On avait déjà pu observer, avec l’affaire Bigard, combien certains journalistes étaient prompts à s’élever contre les « dérapages » dès lors que quelqu’un remettait en cause la pensée majoritaire qu’ils s’échinent, sans doute inconsciemment d’ailleurs, à promouvoir.
Aujourd’hui, c’est Renaud Revel, l’expert en médias de l’Express — pour que les choses soient claires : dans la presse française, le rôle d’un expert en médias est le plus souvent de commenter des audiences et de défendre les journalistes contre des attaques toujours injustifiées —, qui
s’élève tout haut contre un dérapage de Jean-Luc Mélenchon (cliquez), sénateur socialiste. (Les médias classent Jean-Luc Mélenchon « à la gauche du PS » parce qu’il faut bien qu’il y ait des gens un peu de gauche dans ce parti, sinon plus personne n’y croira.)
Renaud Revel entame son billet comme ceci : « Invité de l’émission politique de Canal+, Dimanche+, le socialiste Jean-Luc Mélenchon a totalement dérapé ce week-end ». Qu’a donc fait M. Mélenchon pour que Renaud Revel prenne la plume et développe sur son blog un argumentaire qu’il aurait tout aussi bien pu faire tenir sur un ticket de métro ? Aurait-il nié les attentats du 11 septembre ? Aurait-il mis en doute les chiffres du tabagisme passif ? Aurait-il traité un adversaire politique de connard ?
Non. Le crime de Jean-Luc Mélenchon est le suivant : il s’en est pris « au « personnel médiatique et économique », accusé d’avoir plongé le monde dans la crise. « Il faut virer le personnel médiatique et économique, qui nous a conduit dans le mur », a t-il lancé, avant de s’en prendre directement à un journaliste de TF1, désigné à la vindicte: « ll faut virer quelqu’un comme Jean-Marc Sylvestre, le chroniqueur économique de TF1, qui depuis des années, ne fait pas de l’info sur TF1, mais de la propagande ».
Quelle impudence ! S’en prendre au personnel médiatique et économique, faut-il être inconscient. M. Mélenchon devrait savoir une chose : les journalistes ont le droit de s’en prendre tant qu’ils veulent à tous les personnels qu’ils désirent, qu’ils soient politiques, artistiques ou cheminots. Mais personne, oui personne, n’a le droit de s’en prendre au personnel journalistique et économique. Même lorsque l’attaque est justifiée dans la mesure où oui, en effet, les chroniques de Jean-Marc Sylvestre sont de purs produits de propagande, comme l’a démontré à plusieurs reprises l’organisation Acrimed (voir ces deux articles, par exemple :
http://www.acrimed.org/article2528.html et
http://www.acrimed.org/article1120.html).
Sans avoir avancé le moindre argument pour contrer l’assertion de Jean-Luc Mélenchon (pas plus argumentée, il faut bien le dire, mais peut-être cela est-il lié aux contraintes de temps imposées par la télévision), Revel fouille dans sa mémoire et en exhume une sombre époque :
« Ce type de sortie rappelle les fatwas de 1981, quand la gauche excommuniait une partie de la profession et organisait des charrettes dans l’audiovisuel. Que ferait Mélenchon s’il était en situation de gouverner ? Des listes noires à l’entendre. La charge est en tous les cas peu reluisante et caricaturale.»
Peu reluisante et caricaturale, la charge de Mélenchon ? Peut-être. Mais sans doute pas autant que celle-ci, signée Jean-Marc Sylvestre, citée par Acrimed dans un article dont j’ai donné le lien plus haut :
« Ensuite parce que les mouvements ont, je crois, perdu un peu de leur légitimité. On l’a vu : la grève d’aujourd’hui est essentiellement conduite par des personnels de la SNCF et de la RATP qui ne sont pas directement touchés. Dans ces conditions, les usagers n’acceptent pas d’être pris en otage.
Enfin, on sent bien qu’il n’y a pas de vrai contre-projet, pas d’alternative cohérente à cette réforme.»
Alors, qui lance des fatwas ? Jean-Luc Mélenchon, tout seul sur le plateau de Dimanche+, ou bien l’écrasante majorité de nos éditorialistes qui dénoncent, semaine après semaine, les « islamo-gauchistes », les « eurosceptiques », les « privilégiés » (entendons-nous bien : nous parlons ici des cheminots, pas des gens payés 70 000 par mois pour présenter un JT) et qui voient de l’antisémitisme dans tout discours critiquant le libéralisme ?
Cela dit, je crois en effet que l’attaque de M. Mélenchon est injustifiée. De fait, il est bien possible de dire que Jean-Marc Sylvestre est à l’origine du désastre économique que connaît le monde aujourd’hui. Mais il est impossible de dire qu’il en est responsable ! Un peu de contexte s’impose pour bien comprendre ce dont il s’agit.
Jean-Marc Sylvestre était, jusqu’en juin dernier, le chroniqueur économique de France Inter. Il y professait le matin, avec toujours le même bonheur, les lois de l’économie de marché. Mais cette saison, la station n’a pas renouvelé son contrat. La conséquence s’impose d’elle-même : les acteurs du libéralisme ont perdu leur voix, leur porte-drapeau.
Comment, dès lors, garder confiance ? La crise était prévisible depuis longtemps mais grâce aux chroniques de M. Sylvestre, les marchés se prévenaient de la panique en se disant que tout allait s’arranger car le libéralisme s’ordonne naturellement, vu qu’il est intrinsèque au monde. Or, que s’est-il passé depuis que la voix suave de M. Sylvestre a disparu des ondes de France Inter ? Des krachs, des lundis noirs, un bordel en pagaille. La conclusion ne fait guère place au doute : un mois sans les éditos de M. Sylvestre ont à n’en pas douter « plombé le moral des marchés » qui peinent aujourd’hui à « retrouver la confiance ».
Ainsi, je crois qu’il n’y a qu’une solution à préconiser si l’on veut voir la croissance redevenir positive : France Inter doit réembaucher Jean-Marc ! Au reste, suite aux provocations de M. Mélenchon, n’a-t-on pas vu aujourd’hui le CAC40 se reprendre et finir en hausse de 11% au moment où le cœur de Guillaume Depardieu subissait un krach cuisant et perdait 100% de sa valeur ? Une attaque injustifiée contre Jean-Marc a rappelé à tous qu’il est la lumière à suivre pour sortir de la crise.
Je crois pouvoir le dire : c’est grâce à Jean-Marc Sylvestre qu’il n’y a plus grand-chose de pourri dans ce royaume.