Première partie.
… QUAND SOUDAIN, alors que rien ne le laissait présager, Michel, marchant du pas caractéristique de la gazelle ignorant le guépard qui la scrute depuis un bosquet, se retrouve avec un chewing-gum collé sous la semelle gauche ! On imagine sans peine la surprise qui s’empare de notre héros quand son pied gauche refuse obstinément de se lever avec la même aisance que son compère de droite.
« Bordel de couille ! » : c’est le juron qu’il laisse échapper, bien malgré lui, dans un accès d’énervement.
Un regard teinté d'effroi : c'est celui que lui lance une femme qui passe par là avec une poussette dans laquelle bave rêveusement un bébé labrador.
Voilà donc notre Michel, de nouveau victime du destin qui s’acharne sur lui comme Frédéric Lefebvre sur l’intelligence humaine [1]. Claudiquant, il traverse le pont des Fusillés, chef d’œuvre d’architecture dont peut s’enorgueillir, à l’aise, la ville de Nancy. Le réalisateur Wes Anderson est là, qui immortalise la scène en exécutant un traveling latéral : la silhouette de Michel boitille et se détoure dans la lumière du soleil rougeoyant à l’aube du crépuscule.
Quelques dizaines de mètres parcourues et c’en est trop. En dépit de ses efforts répétés pour se débarrasser de l’encombrante boule de gomme irrémédiablement fixée à sa semelle, Michel doit dresser un triste bilan. Frotter la chaussure contre le rebord du trottoir n’a servi à rien. La plonger dans une profonde flaque d’eau non plus, si ce n’est à l’inonder. Cerise sur la loose : en levant les yeux au ciel pour déplorer que Dieu lui fasse subir ce calvaire, Michel a foutu le pied gauche dans un autre chewing-gum molasse. La situation est désespérée. Il ne reste plus beaucoup de solutions… sauf peut-être une. Et là, croyez-moi ou non, ladite solution apparaît miraculeusement sous les yeux esbaudis de Michel — qui s’apprêtait à sortir son ancre pour se jeter dans le canal de la Meurthe.
Un gros postérieur se fait jour à quelques mètres devant notre héros. Bon sang mais c’est bien sûr ne saurait mentir ! s’exclame-t-il. Il n’y a qu’à lancer un bon coup de pied dans ce derche tout offert à sa semelle et il va sans dire que
Pardon, mais ça allait sans dire. Je ne l’ai donc pas dit. Eh oui, je suis logique moi les mecs. Je ne me fais pas baiser par les astuces de la langue française, moi.
Il va donc sans dire qu’un coup de panard bien senti dans ce gros postérieur devrait permettre à Michel d’opérer un transfert de chewing-gum, le faisant passer du dessous de son pied au dessus de ce derrière — lequel va, tout ignare, au devant de graves à-côtés.
Alors vous voyez Michel armer son coup, lever doucement son pied, lancer un clin d’œil à la caméra de Wes Anderson, pour enfin envoyer tout la force qu’il se connaissait au bout de son gros orteil qui s’abat impitoyablement sur sa victime.
Un instant d’étourdissement. Projeté à terre par la puissance de sa frappe chirurgicale, Michel voit des étoiles tourner autour de sa tête. Il reprend ses esprits et regarde devant lui, espérant constater la réussite de son opération. Horreur : le gros postérieur a disparu. Il se trouve quelques mètres plus loin, échoué sur un pare-choc, visiblement en état de commotion. A peine Michel a-t-il eu le temps de réaliser l’horreur de l’acte qu’il vient de commettre, qu’à ses oreilles résonnent ces mots : « Police municipale ! » Il est en état d’arrestation. Menotté pour être conduit au commissariat, il trouve son pied gauche étrangement léger alors qu’on l’amène vers la 207 policière. Soulagement : son chewing-gum se trouve sur le gros derche. Il n’a pas tout perdu. Reste à se défendre convenablement lors de sa comparution immédiate.
Pour savoir si Michel parviendra à se défendre convenablement face à la machine judiciaire française, je vous invite à lire la suite lorsqu’elle paraîtra.
[1] Voir les précédentes mésaventures de Michel.

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posted the 04/09/2010 at 07:20 PM by
franz