
Il y a parfois des résultats qui échappent à l'entendement, ce France-Colombie en fait partie. De dominants à dominés, de fessants à fessés, les Bleus ont complètement perdu la fil d'un match qu'ils tenaient dans leurs doigts après les deux pions initiaux de Giroud et Lemar, et la Colombie s'impose pour la première fois de son histoire sur le territoire français. Une confidence sur l’oreiller : l'embêtant, c’est que c'est mérité.
Pâtes au saumon
Didier Deschamps est un père de famille heureux. Toutes gencives dehors et les paumes posées sur le crâne de ses vingt-quatre bambins, le voilà même capable d’assumer quelques choix de riches, comme celui d’apposer les flasques fesses de Paul Pogba sur le banc des remplaçants pour ce début de match. Flasques, car peu en forme, soit tout le contraire de Matuidi, Kanté et Lemar, tout trois alignés au milieu de terrain. La phrase avait d’ailleurs été lâchée en conférence de presse par un coach aux inspirations laconiques : « Aujourd’hui, il reste moins d’interrogations que de certitudes » ... et la composition du coeur du jeu n’en fait pas partie. Les certitudes, donc, si on les cherchait encore, sont là : Kanté, Sidibé, Umtiti, Varane, Matuidi, Griezmann et Giroud, buteur à l’occasion pour la trentième fois en EDF, soit autant que Papin et Just Fontaine (1-0, 11e). Jouvence. À un degré moindre, Digne confirme qu’il jouera bien un Mondial en tant que titulaire, tandis que Mbappé croque comme un mort de faim, dans la lignée de ses dernières semaines poussives avec Paris.
Sur le pré, logiquement, la Colombie se recroqueville comme un hérisson effrayé par un renard aux dents longues, et les Bleus profitent allègrement des espaces laissés en défense pour dégourdir leurs pattes folles. Lemar lui, est rayonnant, inscrivant le but du break au terme d’une contre-attaque folle de beauté (2-0, 27e), avant que la Colombie ne recolle au score sur une boulette imputable à Lloris (2-1, 29e). Non, puisque l’on parle de boulettes, il convient de rendre hommage au réel cuisinier des Bleus : N’Golo Kanté. Le farfadet est lyrique, virevoltant d’une plaque à l’autre , gérant les temps de cuissons comme un chef étoilé et maîtrisant les coups de feu en salle d’un simple mouvement du poignet. Qui peut battre Philippe Etchebest ? Et Top Chef se pose encore la question ? À croire que c'était lui, le petit rat caché sous la toque de Linguini dans Ratatouille.

Renversant
Perte de balle de Kanté, contre-attaque, but de Falcao. Évidemment, puisqu’on parle du loup. Ou du tigre, en l’occurrence. Beaucoup plus entreprenants en ce début de seconde période, les Cafeteros mettent la pression sur la cocotte-minute française, au point de faire siffler par deux fois les oreilles de Lloris devant Muriel (49e, 55e), avant, donc, le coup de griffe à rayures (2-2, 62e). Le football a parfois cela d’amusant - ou d’inquiétant, c’est selon le point de vue - de renverser en moins d’une heure les certitudes acquises d’entrée. Varane est fautif sur les deux buts, Griezmann participe peu au jeu et gâche souvent ceux dont il dispose, Matuidi ne récupère plus de ballons, Sidibé passe son temps à défendre… et insidieusement, comme ça, la Colombie est donc passée de 2-0 à 2-2.
Quand les choses déraillent, se tourner vers Francis Cabrel, toujours : « Et ça continue, encore et et encore. Et ça continue, d’accord, d’accord » avait-il un jour fredonné. Suivant donc la prophétie du Sylvain Durif de la chanson française, les Bleus s’enfoncent dans la gadoue qu’ils ont eux-même creusé : Umtiti faute dans sa surface, pénalty, but de Quintero, entré entre-temps (3-2, 85e). Foutu karma. Il faudra analyser pourquoi, il faudra comprendre comment, mais l’équipe de France a complètement lâché un match qu’elle avait entamé de parfaite manière, et Didier Deschamps ne pourra même pas se voir accuser de la multiplication de ses changements : la gangrène avait prise avant. « Aujourd’hui, il reste moins d’interrogations que de certitudes » , avait-il confié. La balance s’est peut-être un peu rééquilibrée ce soir.