Man-Thing : le monstrueux homme-chose est un comic book paru chez
Panini Comics dans la gamme des "Marvel Graphic Novels".
L'ouvrage compile les histoires
"Le scénario du mort vivant !" (2012) et
"La complainte du mort vivant" (1974) écrites par
Steve Gerber ainsi qu'un bonus de choix avec la première apparition du monstre des marais en 1971 dans Savage Tales numéro 1, par
Gerry Conway, Roy Thomas et
Gray Morrow.
Un petit point sur le défunt
Steve Gerber est sans doute important pour mieux saisir le propos de ses deux récits. L'homme a travaillé dans la publicité avant de devenir scénariste chez
Marvel et cette période semble l'avoir durablement marquée et le secteur l'avoir profondément dégouté. La société capitaliste toute entière semble en fait l'avoir ébranlée si l'on présume que le personnage centrale de son diptyque, le tourmenté Brian Lazarus, est une projection de lui même, tout au moins une partie, une facette de sa personnalité et de ses névroses. Une épaisse folie flotte ainsi au dessus de ses écrits.
Man-Thing, la créature qu'il met en scène mérite elle aussi une brève présentation car on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un personnage extrêmement célèbre.
Alors qu'il était encore chimiste, Ted Sallis travaillait à reproduire la formule du super soldat ayant donné naissance à Captain America. Une expérience qui se termina mal pour lui puisque trahis et pourchassé, il fut forcé de s'injecter le sérum encore instable qui, conjuguait aux forces mystiques du bayou dans lequel il finit sa course, firent de lui un monstre difforme. Dépourvu d’intellect, il ne réagit désormais plus qu'aux émotions d'autrui. Un certain autisme et une nature empathique que la venue de Brian Lazarus va venir perturbée.
"La complainte du mort vivant" raconte donc l'histoire d'un auteur de pubs usé et fatigué par une vie qu'il juge absurde et sans intérêt. C'est en tentant d'exorciser ses démons qu'il se retrouve dans un vieil asile désaffecté situé dans les marais, à rédiger un manifeste, son manifeste, la fameuse "complainte du mort vivant" que vous pourrez retrouver en fin d'article. Dans sa démence et ses afflux d'émotions, il attirera à lui l'homme chose et une femme, Sybil Mills, auquel il devra son salut.
Un salut de courte durée puisque quelques années plus tard, alors que Brian était rentré dans les rangs de la société,
"J'ai consulté un psy, j'ai vidé mon sac. Comment le quotidien et la rédaction de publicités m'avaient conduit au bord du gouffre. Je lui ai parlé du marais, de la complainte, du monstre, et de toi, Sybil. J'ai mis 5 ans pour tout déballer et redevenir normal. Mais j'ai réussi. Et j'ai retrouvé une existence normale. J'ai épousé une Linda, engendré un Jason, souscrit un emprunt sur 30 ans. La vie de Norman Normal. J'avais deux voitures allemandes, une bonne salvadorienne, un jardinier mexicain, un garçon de piscine vietnamien et un setter irlandais. Je vivais au dessus de mes moyens... comme tout américains normal, non ? Et surtout, j'avais accepté les limites de mon talent d'écrivain. J'étais brillant, mais je n'écrivais jamais rien de "pronfond". Ça m'a décoincé. J'ai trouvé un job de rédacteur de questions pour un jeu télévisé... Puis j'ai fait du dessin animé. Des petites créations inoffensives à base de lutins et d'aliens, de muppets et de catcheurs. C'était fun. J'ai même scénarisé de gros succès, comme les Supers-Soldats de Demain. C'était fun et lucratif. Je m'étais intégré. Le passé, l'épisode psychotique dans les marais... Je n'y pensais plus du tout." - (Une trajectoire similaire à celle de Steve Gerber qui quitta Marvel un temps pour Hollywood)
sa réalité vole à nouveau en éclat et le voilà de retour dans le bayou pour finir son œuvre, sa "complainte" devenue "scénario", il souhaite en finir pour de bon. Et le voilà qu'il entraine à nouveau dans sa chute l'homme chose et Sybil Mills. Ceci est raconté dans
"Le scénario du mort vivant", l'histoire principale de l'ouvrage publié par
Panini Comics mais il est vivement conseillé de lire
"La complainte du mort-vivant" juste avant, les liens entre les deux étant très forts.
J'ai adoré lire ces deux histoires que je trouve passionnantes et j'espère de tout cœur que l'éditeur transalpin traduira d'autres parties du run de
Gerber sur Man-Thing.
Un dernier mot concernant les illustrations de
Kevin Nowlan, réalisées à la peinture, qui apporte un côté onirique au récit, elles tranchent avec ce que l'on a l'habitude de voir dans les comics et font prendre vie aux délires hallucinés de Brian Lazarus et/ou de
Steve Gerber de façon brillante.
La complainte du mort vivant
Par Brian, parce que j'étais/suis
Creuse en moi, toi l'os, jusqu'à toucher le sang. Je te le dirai. Ah, tu ne veux pas l'entendre, hein ? Alors serre les dents jusqu'à ce qu'elles se brisent en minuscules éclats et avale-les. Rien ne mérite rien. Nada. Entre en moi, nid, car les chances s'égarent. Je suis toi.
Je travaille pour vivre. Je vis pour travailler. Chaque matin à 6h00, la sonnerie stridente du réveil mécanique me perfore les tympans, et je sors du non-sommeil et m'apprête à affronter un nouveau jour démoniaque.
Je me lève de mon bûcher de plumes, j'extirpe la flèche de mon oreille, je regarde dégouliner le sang. Mais je sais que ce n'est pas vraiment du sang perdu, car je tue pour de l'argent. Je suis de ce peuple-là. Ne parle pas fort. Trouve ces clés, s'il te plaît, avant que je ne te broie les genoux. En poudre.
Je racle les poils de mon visage. Lame de mort. Je m'habille comme un invité à la fête, je vous en prie, soyez mon hôte, venez qu'on grignote et papote. Euh. Puis je dégringole dans l'escalier, je m'éclate le crâne, mettant au repos quelques petits neurones. Dormez, neurones. Dormez, synapses. Le monde n'a pas besoin de vous aujourd'hui. Ni jamais. Un jour, je ferai un synopsis pour mes synapses.
Maintenant, on tape des pieds en rythme :
Mets mon portefeuille dans ma poche - yeah, yeah.
Mets mes clés dans ma poche - yeah, yeah.
Mets ma monnaie dans ma poche - yeah, yeah.
Sors mes yeux de leurs orbites - yeah, yeah.
Je n'ai pas besoin de voir. Je suis une tache aveugle sur la face de la planète Chromoterre. Passe la porte. Monte dans la voiture. Roule à toute allure. Kazoo ! Venin venin, venindolent. Long and Blindind Road. Longue route aveuglante. Chaos dans ma tête.
Sors de la voiture, va à la guerre. Enfermé, à l'étroit, hors terrain, bureau aérien. Enfermé dehors. Loch Ness - monstre, lézard, dans ton gésier plante un poignard, magicien galvaudant son art. Mange du fromage à tartiner, crache-le sur le papier.
Tape ces mots ! Informer ? Non, intoxiquer ! C'est le secret de la santé, de la prospérité, et comme tu détestes les pantoufles dorées, maman, coincée dans les recoins d'un traumatisme avorté. Encore !! Encore !! Tout ça et encore plus !! Avec notre produit, vous en avez PLUS en payant PLUS ! Une miette dans le pain de l'industrie, une vie sans identité sur le fleuve de l'éternité. Regardez Huck sur le rivage. Il en sait quelque chose. En faisant confiance à Sawyer, il ne peut pas blanchir Jim. Détruire toute vie... simplement pour en rire pendant qu'elle meurt. Hunhgh ! Credo !
Encore, encore, encore, créature de boue ! Commets ton crime spécial ! TUE TON ESPRIT ! Ou renonce à tes bénéfices, à ton petit chèque qui ne sera déposé que dans ta tombe. L'argent, tout est là. Travaille pour en avoir, convoite-le, tue pour lui. Mens, vole, vends ton être pour lui. Je meurs pour prospérer. Pas étonnant qu'on les appelle contrôleurs.
Tant qu'il y aura un homme du capital sur Terre, mes travaux naîtront dans la complainte du mort-vivant. Le panoramakushna de la vie. La haine.