C’est bien si cela vient aider le conducteur et que l’on ne tombe pas dans infotainement qui pourrait le distraire. »
Prêt à avoir un mouchard dans votre voiture ?
Si ces applis gratuites de conduite assistées sont appelées à se diffuser dans le grand public, la modulation de la prime d’assurance en fonction du profil de conduite nécessite, elle, la présence d’un boîtier dans le véhicule afin de disposer de données plus fines et fiables.
Enregistrant tous les déplacements, ce dernier pourrait être perçu comme un nouveau big brother.
Par ailleurs, les cotisations en France se situent dans la fourchette basse contrairement en Italie où les Pays-Bas ou drive connaît un plus grand succès. « Les primes d’assurance auto étant très élevées en Italie, avoir une ristourne de 10 ou 20 % sur une prime de 1500 euros, ce n’est pas neutre », observe Marc Dupuis. Notons aussi que le système de bonus-malus incite déjà les conducteurs à adopter une conduite vertueuse.
Enfin, cette individualisation des tarifs va à l’encontre du principe de mutualisation des risques qui est le fondement du métier d’assureur.