(Voici le premier chapitre d’une série littéraire qui allie fantastique, action, folklore français et plein d’autres choses encore. J’aimerais, idéalement, proposer trois ou quatre épisodes de 120-150 pages chacun se focalisant sur les aventures du duo du PEFF, Félix Potelin et Georges Dubuisson. Ce premier épisode, que j’aimerais voir publier aux éditions Walrus, se focalisera sur les loups garous.).
Félix Potelin était prêt. Son pistolet à silex dans la main droite, il attendait patiemment le moindre mouvement ou bruit suspect. Si un loup-garou hantait le village de Le Faou, il n’y avait qu’à l’église Saint-Sauveur que Félix et son compagnon Georges pouvaient le voir.
Trois jours, trois longues journées à déambuler dans ce petit bout de Bretagne, à glaner ici et là les témoignages des autochtones sur un éventuel loup-garou qui apparaîtrait le soir, tard, se faufilant dans les ruelles.
A son actif, un mort. Un certain Pierre Grenier, métayer de son métier. Un brave homme, tout ce qu’il y a de plus ordinaire et tranquille. Corps introuvable mais des traces de sang et des poils retrouvés dans la maison. Pourquoi lui ? Pourquoi cette rumeur de loup-garou ? Il était encore trop tôt pour éclaircir cet épais brouillard dans lequel étaient plongés nos deux représentants du PEFF (Protection et Encadrement du Folklore Français).
Vous y croyez vous ? lança Georges Dubuisson à Félix Potelin tout en terminant un saucisson qu’il avait acheté une heure plus tôt à l’auberge où ils dormaient.
Si j’y crois ?
Une fois sur deux, c’est d’la blague. On nous appelle pour des clopinettes. Rien qu’un animal ou que sais-je, des hallucinations, rien d’excitant, m’enfin, bou comtrenez…
Pas la bouche pleine, combien de fois dois-je vous le répéter Georges !
Hum…moui, moui, Félix avala d’un coup le reste du saucisson. Enfin, j’veux dire depuis trois jours qu’on est là, on a pas vu le moindre loup-garou, loup ou bêtes à poils. A part les chats du village bien sûr.
Georges partit de son gros rire, une explosion sonore qui résonna dans toute l’église. Le brave homme, court sur pattes, corseté dans son gilet bien trop petit pour son corps de Gargantua, se trémoussait à faire gigoter chaque parcelle de graisse qui constituait son cou flasque.
Georges ! chuchota avec le plus de sécheresse possible Félix. Taisez-vous, si vous pensez que nous allons avoir des résultats en ameutant tout le quartier. Vous vous fichez le doigt dans l’œil mon ami. Remballez votre casse-croûte et sortez plutôt « la » lunette.
Très, très bien Félix, je ne voulais pas….Georges se fit tout petit en ouvrant un des coffrets au sol.
Le PEFF ne sera probablement pas mentionné dans les livres d’Histoire, certains le nieront, d’autres n’en parleront que comme s’il s’agissait d’un mythe pour enfants. Pourtant, si vous me faites confiance, et vous devriez je vous l’assure, je vous demande de croire en cette unité si particulière. En cette poignée d’hommes qui sous Napoléon III fut mandatée pour résoudre tout problème anormal dans les contrées de France. C’est dommage, j’avais justement un ordre de mission du PEFF, là, sur mon bureau, je l’avais bien archivé mais impossible de remettre la main dessus….
Bref, certains pensent que les sorcières, les farfadets ou les loups garous ne sont rien d’autres que des inventions pour les esprits simples. Mais, je vous le dis moi, en l’an de grâce 1860, en France, le fameux service dirigé par Charles Poirette venait d’envoyer pour leur neuvième mission le duo Félix Potelin et Georges Dubuisson.
Si certaines complémentarités sont manifestes, il faut bien le dire le duo que formait Georges et Félix n’avait rien d’évident. Gendarme multi-décoré, Félix était l’archétype de l’homme moderne du XIXème siècle. Fringant, toujours bien habillé, maniant aussi bien le pistolet à silex que le sabre, un esprit scientifique toujours prêt à se confronter aux phénomènes inexplicables, il n’avait pour seul défaut qu’une incompréhensible timidité auprès des femmes. Le bel homme était un empoté de première face à la moindre donzelle.
De son côté, Georges incarnait une sorte de survivance moyenâgeuse des siècles précédents. Bon vivant, toujours prêt à rigoler, il lui manquait à peu près tout ce qu’avait Félix. Du sérieux, de l’intelligence et une forme athlétique. Heureusement pour lui, il savait parler aux femmes.
Alors, qu’est-ce que vous voyez Georges ?
Toujours rien, faut dire qu’avec cette nuit et sans l’éclairage de nos villes, c’est peine perdue.
Les lunettes, activez les lunettes.
Ah oui…Georges farfouilla les multiples boutons ornant le prototype sur lesquel le service Recherche et Développement du PEFF avait greffé un petit viseur rouge ainsi qu’un jeu de lentilles permettant de faire ressortir la chaleur développé par tout corps vivant.
Le service Recherche et Développement fournissait régulièrement à ses agents les technologiques les plus pointues. Evidemment secrètes, elles n’étaient pensées que pour aider à la résolution des problèmes paranormaux de notre beau pays. Mais je sens que je vous ennuie un peu avec tous ces détails, retournons plutôt du côté de ce petit village de Bretagne.
Ah…Georges se releva légèrement. Je crois, je crois que j’ai quelque chose.
Quoi ?
Une forme, une forme étrange…oui…c’est un homme, non, attendez, il se rapproche. Georges effectuant une légère rotation sur la partie droite des lunettes agrandit son champ de vision. Ce n’est pas un homme…c’est, c’est un animal…Un loup-garou !
Donnez, Félix lui arracha les lunettes des yeux, oui…vous avez raison. Pas trop de bruit, prenez votre carabine et vos balles en métal. Descendez et passez derrière l’église, je vais suivre la bête en passant par les toits.
Félix enjamba la fenêtre conduisant vers le toit de l’église. D’un pas léger et assuré, il parcourut plusieurs mètres sans la moindre gêne, malgré un terrain pentu. La bête venait de pénétrer dans une petite ruelle, à deux rues de l’église. De peur de la perdre de vue, Félix se mit à activer la cadence, sortant de sa bandouillère un grappin électrique il tira sans même s’arrêter en direction d’une cheminée. Un petit « ploc » vint accueillir le grappin de métal.
De son côté, Georges venait tout juste d’arriver en bas de l’église, sa carabine lui fouettait les fesses, des gouttes de sueur commençaient à perler de son front. Georges jurait dans sa barbe tout en courant en direction de la ruelle dans laquelle venait de disparaître le loup-garou. Le village était calme, pas une âme dehors, même la taverne semblait fermée.
Georges, l’oreillette en métal que portait Georges, obligation de service, fit entendre au-delà des grésillements habituels la voix de Félix.
Oui, oui, je vous entends, murmura-t-il, pas besoin de crier, je déteste ce truc.
Etes-vous dans la ruelle ?
Pas encore…ça y est. Je l’vois. Il est près du cordonnier…il, il s’avance. Il vient de rentrer dans la maison de Grenier. Qu’est-ce qu’il vient faire ?
Passez par derrière la maison de Grenier, je vais tenter de me faufiler par la cheminée. Nous l’aurons pas surprise.
De bond en bond, Félix arriva enfin sur le toit de la maison. Le tueur revenait-il voir sa victime ? Félix arma d’une balle en métal son pistolet à silex. Il allait falloir être rapide. Un loup-garou possède, à ce que l’on dit, une détente bien plus puissante qu’un être humain. Georges, carabine à l’épaule, foula de ses gros pieds quelques plants de tomates et variétés de salades. De sa grosse main, il leva le loquet de la porte de derrière, une petite lumière semblait provenir du salon.
Ah, j’en profite, je viens tout juste de retrouver mon papier, j’espère que je n’interromps pas trop l’action. Bref, je vous recopie donc cet ordre de mission propre au PEFF. Après ça, si on vient me dire que je mens, je ne vois pas comment vous convaincre.
Mission 10 – Binôme : Georges Dubuisson et Félix Potelin
Messieurs,
En qualité d’agents du PEFF, glorieux serviteurs de notre empereur, protecteur du peuple de France, sentinelles vigilantes à tout événement étrange, je vous confie une mission de la plus haute importance à Le Faou, petit village de Bretagne.
Plusieurs de nos citoyens ont évoqué auprès de la gendarmerie quelques troublantes apparitions d’un loup-garou. Les gendarmes, fort heureusement, ont classé sans suite ces rapports. Grâce à notre service courrier, nous avons pu intercepter ces étonnantes plaintes des villageois.
Comme d’habitude, vous agissez dans le secret le plus total. Je compte sur votre discrétion, toute fuite n’engagera que votre personne, le PEFF n’ayant aucune existence légale.
L’équipement habituel du service Recherche et Développement est à votre disposition.
Salutations distinguées,
Charles Poirette – Directeur général du PEFF
Jean Grenier avait disparu brutalement il y a quatre jours de cela. Pas le moindre message, ni le moindre indice. Juste des témoignages parlant d’une certaine fatigue. Grenier avait-il été inquiété par un quelconque maître-chanteur ? Les gens du village, autant amateur de ragots que de bons vins, ne cessaient de parler ces derniers temps d’un groupe de contrebandiers déambulant dans les environs.
Toujours est-il que Georges était désormais de plain-pied dans la maison de grenier. L’agent du PEFF ralentit sa marche tentant autant que sa corpulence le permettait de se glisser sans le moindre bruit jusqu’au salon éclairé. Suant à grosses gouttes, ce gros enfant du bon dieu arma de son pouce disproportionné le chien de son fusil.
On pouvait suivre à la trace l’intrus, des poignées de poils formaient un chemin dérisoire vers la cuisine, dans l’angle mort du salon. Déglutissant avec lenteur, Georges n’approchait plus qu’à pas mesurés, le fusil bien calé dans le renfoncement de son épaule.
Où en êtes-vous ?, chuchota l’oreillette métallique de Georges
Pas si fort, susurra le bonhomme. L’animal a dû se nicher dans la cuisine. Vous êtes dans la maison ou encore dans le conduit ?
..
Avant même que la phrase ne soit terminée, Georges entendit un énorme bruit en direction de la cuisine. Tirant par réflexe, la balle arracha un morceau de la cloison qui le séparait probablement de l’animal. Le temps de réarmer, notre agent vit bientôt foncer sur lui une forme poilue couvrant un temps la faible lumière du salon. Sans même réaliser ce qui venait de se passer, notre homme se retrouva en l’espace d’un instant sur son royal postérieur, le fusil voltigeant à l’autre bout de la pièce.
Une seconde à peine s’était écoulée que Felix apparut dans le champ de vision de notre agent à terre. Claudiquant, la jambe droite du pantalon déchirée, un pistolet à silex à la main et une certaine expression de haine sur le visage, le gentleman s’arrêta juste au-dessus de Georges.
Où est la créature ?, lâcha-t-il entre ses dents.
..
Pas le temps de rêvasser, suivez-moi, lança Félix en soulevant d’un coup sec les quelques 90 kilos de son associé.
La course avait quelque chose d’inégale et de presque risible. Un grand échalas sorti avec rage d’un conduit de cheminée, le veston à moitié couvert de suie et un éléphant rose tâchant de rattraper son retard en maudissant le bœuf bourguignon ingurgité il y a une heure de cela…et en face, loin, trop loin déjà, une bête courant de toutes ses forces.
Une décision s’imposait, Félix sentait bien qu’il ne pourrait pas rattraper cette fulgurance, chaque avancée étirait la chaire à vif de son mollet droit. S’arrêtant fermement, positionnant son pistolet dans l’axe de son oeil, Félix retint sa respiration. Le tir fut net et précis. Un « ploc » lointain signala que la cible venait d’être atteinte, le cri sourd qui suivit ne fut qu’une anecdotique confirmation.
Alors qu’il s’apprêtait à tirer à nouveau, Félix entendit un déclic dans son dos. Georges venait d’armer le lance-grenades B-32. La scène mériterait un tableau tant le visage de Félix résumait à lui seul l’horreur qui allait s’abattre sur le village dans exactement trois secondes. Un, deux…
Partant en arc de cercle du fait d´une visée plus qu’approximative, la grenade vint se loger sous les combles d’une maison à l’angle de la rue la plus proche. Félix s’empressa, malgré une jambe sanguinolente, de ruer de coups la porte de la demeure ciblée malgré elle. « Sortez » hurla-t-il. La seconde qui suivit offrit un feu d’artifice un brin en avance pour tout le village de Le Faou.
Lien d'origine pour une meilleure mise en page :
https://alfouxdessine.wordpress.com/2015/06/04/peff-chapitre-1-une-terreur-nocturne/