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Et ses jambes la portèrent jusqu'à la ville de son enfance, Marseille. Mais Arnaud ne vivait plus là-bas, elle le savait. Qu'était-il devenu? Certainement quelqu'un de meilleur que moi, songea-t-elle, une once de culpabilité dans sa voix. Mais à présent, je sais ce que je cherche, j'ai un but, un rêve.
Un rêve...ce mot n'avait plus été prononcé depuis des millénaires, mais tout coulait, comme un ruban de couleur et de parfums exotiques et Julie rêvait toujours. La musique lui semblait être délicieuse, chaque chose simple tellement merveilleuse, comment l'amour pouvait la rendre si délicate, infiniment sensible? L'optimisme, le caractère le plus proche de l'idiotie, gonflait son coeur comme le vent une voile blanche. Elle souriait stupidement comme sourient ceux qui aiment; autour d'elle flottait cette odeur sucrée et chaude, une légère brume caramélisée,cette aura enivrante de joie. Se demander pourquoi était si loin des instants de béatitide qu'elle vivait avec délices aujourd'hui, et il ne restait que l'attente, alors elle l'attendrait. Elle se sentait purifiée à jamais, elle se sentait être une fleur au moment le plus intense de son épanouissement. Qu'importait le futur, tant que les instants sublimes comme ceux-ci duraient.
Le temps s'était comme envolé, comme il doit l'être quand nous arrivons au paradis, à notre paradis du moins.
Elle était arrivé à présent à la gare de Marseille, et elle jeta une dernière fois un coup d'oeil au morceau de papier noirci qu'elle tenait fermement dans ses doigts. Le lieu où elle devait se rendre y était inscrit, et elle n'avait pas de plus grandes peurs que de la perdre. Répétant l'adresse dans un murmure, à tue-tête, Julie s'assit sur un siège gris relié de rouge. Elle posa les mains sur ses genoux, prenant un air affairé. Elle se surprit à ramener ses cheveux en arrière pour y planter des pinces destinées à maintenir sa coiffure; mais elle arrêta à mi-chemin son geste, et ébouriffa davantage ses cheveux.
Le voyage lui paraissait long. Les gens passaient et venaient devant elle, des fantômes, des visages masqués.
Brusquement, elle fut tirée de ses rêveries par l'apparition d'une jeune fille d'une quizaine d'années qui vint s'assoir devant elle. Son rythme cardiaque avait faiblement acceléré. La fille lui rapellait quelqu'un, comme dans un souvenir très, très lointain, et pourtant si proche... «Je ne connais pas d'adolescentes songea-t-elle. Peut-être qu'elle me ressemble tout simplement.»
Cependant, un détail attira davantage son attention: la jeune fille portait un paquet enchevêtré de feuilles volantes contre son tee-shirt, et dès qu'elle fut installée, elle commença à écrire.
«Exactement comme...exactement comme...se disait-elle, haletante. Serait-ce possible? Quelle coïncidence...» Soudain effrayé par la stupidité de son raisonnement, elle se résolut à ne plus y faire attention.
Mais là encore, une phrase écrite sur une des feuilles volantes la poussa définitivement à lire ce qu'il y serait écrit.
Ein Volk, ein Reich, ein Fürher, écrivait la jeune fille.
Elle est malade, se dit Julie. La devise du troisième Reich...Mais qui est-ce?
Je révise mon brevet blanc, continua-t-elle, et Julie eut terriblement honte: ce n'était qu'une adolescente parmi tant d'autres, qui relatait les événements quotidiens de sa vie superficielle. Mais à qui ressemblait-elle de manière si frappante dans l'environnement de Julie pour que celle-ci fut à nouveau tenté de regarder par dessus son siège, derrière les frêles épaules de la jeune fille?
Pourquoi ne faire pas taire toutes les carpes? Ce sera bien plus aisé que de faire taire toutes mes envies de parler! Pétales et Jasmin...La respiration homogène des roches, des pierres, leurs effluves. Je t'aime, toi qui n'as d'existence que dans le Royaume des Idées...
Le coeur de Julie battait très fort à présent. Ce ne pouvait être qu'elle.
...et je te supplie de garder une instance sur moi, je te supplie et toujours je cours...et toujours je gémis sans raison, j'aime à croire que mon oeuvre est unique et qu'elle n'aura pas d'imitateur. L'existence de Lucien me paraît aussi improbable que celle de Rousseau.
-Lucien...murmura Julie derrière l'épaule de la jeune fille. Celle-ci ne semblait pas l'entendre.
Pourtant Rousseau a existé, ici-même, en France. Alors que dire alors? Se torturer? En tout cas, si je l'invente Lui, je peux inventer mes sensations, non?
Julie ne comprenait plus. Etais-ce elle? Sa fille, plutôt, ou sa soeur?
Etrangemment, je n'arrive pas, je n'ai qu'une infime aide de la part de la réalité, Morgan, et il n'est pas suffisant.
Pendant que Julie se torturait l'esprit, sondait toutes les parties de sa mémoire à la recherche de ses noms qui lui étaient familiers, il advint un événement que plus tard, elle ne put relater sans qu'on lui déclara qu'elle était devenue folle.
Une vieille femme, appartenant à la même tranche d'âge que ceux qui laissent le monde derrière eux, vint se poser avec précautions sur le siège de la jeune fille. Celle-ci, en plus d'en faire fit, sembla être transpercé par le corps de la dame, qui s'enfonçait en toute cette jeunesse comme un couteau dans du beurre. Peu à peu, la jeune fille palît jusqu'à devenir transluicide, puis s'effaça complètement. La vieille femme n'avait soufflé mot, mais Julie poussa un cri de détresse. Elle ne comprenait plus rien, et la seule chose dont elle se souvint, ce fut le siège gris renversé, sa vue qui se troublait comme à travers du papier fin, les visages penchées vers elle.
-Bleue, murmura-t-elle. Bleue, c'était toi?
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posted the 04/02/2006 at 08:37 PM by
asukaaa
Dis est-ce que tu mords, si oui est-ce que tu embrasses aussi ben sinon pourquoi tu mords?
Ma préférée de toutes