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-Madame l'infirmère, où suis-je?
Elle avait les yeux fermés, mais elle entendait les talons roses typiques des infirmières sur le dallage impeccable d'un hôpital.
-Vous êtes sur un lit de l'hôpital Saint Clair, madame, maugréa l'infirmière Parfaite, d'un ton dédaigneux qui aurait certainement dérangé Julie Shelley, l'icône féminine la plus redoutée du monde du travail, si celle-ci n'avait pas été sujette à un évanouissement soudain et par conséquent momentanément affaiblie.
-Je suis...A Marseille?
Parfaite soupira.
-Evidemment, il n'y a pas cinquante mille hôpitaux Saint Clair en France.
-Qu'est-ce qui s'est passé?
-On vous a ramené ici, inconsciente et vous avez dormi pendant deux jours.
Rien ne l'étonnait plus, à présent. Elle préféra profiter au maximum de la présence de cette infirmière détestable, certes, mais utile en renseignements.
Elle s'activait dans la chambre: les draps n'avaient plus un seul pli après son passage éclair sur les lits; le moindre bocal, la moindre perfusion était transluicide. Cette femme menait la lutte acharnée contre les imperfections superficielles. Pas une mèche de cheveux n'osait se rebeller et se libérer de sa coiffure: le dessus de sa tête, rendu aussi dur que de la pierre par excès de laque, ressembalit à du carton. Elle partit, laissant derrière elle l'écho de ses talons retentissants. Le silence s'installa immédiatement, si vite que Julie en eut le vertige.
Julie prit une grande respiration et s'assit sur le lit blanc. Ses pieds touchaient les barreaux de fer gelés. Elle se regarda dans le miroir accroché sur le mur blanc, en face de son lit. Ses yeux étaient fatigués mais ils brillaient davantage; ses cheveux ressemblaient à un champ de bataille tant ils étaient négligés et le col de son pyjama blanc était dégraffé, laissant apparaître une partie de son cou.
-Je suis redevenue moi, murmura-t-elle, secouée soudainement de sanglots. Je suis moi!
Elle enfoui sa tête dans les draps, changeant ses larmes en rires de soulagemment.
Elle était à Marseille, le soleil brillait, elle allait voir ses amis, Bleue, Klaus, Lucien et...peut-être...non...sûrement pas Arnaud. Il travaillait à Paris. Cachant à elle-même sa déception, comme elle savait si bien le faire, comme nous tous savons le faire, une pensée claire et précise vint à elle

our la première fois depuis longtemps, elle se sentait bien. Elle ne se souciait plus de la multinationale qu'elle avait laissé derrière elle, l'instant était au présent, hommage au présent, aujourd'hui est une apogé du présent, une apogé de l'amour et de la passion! Aujourd'hui, les hippies de mai 68 se réveillent de la torpeur dans laquelle on les a jetés après leur «révolution manquée qui failli renverser l'histoire», ils se réveillent et voient un monde qui ne demande qu'à changer! Alors ils ne s'arment que d'un sourire, l'amour devait espacer nos silences de nos soupirs! Libre à nous de les esquisser, les offrir! Ils brandissent leurs utopies, tels des enfants retrouvés... «Un petit poing levé très haut dans le ciel vaut plus que tout cet argent, se disait Julie. On m'a hurlé d'être un mouton, un pion à genoux, je l'étais, je l'étais toujours! Il n'y avait que vous, les amis, pour me faire un peu rêver...Un peu...Je ne voulait pas de vos jolies drogues dorées, et pourtant, moi aussi j'ai dansé toute la nuit et je croyais être heureuse! J'ai compris que tout ça n'était qu'un leurre, alors nous avons tout abandonné dans nos drogues! Qui n'a jamais rêvé d'un paradis artificiel? Un paradis accessible à tous, créé par les Hommes pour les Hommes.
Alors, Bleue, Klaus, Lucien, Arnaud, le Jour et moi, nous nous droguions à souhait, faisions couler la marie-jane, nous nous droguions de livres et d'utopies, un trop-plein d'amour et de Karl Marx, un besoin fiévreux de faire la paix et de philosopher. Une overdose d'amour et de rêve, j'ai subit une overdose d'amour et de rêve!! Quand le lycée nous a tous séparé, c'était le retour au monde réel: le choc était trop dur pour tous: nous sortions d'un pays de rêves embrumés, la réalité nous semblait...irréelle. Nous étions des esprits déçus, comme tous les enfants sont lorsqu'ils grandissent en dehors de leurs pages luisantes de mots.
«Non, le monde ne peut être ainsi! Dans les livres..dans les livres c'est pas comme ça!» criaient nos cerveaux puérils, à peine sortis d'un cocon onirique. Il me revient souvent à l'esprit une image cruellement douce: Bleue, mon amie, blottie contre Lucien, tous deux debout contemplant le ciel rouge de sang, effarés, morts de peur. Bleue pleurait presque, et elle disait d'une voix fébrile:
-Regarde dans le ciel,Lucien, il n'y a même pas d'oiseaux...
Et il la serrait plus fort, et ils se sentaient aptes à présent à affronter le monde, même le changer, mais plus tard. C'était notre serment à tous: se pourrir, s'enfoncer jusqu'au fond d'un capitalisme sans bornes comme on nous ordonnait de le faire; puis, doucement, remonter à la surface et organiser notre révolution. Ce que nous n'avions pas prévu, ce fut l'échec de ma volonté face aux lois implacables du marché, du système: j'étais pervertie jusqu'au bout. Je ne m'excuserais jamais assez, les amis. Ils ont du résister, eux, Bleue et Lucien avait tout leur amour pour vivre sans oublier leur serment. Klaus avait ses pinceaux. Mais Arnaud et moi, nous n'avions que nous deux, notre confiance mutuelle; on nous a arraché l'un de l'autre, comment alors aurais-je pu garder une seule lueur d'espoir? Je n'étais qu'une ombre qui s'agitait près de lui.
Nous nous battrons contre ceux qui veulent nous déshumaniser! Plus jamais je ne veux entendre parler de biens fiscaux, plus jamais je ne veux faire de bénéfices...Je ne veux que des fleurs dans les revolvers, des bulles bleues dans l'air, un sous-marin jaune dans l'océan...Arnaud, j'avais froid aux mains quand tu les as réchauffées, maintenant tu vois, elles bouillonnent! Arnaud je n'ai d'autre désir que de t'aimer, et d'être aimée de toi! C'est avant tout toi que je veux retrouver plus que mes idéaux de jeunesse, car mon vrai idéal ce n'est que toi! Allons changer le monde, nous sommes deux.
Je vais revoir mes amis...je vais revoir Arnaud...».
Un très grand espoir gonflant son petit coeur, Julie Shelley, ex-icône féminine redoutée du monde du travail, ex-patronne réputée impitoyable s'endormit, un tout petit sourire d'enfant sur ses lèvres.
Merci darde et bien moi je rêve que j'embrasse, pour faire un mix
Veux la suiiiteuhh !