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Le soleil était bien trop aveuglant pour un jour d'automne. Je ne comprenais pas.
«Il n'y a plus d'oiseaux dans le ciel. Pourtant, je ne suis pas yougoslave».
J' écrivais encore, les yeux rivés sur l'écran allumé devant moi.
Ecrire, c'est une façon de parler sans être interrompu.
Les mots sont plus cruels que les larmes, disais-je. Mes personnages sont plus réels que tous les visages qui flottent autour de mon corps, autour de ma peau.
J'ai créé un monde, mon monde, un monde où je règne. J'ai créé un monde meilleur que le Dieu qui a créé le notre. Je suis meilleure que Dieu.
Et ça m'avance à quoi.?! vraiment? Régner sur un monde...sur des gens, sur des choses. Régner...Sans aimer.
Toute chose respire l'amour. Toute chose doit être aimée autant qu'elle doit aimer. C'est un si beau devoir.Le seul devoir, le seul droit de mon monde.
On aime violemment comme on meurt, on aime parce que Morgan est comme il est, parce qu'il prononce mon nom avec sa voix, pas avec celle d'un autre. Parce qu'il a l'ardeur de l'ardoise trop grise, parce que les japonais n'ont pas fait de plus belle mélodie que celle qui le dessine, parce que le soleil l'éclaire plus que les autres. Si tendre, si amer, tellement lui. Je ne désirais qu'une chose: me fondre en lui, ne faire plus qu'un. Ne plus exister, l'aimer sans le voir, ou en le contemplant toute l'éternité, ça m'est égal. Le mordre, le déchirer, lui sourire. Je voulais souffrir, la sensation était si agréable.
Ne s'aiment que les sados masos.
Il ne m'aimait pas.
Nevermind.

Moi, je l'aimais.
Dans chaque particule de l'univers, il était présent. Dans toutes mes larmes, ne se voyait que son reflet. Il était le bleu du ciel en même temps que la flamme qui danse, encore aujourd'hui, dans l'incendie ravageur de maisons et de forêts.
Aimer, c'était un peu comme se trouver une religion. Un culte de la personnalité.
...
Maintenant, je crois qu'il est temps. Laissez-moi vous retracer la sombre et belle histoire des Bizarres.
Mais avant, voilà le récit inachevé de ma récente arrestation au commissariat, avec un inspecteur qui me connaissait que trop bien. Une triste affaire, qui n'est pas sans lien avec toutes les autres......
La voix de l'inspecteur divisionnaire Barque était rauque.
-Hum...
L'un d'entre eux est un portrait damné par sa propre beauté.
L'autre a toute la tristesse du monde dans ses yeux, à croire qu'il a été le témoin du massacre des bébés phoques.
L'autre est la blancheur, la douceur (même son corps squelletique paraît tendre) fixant l'univers de ses deux petits yeux noirs d'artiste arrogant.
Tous trois sont des paradoxes à eux seuls, des paquets de contradictions.
Des gens étranges, quoi.
Surtout le dernier d'entre eux: doux, rond et tendre, voilà ce qu'il est. Pourtant,ce n'est pas la première impression que la plupart des gens ont de lui; je crois même que je suis la seule à le concevoir comme tel. L'only one à percevoir la rondeur à travers son long corps squelletique, déceler dans ses yeux, enfoncés dans un visage au teint maladif, de la tendresse, de l'envie de parler du monde. Il avait le regard d'un artiste, photographe ou peintre.
Mais bon, que voulez-vous, le monde et les choses changent en fonction du regard portés sur eux.
Une très bonne amie à moi, dont le nom ne sera pas divulgué, avait des yeux qui rivalisaient d'éclat avec les étoiles, encadrés de cheveux aussi noirs qu'un ciel d'hiver.
Une nuit ambulante, en vérité.
L'inspecteur leva la tête vers moi.
-Voilà ce que je trouve lors de ma perquisition, Mme Bloood. Ces portraits ressemblent fort à... aux...
-Merci, inspecteur, je sais ce que j'écris, coupai-je.
Le silence qui suivit fut lourd de tensions. Il ne savait que faire.
Il prit finalement une longue inspiration.
-Etiez-vous amoureuse de lui ? me demanda-t-il, toujours perplexe.
Haussement de sourcil, j'étais amusée.
-C'était plutôt ma Muse, répondis-je.
Silence à ressuciter les carpes. L'inspecteur fixait le coin de la table.
-Une source d'inspiration, si vous voulez, ajoutai-je, comme pour me justifier.
Retour aux carpes lazariennes.
-Pourquoi l'avez-vous tué?
-Je ne l'ai pas tué.
Ma réplique lancée, l'inspecteur divisionnaire Barque fut aussi stupéfait qu'il avait espéré que je le fusse.
Il avait balancé cette question au hasard, juste pour voir jusqu'où irais mon sang-froid. Et oui, Barque, on me fout des accusations de meurtre à tort et à travers, comme ça, et moi, je reste impassible comme du calcaire. J'y ai pas cru une seconde, monsieur l'inspecteur divisionnaire.
Morgan, la Lumière, devait certainement gambader gentiment dans sa ville de toujours, comme Bambi dans sa forêt. Je souris à Barque. Il me fit signe qu'il admire. «La logique, Barque, la logique...A force de connaître l'absurde, il finit par ne plus vous surprendre»...
Un sourire ironique au bout des lèvres, Barque se leva de son large fauteuil en chintz, posa ses grandes mains à plat sur la table et me regarda d'une façon peu appréciable.
-Mademoiselle, (tiens, il m'apelle plus Madame, à présent) de l'amour pour un homme comme lui peut vous condamner. C'est un jeu dangereux auquel vous jouez, Asuka (le prénom, maintenant?! Sacré inspecteur!).
Comme c'était à prévoir, je baissai la tête mais reprit mon assurance une fraction de seconde plus tard.
-Je ne l'aime pas, Barque, je crois vous l'avoir déjà dit.
Je n'étais pas irritée parce qu'il m'avait fait démentir ses propos deux fois.
J'étais irritée parce qu'il avait utilisé la formule «C'est un jeu dangereux auquel vous jouez, Asuka...» Pff...On a pas idée de lancer des répliques pareilles...Même pas dans les mauvais films américains.
-Oui, je sais, c'est votre «Muse», ou plutôt, votre Museau, puisque c'est un garçon. Enfin, je crois...
Il s'esclaffa du rire des porcs.
Je me dit qu'il n'existait rien de pire que l'humour de Barque.
Faire des gorges chaudes sur la longueur des cheveux d'un individu, même pas au collège, ça se faisait (exepté pour quelques médiocres profs d'histoire géo).
Pitoyable, cette éternelle aversion qu'il avait pour les longs cheveux chez la gente masculine... Car c'était évidemment ce qu'il voulait insinuer: les cheveux longs, c'est pour pour les travelos ou les homos! Vive les crânes rasés, le nazisme impeccable,et la taule pour les hippies! Zont que c'qu'ils méritent! Une vrai banderole du dark side, ce type. Pourtant,il savait se montrer intelligent, à l'occasion. Cela m'étonnait qu'il dévoila son côté abruti devant moi, lui qui d'habitude s'évertuait à me faire croire qu'il était un gars bien. Raté, mon coco, si tu voulais faire bonne impression, fallait pas me piquer au vif en se moquant délibérement de mon protégé. Ciao, Barque l'inspecteur, mon estime pour toi se situe à des profondeurs abyssales.
Il ajouta, pendant que les tensions s'installaient:
-Asuka, pensez-vous que Klaus s'est sacrifié pour Morgan ? Il a beaucoup pleuré, non?
La voix de l'inspecteur devint calme, moins arrogante et plus douce.
-J'en sais rien, s'il a pleuré, Klaus. Je crois pas, d'ailleurs. On a jamais pleuré pour moi, encore moins lui.
Barque ne dit rien. Il ne voulait pas m'infliger le souvenir de cette déception. Klaus...
As-tu fais ça pour moi? Oh, Klaus, tu m'aurais rendu la vie tellement plus belle si tu étais resté, toi! Morgan ne m'apporte rien, mis à part sa fascinante beauté. Il me suffisait donc de le contempler et de la protéger de loin, comme si il en avait besoin (c'est un jeu, un immense jeu). Non, Morgan n'a pas besoin de moi, mais j'en ai besoin pour mon art, il est ce que Dorian Gray est pour Basil Hallward (d'ailleurs, tiens, Morgan et Dorian, ça se ressemble, non?) J'ai l'air de l'aimer plus que toi. Je voulais te le faire croire, c'est vrai, mais le monde lui-même est un immense mensonge, Klaus! Ma récompense a été le Regret, le Remord, rien d'autre.
Je suis bien, loin de Morgan, mais je suis affreusement mal loin de toi. J'ai besoin d'entendre ta voix et ton rire, de te parler, de te voir dormir sur ton sac le matin, deux grands cernes noirs sur ta peau de Blanche-Neige. Là, je te demanderai sûrement «Mais, Klaus, Klaus, qu'est-ce que tu as encore fait hier soir?» Désolé pour hier soir...Je comprends mieux pourquoi j'aime tellement cette chanson.
J'ai besoin de te voir protester contre ce bas-monde. Je veux encore assister à tes cours de percus où je fais semblant d'être empotée pour que tu m'apprennes mieux.
-Ou peut-être que je ne fais pas si semblant que ça, en fait...je suis tellement nulle.
-Je vous demande pardon?
C'était la voix de l'inspecteur qui résonnait.
Barque était habitué à mes longues périodes de blanc, je me demandais même s'il ne les préférait pas à mes réponses. En tous cas, il les respectaient, attendant en se livrant à une contemplation intense de ses neufs ongles (tronçonneuse, m'avait-il marmonné un jour), que je m'éveille à la réalité (c'était une expression à lui, vu qu'il est aussi doué en français que moi en djembé, le résultat est un nonsense remarquable).
-En quel domaine êtes-vous nulle ? questionna-t-il, comme si le fait que je ne réussisse pas tout relevait de l'inimaginable.
-Percussions.
Bref sourire.
-Moi aussi.
Ah!, voilà que l'estime, en combinaison de plongée, remonte peu à peu à la surface. Il était meilleur dans le rôle du compatissant que dans celui du lanceur de vannes. Le Silence se réinstalle. Barque attend que je parle. J'ai pas envie. Mes deux yeux se baladent sur le bureau de Barque, du cadre en bronze qui enlumine la bouille ravie d'un petit garçon sur une plage jusqu'à la pile blanche de dossiers d'enquêtes. Sur le dessus du monticule, il y avait une grande photo en noir et blanc. Je la zyeutai un moment, et mon coeur rata quelques battements. Barque, me croyant retournée à mes songes, ne remarqua rien du changement de mon expression, absorbé par ses ongles jaunâtres.
Le regard nonchalant et cynique, la bouche entrouverte, la photo me regardait. Je connaissais si bien cette expression, je l'avait créée tant de fois en rêve, et là, devant moi, au moment où je m'y attendais le moins, la sombre beauté de Morgan me frappa encore. Chacun de ses regard vous laisse la bouche grand ouverte, les yeux comme des pièces en chocolat, mort de stupeur. Lors de sa naissance, la première réaction de sa mère avait dut être la surprise. Vint ensuite l'admiration et la tendresse, mais jamais l'amour. Sa propre mère n'a jamais osé l'aimer. D'ailleurs, personne ne l'a jamais aimé du vrai Amour. Les trop beaux sont admirés, choyés, mais jamais aimés. Des solitaires toute leur vie. Pourtant, eux, ils aiment. Morgan avait aimé une fille de son âge, sans intêret. Le genre banale, shootée, jamais la même en apparence, mère folle battue par père alcoolique. Une fille qui avait manqué d'amour, elle aussi.
Ils n'avaient pas marchés longtemps. La fille était un oiseau qui changeait souvent de branche.
Morgan eut alors un moment de déprime passagère. Sa beauté intimidant, il n'eut droit à aucune tentative de consolation, pas même de ma part, trop ravie par l'effet que la tristesse avait eue sur son visage. Une exellente preuve que je ne l'avait jamais aimé: il me fascinait, ce qui fait une lourde différence, et ses états d'âme m'importait peu, l'essentiel étant qu'il demeure aussi beau.
Le chagrin avait donc creusé ses traits d'une façon délicieuse: des cernes noirs, symboles de nuits agitées et anxieuses, pendaient sous ses yeux ravageurs.
Chagriné, coléreux, haineux, vengeur, impassible, joyeux, il était beau tout le temps. Barque et Klaus avaient de bonnes raisons de me croire amoureuse de lui.
Klaus...
Asuka, j'aimerais vraiment savoir si Klaus a décidé volontairement de mentir et de refuser d'omptempérer face aux policiers, lança-t-il, un soupçon implorant. C'est très grave; agir ainsi est puni sévèrement par la loi, tu le sais Asuka. Tu sais où il va aller...
-Je ne pense pas, mentis-je. Je crois qu'il l'a fait...que sa mère l'a obligé...
MAIS POURQUOI MENTIR AUSSI MAL!!
-Pourquoi ? recommença l'autre. Si ce n'est pas pour Morgan...
«C'est pour moi,» achevai-je doulouresement dans ma tête.»
Soupir. Je décidai d'expliquer. En partie.
-Nous formions un groupe. Klaus, Morgan la Lumière, un blondinet, un brun qui semblait porter le deuil du monde dans ses yeux...
-Son nom ? interrogea le commissaire.
-Arnaud, répondis-je, agacée. Donc, lui, une amie à moi (une Nuit ambulante ,Barque, je vous le jure), une autre amie, (elle c'était plutôt le Jour en crinière blonde de soleil), et moi.
-Vous étiez la meneuse ?
Je ne voulais pas répondre. Je ne répondrai pas. Blaireau de commissaire.
Barque compris. Il baissa la tête.
-Vous étiez juste... une bande d'amis?
-Oui.
Ton sec. Commence à faire grimper ma tension artérielle, le divisionnaire. Il y avait trop d'ironie et de soupçons dans ses propos.
Le silence réétabli, mes yeux promeneurs rencontrent à nouveau ceux de Morgan en noir et blanc.
Ce gars est un portrait vivant. Chacune de ses expressions est une pose digne d'un grand artiste. Même avec son sourire de gamin, les photos de lui sont toujours des chefs-d'oeuvres.
Je me souvins d'un jour, il y a quelques années, en cours, la prof de français nous demandait la définition de photogénique. Morgan leva brusquement la main et s'exclama:
-C'est être comme Morgan!
( Véridique: il s'est vraiment exclamé «c'est être comme Morgan!»).
Il l'avait dit avec une telle innocence dans la voix (feinte, certes, mais convaincante), affichant son légendaire sourire enfantin, que même la prof rit, accompagnée de l'ensemble de la classe. Morgan aimait beaucoup se mettre en valeur, oubliant que faire le pitre était superflu: son visage attirait déjà tous les regards, mais il était naïf au point de ne pas le constater.
-Vous savez quoi, Barque ? dis-je soudainement, arrachant à mon interlocuteur un léger sursaut. Je crois que vous êtes un abruti.
-Je vous demande pardon ? lança l'inspecteur pour la deuxième fois.
-Et bien, voyez-vous, si vous avez questionné antérieurement Morgan à propos de Klaus, il vous a certainement parlé de certains traits de son caractère. Je me trompe?
L'inspecteur divisionnaire fut trop sonné pour saisir le ton sacarstique de ma voix.
-Euh...Oui, il nous en a parlé, en effet.
-Vous savez donc que Klaus n'est pas homme à venir voir...........................
Le manuscrit s'arrête là. Je ne sais pour quelle raison, la suite est déchirée, illisible par ma faute. Je n'ai conservé que cette partie de mon arrestation. Vous ne comprenez à présent cerainement plus rien à l'histoire,j'aimerais vous dire que c'est normal. Gardez ce morceau de texte dans un coin de votre cerveau, cher lecteur, car je suis maître de ce qui peut arriver par la suite. Je suis Dieu, je suis omniscient.

Sachez seulement, seulement que je suis folle autant que versatile.