Partie 1
Il était quinze heures ce jour là dans ce centre commercial là et aucun expert, même le plus aguerri, qui eût examiné l’escalator D quelques instants avant le drame n’aurait pu prévoir ce dernier. Car « la catastrophe de l’escalator D » n’avait pas de coupable, pas de responsable.
Dix années plus tard, les médias continueraient de donner la parole, chaque année, aux familles des victimes qui répèteraient inlassablement, désemparées par les conclusions de l’enquête, qu’elles voulaient que « justice soit faite », si ce n’est « pour obtenir des indemnités », au moins « pour que cela ne se reproduise plus jamais ». A une question de David Pujadas lui demandant « ce que vous désirez aujourd’hui », une femme répondrait, avec une conviction qui dissimulerait mal son émotion, qu’elle n’a pas « tourné la page » et que « la plaie est toujours béante ».
Vingt-quatre personnes se trouvaient ce jour-là sur l’escalator D, celui qui permettait de monter du rez-de-chaussée jusqu’au premier étage du centre commercial. Il y avait là une femme avec ses enfants turbulents, des personnes âgées avec leur petit chien, un couple de lycéens en école buissonnière, un étranger en situation irrégulière, un homme avec sa maîtresse, deux chômeurs, deux ouvriers, un médecin, et d’autres choses encore. Leur nom est désormais gravé sur une plaque de marbre installée au pied de cet escalator, pour que personne n’oublie. Ils ne se connaissaient pas, mais le destin allait tous les lier dans l’horreur.
Michel était là, aussi. Il serait le seul survivant. Il raconterait, pour les générations suivantes, la catastrophe. A quinze heures donc, alors qu’il parcourait les derniers mètres avant d’atteindre l’étage où se trouvait son magasin de jeux vidéo, Michel sentit les marches de l’escalator cahoter. L’escalier automatique s’arrêta net. Plusieurs personnes perdirent l’équilibre en tombèrent en essayant de se raccrocher à celle qui se trouvait juste devant. Un murmure parcourut la petite foule. « Ce n’est qu’une panne passagère, ça va redémarrer », dit une vieille femme à son amie pour la rassurer, et se rassurer aussi.
Deux minutes passèrent ainsi. Des gens commençaient à s’impatienter. Pas Michel, qui avait pour principe de ne jamais s’alarmer, quelle que fût la situation. Contrairement au commun des mortels, Michel ne courait pas après les bus pour ensuite remercier, d’une voix chevrotante, le chauffeur qui l’avait attendu. Michel ne s’énervait pas quand le train avait du retard, il comprenait les contraintes techniques du personnel de la SNCF. Michel ne défendait pas sa place quand une vieille le grugeait dans la file d’attente du supermarché. Après tout, se disait-il, je ne suis pas à cinq minutes près, et si cela soulage la vie de cette pauvre vieille solitaire, et bien que cela soit ainsi.
Michel était un exemple de stoïcisme, il se le disait lui-même à ce moment précis, en voyant ses concitoyens perdre patience sur l’escalator D. Mais lui-même commença à s’inquiéter quand il réalisa que dix minutes — déjà — avaient passé depuis l’arrêt complet de l’escalator. Celui-ci durait anormalement. Quelque chose de grave est en train de se produire, pensa-t-il sans se départir du calme de façade qu’il affichait en toute circonstance…
A suivre…
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