Chapitre 2
Juste peindre sa mort...
Bleue sortit de l'hôpital, sans prévenir quiconque du défunt de la chambre 237. 237... Il avait choisit cette chambre en hommage à Stanley Kubrick et à son plus bel enfantement, Shining. Encore un gamin, le Lucien. Elle sourit. En effet, c'était un trait de son caractère, Bleue souriait quand elle souffrait intensemment.
Le premier rayon de l'aube perça la sombre coquille du soir. Une coquille qui avait protégé son bien-aimé, son ange, sa passion, tant de fois, qui l'avait consolé pour tout et n'importequoi. Elle serait éternellement reconnaissante à la Nuit de l'avoir conservé du suicide.
§
Dans les rues matinales, le peintre Klaus Van de Bluck marchait rapidement, stréssé par le bruit de la ville, des klaxons, et de la douce sonnerie des téléphones. Une toile sous le bras, il voulait l'apporter à son meilleur ami, patient de l'hôpital Saint Clair. Ses cheveux noirs mi-long cachaient nonchalamment deux petits yeux noirs et expressifs, qui virevoltait sur chaque chose du monde. Chaque chose avait le droit à son regard. Le regard d'un peintre, en réalité. Ce regard lui avait été révélé par la jeune femme dont il tenait le portrait sous le bras.
Du haut de ses un mètre quatre-vingt pour seulement quarante de largeur, il contemplait Marseille la grande, bougeante, criante, roulante en vélo ou en voiture pollueuse qui laissait échapper de longues volutes de fumée noire. Des odeurs de poulet rôti, de café matinal et de fumée axphyxiante, (voitures, bus ou cigarettes), parvenaient à ses narines.
Enfin, l'hôpital montra son immense façade blanche. Klaus courut un peu jusqu'à l'entrée et s'engouffra à l'intérieur. La réceptionniste, rose et blanche, lui indiqua la chambre de son ami. Il entra.
§
Bleue sortit. Elle marchait silencieusement dans les grandes rues bondées. Là , elle se laissa enivrer par les odeurs du matin. Café, marché aux fruits, poisson frais, voitures...Marseille lui plaisait, nocturne ou matinale. Rien dans son expression ne laissait transparaître la perte qu'elle avait subie la veille, et elle avait les idées parfaitement claires.
Cependant, elle repoussait sans arrêt le moment où elle devrait accepter la vérité. Pour l'instant, elle devait de rendre chez son meilleur ami. Elle devait immortaliser son Lucien. Elle devait montrer à la France, le plus beau pays du monde, la seule oeuvre d'art capable d'anéantir la Joconde par sa beauté. Ce n'était pas un devoir (car elle haïssait cela, la notion de devoir était trop japonaise à son goût), c'était de l'amour. Pour un pays, pour un homme.
Bleue traversa la rue. Le soleil faisait sécher les poulpes étendus sur des caisses de bois, près du port. De longues tentacules pourpres pendaient mollement le long des rues. Elle prit la direction opposée, et se rendit dans une minuscule impasse insalubre, presque invisible. Ici, la nuit semblait omniprésente. Des milliers de chewing-gum, taches grisâtres, étaient collés aux murs, et un amas de choses indistinctes et malodorantes gisait le long des gouttières. Les murs étaient tagués de plusieurs citations que Bleue adorait et admirait, bien plus que les ordures traînantes. «Dieu est mort Signé: Nieztche» ou «Est beau ce qui plaît universellement et sans concept»ou encore «Sans Dieu ni maître, sans foi ni loi, rien que deux yeux pour voir» ou tout simplement «Peace and love», agrémentés de quelques A anarchistes.
L'auteur de ces graffitis intelligents, elle le connaissait. Il habitait ici, à deux pas, dans un taudis qui ne pouvait contenir à peine une personne, deux toiles et quelques tuyaux de peinture.
Quand elle entra par la porte à moitié défoncée, ce fut exactement ce qu'elle vit, la personne en moins.
§
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L'électrocardiogramme était une ligne implacable, effrayante. Klaus recula, horrifié. Ses lèvres tremblaient. Il lâcha le portrait et se précipita vers le lit, ses yeux flous, aveuglés par la blancheur artificielle des murs. Les yeux clos, Lucien paraissait endormi, si seulement son visage n'était pas si pâle, si blanc...Son habit de malade, aussi, présentait une blancheur aveuglante.
Blanc... la seule chose visible dans ce lieu de mort.
-Il y a trop de blanc, gémissait Klaus. Trop... de blanc...
Rien d'autre. Ni larmes, pas même une seule remarque sur son meilleur ami qu'on avait laissé là, gisant. Trop de blanc. Les yeux d'un peintre, rien d'autre.
-Il y a trop de blanc...Blanc...
Ses lamentations devenaient indistinctes.
Il reprit lentement le tableau, interloqué, comme si tout ce qui se passait était irréel, un rêve.Ses yeux lui brûlait.
-Je n'en peux plus, je n'en peux plus...
Pris d'un brusque accès de fureur, il renversa tous les médicaments, les scalpels, les couteaux de boucherie. Cela le coupaient, et son corps contusionné, son âme écorchée vive versaient de grosses gouttes de sang rouge sur le blanc insupportable des murs, des draps. Des bocaux remplis de substances oranges furent progetés contre le plafond, tous les liquides multicolores se renversèrent, tachetant la pièce de bleu ciel, de jaune, d'ocre et de rose. Un véritable carnage artistique: fou de rage, il hurlait:
-Et s'il ya encore des abrutis pour croire en la justice, en la bonté de ce Dieu, qu'ils aillent tous en enfer!
Mais pourtant...
Lucien était un gars bien, quoi...Autre chose que Georges Bush.
Soudain, il se calma, la respiration sifflante. La réalité venait à lui: Lucien était mort, il l'avait quitté, il avait quitté Bleue , la jeune fille qu'il aimait, ce bas monde. Il jetta un oeil au portrait, sa plus grande réussite, celle que Lucien ne verrait jamais. Il n'avait pas vécu assez vieux pour le voir en tant que peintre doué. La japonaise du portrait lui souriait, tellement belle. Lucien l'avait laissé seule, elle ne le méritait pas. Elle ne méritait que son amour, l'amour de celui qu'elle aimait depuis ses treize ans.
Klaus se souvenait encore d'elle, gamine, lui demandant, inquiète:
-Non, mais Klaus, toi qui le connais mieux que ses fascistes de parents, tu crois vraiment qu'il m'aime?
-Mais bien sûr Bleue, ça se voit tellement! Bien que j'ai beaucoup de mal à le comprendre sur ce point de vue...
Vannes de collégiens. Tape légère et amusée de la japonaise sur son épaule. Ses seules raisons de vivre: Lucien, Klaus et la révolution communiste. Qu'est-ce qu'elle avait pu radoter sur son Karl Marx...et elle était si amoureuse de lui...
Il fallait qu'il la voit pour lui annoncer la nouvelle. Elle était la seule sur Terre à pouvoir ressentir la même chose que lui si elle l'apprenait, et ensemble, la chose serait moins difficile à accepter. D'un pas déterminé, il sortit de l'hôpital, tableau à la main, comme il en était entré.
Retour aux rues animées de Marseille.