Résumé de l’épisode précédent : Le corbeau fait tourner Michel en bourrique. Notre héros demeure menacé de lire les éditos de Philippe Val jusqu’à la fin de ses jours s’il n’obéit pas aux injonctions du détraqué. Qui est ce maître-chanteur qui joue avec des vies humaines ? Cette dernière partie lève le voile sur son identité.
3.
Vers 7 heures, au terme de la pire nuit de sa vie, durant laquelle il n’a pas fermé l’œil une fois, même pas pour le réhydrater, Michel se lève du pied que l’on peut imaginer : le droit, comme d’habitude.
De quelle façon le corbeau va-t-il se manifester aujourd’hui ? Il s’interroge tandis qu’il épluche sa pomme, sa poire, sa clémentine, son orange et sa pêche tout en secouant frénétiquement les jambes et les bras (ce qui complexifie sa tâche, vous pensez bien) après qu'un encart télévisuel lui a asséné qu’il doit bouger son corps et manger cinq fruit et légumes par jour pour rester en bonne santé, et la santé Dieu sait comme c’est important, lui qui est immortel.
Michel entreprend de réfléchir à l’identité de son maître-chanteur. Qui est-il ? Voilà en substance la question qu’il se pose. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un anarchiste autonome d’ultragauche ? C’est une hypothèse à envisager, bien sûr, depuis que Michèle Alliot-Marie a signalé la prolifération de cette catégorie de population peu encline au dialogue démocratique. Mais Michel ne sait pas vraiment ni ce qu'est un anarchiste, ni ce qu'est un autonome, ni ce qu'est l'ultragauche, et encore moins ce qu'est Michèle Alliot-Marie.
Tandis que Michel secoue ses méninges comme les candidats de Motus secouent les boules jaunes et noires en espérant ne pas en tirer une noire (quoique cela n’ait rien à voir avec du racisme), la sonnette de son appartement retentit. Il est 7h30, c’est bien trop tôt pour le facteur : cela ne peut être que le corbeau ! Alors Michel chausse en seconde vitesse (Michel n’est pas un bolide et ne dispose que de deux vitesses) ses patins Félix le chat et au lieu de décrocher l’interphone il se précipite dans la cage d’escalier de son immeuble pour descendre aussi vite que possible les 75 marches qui le séparent du rez-de-chaussée, avec l’espoir de saisir le coupable la main dans la boîte à lettres.
Las ! Lorsqu’il parvient au sas de l’immeuble, il ne trouve personne. Il ouvre sa boîte et comme il pouvait le craindre s’y trouve un petit papier :
« Prends ta voiture et rends-toi, cette nuit à deux heures, à Grimonviller. Cherche sur Google Maps.
Signé : le corbeau »
Michel n’a aucune idée de ce que peut être Grimonviller mais puisque le corbeau lui conseille de se renseigner via Google Maps, il remonte immédiatement chez lui et se connecte au Net afin de prendre connaissance de l’itinéraire qu’il devra suivre. Il constate que Grimonviller est un village qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de chez lui et qu’il devra passer par des petites routes pour s’y rendre, comme en témoigne
ce plan (cliquez)
Il remarque par ailleurs que sa boîte de réception signale un mail non-lu. La frayeur s’empare de lui comme une araignée de sa proie lorsqu’il observe que l’adresse de l’expéditeur est corbeau@yahoo.fr. Voici la teneur du courriel :
« Suis ce lien et tu en sauras (un peu) plus sur moi :
http://fr.youtube.com/watch?v=RSsJ19sy3JI
Cordialement, le corbeau. »
Michel ne sait comment agir : doit-il cliquer, sachant que le maître-chanteur est susceptible d’avoir dissimulé un virus quelque part ? Partagé entre curiosité et prudence, il finit par cliquer sur le lien et vous seriez avisé de le faire si vous voulez savoir ce qui l’attend.
Le sens de tout ce pataquès échappe à Michel. Mais à peine a-t-il finit de regarder la vidéo qu’un nouveau mail, lui aussi provenant du corbeau, lui parvient :
« You got rickrolled ! Ha
Ha
Ha
A cette nuit
Te priant d’agréer, signé : le corbeau et ses
Sentiments distingués.»
La journée s’écoule, aussi longue que peut l’être une journée d’angoisse. Michel ne parvient pas à se changer les idées malgré tous ses efforts pour y parvenir.
Arrive enfin minuit, heure à laquelle il a décidé de partir pour s’assurer de ne pas être en retard. En passant devant sa boîte aux lettres, le sentiment que quelque chose d’important s’y trouve l’étreint : il ouvre et dedans découvre un pli. Sur le dessus, il peut lire :
« Voici de quoi accompagner ton voyage. Bonne écoute.
Signé : le corbeau ».
Dans l’enveloppe il y a un disque d’apparence vierge (mais il ne faut pas se fier aux apparences de virginité, on sait qu’un époux a récemment souffert de découvrir que sa femme fraîchement mariée ne correspondait pas à ce que la publicité lui avait promis). Michel monte en voiture et insère la galette dans son autoradio.
Il roule quelques minutes sans savoir quelle est la musique qu’il entend. Elle le déprime mais dans l’attente d’un signe, il ne veut pas la couper. Trois chansons passent et puis débute la quatrième : elle s’appelle The Rip. L’album que le corbeau a donné à Michel, je vous le dis, s’appelle Third, il est de Portishead et a paru en 2008.
Ecoutez cette chanson pendant que se conclut cette histoire.
Il y a donc ce morceau très triste et Michel qui se rend compte que les routes sont toujours plus étroites et sinueuses à mesure qu’il s’enfonce dans la campagne. Autour de lui, dans les vergers en pente, les mirabelliers dénudés se déhanchent et jettent leurs branches squelettiques vers le ciel. Au sommet de la colline de Sion, on voit la statue de la vierge illuminée. Comme dirait Belmondo : c’est joli la campagne.
Concentré sur la route et inquiet pour son avenir, Michel ne repère pas immédiatement l’ombre noire qui s’est glissée dans le faisceau de ses phares devant sa voiture et qui plane maintenant au-dessus du bitume à la hauteur de son pare-choc. Mais soudain cette présence le heurte. Ses yeux se fixent dessus et tentent de faire le point pour analyser la nature de cette chose : quelques secondes lui sont nécessaires pour parvenir à la conclusion qu’il s’agit d’un grand oiseau noir. Et plus nécessaires encore sont les quelques secondes supplémentaires dont il a besoin pour prendre conscience qu’il a oublié de regarder la route, laquelle ne se trouve d’ailleurs plus sous ses roues vu que sa voiture a commencé de plonger le long d’une pente plutôt raide qui se trouvait là, à gauche, là vers quoi l’ombre a guidé les yeux hypnotisés de Michel alors qu’il abordait un virage.
De peur, notre héros ferme les yeux : le véhicule heurte le sol puis s’envole, heurte à nouveau le sol puis rebondit encore, et enfin heurte le sol une dernière fois avant de laisser voir à Michel rouvrant les paupières le mur d’une maison, juste là à deux mètres devant lui, et entre lui et cette maison, toujours le grand oiseau noir planant dans le faisceau de ses phares. Le véhicule s’écrase contre le mur et écrase Michel tout entier avec lui.
Ne nous faisons pas d’illusions : Michel n’en réchappera pas. Mais alors qu’il va fermer les yeux pour se laisser entraîner vers le néant, le grand oiseau noir se pose devant lui sur le capot compressé. C’est alors qu’à travers le pare-brise fissuré de toutes parts, Michel distingue dans sa serre droite un morceau de papier froissé, lequel est griffonné de ces quelques mots :
« You got rickrolled again !
Signé : le corbeau »
Et le corbeau, grand, noir et majestueux, s’envole en faisant un kwak kwak sardonique, abandonnant au passage un fromage à un renard qui passait là et qui s’apprêtait à le fayoter sur son plumage et son ramage.
Soulagé de n’avoir pas à lire les éditoriaux de Philippe Val jusqu’à la fin de ses jours mais tout de même peu satisfait de la situation dans laquelle il se trouve, Michel jure alors, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendra plus.