Chapitre IV - Le cas Fahrenheit
Le lien entre le jeu vidéo et le cinéma est parfois si étroit que le produit auquel nous avons affaire est difficilement définissable. C'est le cas du jeu de Quantic Dreams, Fahrenheit. Enfanté par le talentueux David Cage, auquel on devait déjà Omikron - The Nomad Soul, Fahrenheit se trouve être ce chainon manquant.

Juste ce qu'il faut de caractère hollywoodien, et une grosse dose d'interactivité avec le joueur, voilà ce que propose Fahrenheit. Après un tutorial dirigé par David Cage lui-même (ou, tout du moins, sa version digitalisée), l'histoire prend place à notre époque, durant un hiver qui s'éternise. Les lumières chaleureuses du Doc's Diner contrastent avec l'épaisse couverture du neige qui recouvre New York. Rien, dans cette atmosphère calme et appaisante, n'aurait pu laisser présager de ce qui allait ensuite se passer... Lucas se réveille et découvre, gisant à ses pieds, le cadavre d'un homme. Sous le choc, il relève la tête et constate que l'arme du crime, un couteau, est dans sa main. Non, je ne suis pas l'auteur de ce carnage... tente-t-il de se convaincre, mais les faits sont là : les toilettes du bar sont couvertes de sang, et la victime a bien été poignardée. Lucas n'a cependant aucun souvenir d'avoir commis cet acte, aurait-il été possédé ? L'heure n'est pas à la réflexion, il faut faire quelque-chose... C'est à ce moment que vous entrez en scène, prenant directement les commandes de Lucas. Les joysticks servent à orienter le personnage, l'un controlant Lucas et l'autre la caméra... et c'est tout ! Durant tout le reste du jeu, vous ne vous servirez que des deux joysticks, chaque action étant attribuée à une direction donnée par rapport au joystick. Prenons un exemple simple, Lucas est dans les toilettes et son moral est au plus bas, que pourriez-vous faire pour le remettre sur pied ? Avancez donc vers le corps, une fenêtre s'affiche en haut de l'écran et, via un pictogramme, vous indique que vous avez la possibilité de transporter le corps en inclinant le joystick vers le bas. Une fois le corps caché dans l'un des WC, pourquoi ne pas nettoyer la mare de sang qui recouvre le sol ? Un coup de joystick vers une serpillière qui trainait par là et voilà que votre personnage se change en ménager de fortune. Enfin, pour terminer, dépéchez-vous d'aller nettoyer vos mains à l'un des lavabos pour ne pas attirer l'attention une fois que vous déciderez de quitter les lieux. L'intérêt du jeu réside principalement dans l'effet qu'auront vos actions sur la santé mentale de votre personnage. Symbolisée par une échelle de 100 points, et de plusieurs niveaux majeurs (Neutre, Dépressif, ...), maintenir votre moral à un niveau correct est primordial puisqu'une mauvaise maitrise de ce dernier pourrait entrainer... le suicide de votre personnage ! Pour cela, de nombreux moyens sont à dispositions, du plus commun au plus recherché. Par exemple, boire un café remontera votre jauge de 5 petits points tandis qu'allumer la télévision et s'apercevoir que vous êtes recherché par la police la réduira de moitié. La similitude avec Les Sims est frappante, mais l'originalité de Fahrenheit tient dans le fait que vous n'êtes en aucun cas passif durant ces actions. Vous êtes l'acteur principal de tout ce que fera votre personnage, et autant vous le dire tout de suite : il est déconseillé d'être un mou du joypad ! A ce moment là, une scène cinématique s'affiche à l'écran et vous devez, via l'un des mini-jeux proposés, réussir l'action enclenchée. A la manière des Quicktime Event de Shenmue ou Resident Evil 4, ils sont 3 et correspondent parfaitement à ce qui se déroule à l'écran...

Lorsqu'une cinématique qui fait appel à vos reflexes commence, il vous faudra incliner les deux joysticks au bon moment et dans la bonne direction. Ces scènes sont bourrées d'actions et vous devez faire vite pour ne pas que votre personnage se loupe à l'écran. A l'inverse, d'autres scènes nécessite un effort physique de la part de votre personnage, et donc de vos chers petits doigts. Lorsqu'il faudra faire des tractions, sauver un jeune garçon de la noyade, fuir des agents de police, cacher un cadavre..., les touches L1 et R1 apparaitront à l'écran et il faudra alternez les impulsions. Enfin, les mouvements des personnages sont calqués sur les mouvements que vous effectuez au joystick. Près d'une porte, par exemple, un pictogramme symbolisant une direction vous indique le mouvement à reproduire sur la manette (dans le cas présent, un arc de cercle avec le joystick). Ainsi, durant l'intégralite de l'aventure, seuls les deux joysticks et les boutons L1 et R1 sont utilisés. Cela facilite la progression, et l'accessibilité du titre n'en est que plus grande.

Les adeptes de jeux d'aventure qui aiment aller papoter avec chacun des personnages risquent d'être dépaysés, puisque ce genre d'action, dans Fahrenheit, pourrait bien signer votre arrêt de mort. Chaque geste que vous allez effectuer dans le jeu aura une répercution directe sur la suite des évenements. Revenons au tout début du jeu. Une fois les toilettes nettoyées, il est temps de vous enfuir du bar. Pour ne pas éveiller les soupçons, évitez de courir et sortez comme si de rien n'était... Mauvaise pioche ! Votre personnage avait pris un café dans le bar, et il est interpellé par la serveuse qui lui demande de payer sa note. Evidemment, vous avez trop de choses à vous reprocher pour retourner à l'intérieur, et vous continuez donc à fuir. Taxi, métro, ruelle... De nombreux choix s'offrent à vous pour quitter les lieux. Voilà comment cela peut se passer, mais les evenements peuvent prendre une tournure différente. Si vous tardez trop à cacher le corps, une fenêtre s'affiche dans le coin de l'écran en vous présentant ce qui se déroule dans le bar. Surprise ! Un policier qui était assis au comptoir se rend aux toilettes, il ne vous reste que quelques secondes pour rendre les lieux impeccables ! Si, par miracle, vous réussissez, le policier entre dans les toilettes et prendra nettement plus de temps pour s'apercevoir qu'il y a un corps dans une des cabines. A ce moment, si vous étiez déjà partit, la fenêtre affichera le policier en train d'interdire aux gens du bar de se lever. Si vous étiez encore dans les toilettes, il vous aura directement arrêté, alors que si vous étiez à votre table, il serait venu vous interroger. A ce moment intervient une autre des nombreuses originalités de Fahrenheit : la possibilité de choisir les répliques. Pour que le jeu de Quantic Dreams offre une liberté de mouvements et de choix totale, il fallait absolument que nous puissions choisir ce que Lucas répondra aux déclarations des gens. C'est chose faite, puisque absolument TOUTE les paroles des différents personnages sont à votre portée. Le système est le même que lorsque vous choisissez une action à faire, il vous suffit d'incliner le joystick dans la direction de ce que vous voulez dire. Présentées sous la forme d'un simple mot, vos futures déclarations auront toujours un impact direct sur la suite de la discussion, et changeant parfois totalement le sens de l'aventure. Lorsqu'il vous faudra choisir entre donner ou non l'enfant/messie à la vieille dame qui vous aide au cours de l'histoire, pas moins de 6 fins différentes seront disponibles, un peu à la manière des fins multiples que l'on retrouve parfois dans les bonus DVD, chacune changeant radicalement le sens de l'histoire.

Pour que l'aventure soit réellement interactive, il fallait que l'on s'identifie aux personnages que l'on contrôle. Dans Fahrenheit, tous les personnages principaux de l'histoire passeront entre vos mains dont les trois principaux sont les suivants : Lucas Kane, Carla Valenti et Tyler Miles. Le premier est un informaticien amateur de Shakespear et desespéré par sa rupture récente avec Tiffany, son ex-petite amie. La suite, vous la connaissez. Lucas tuera un homme alors qu'il était possédé par on ne sait quelle entité (tout du moins, au début...) et essaie désormais de reconstruire sa vie et de comprendre pourquoi il a été poussé à faire cela. Carla Valenti est une inspectrice réputé dans le milieu, célibataire, et en charge d'une enquête concernant un meurtre qui a eu lieu dans les toilettes d'un bar. Tyler Miles est son associé. Il est la touche humoristique du jeu, et est partagée entre ses deux amours : sa fiancée et sa soif de justice... Un meurtre dans les toilettes, ai-je dis ? Oui, c'est bien ça. Dans Fahrenheit, vous contrôler l'auteur du meurtre, mais aussi ceux qui sont en charge de le résoudre. Ainsi, à vous de voir si vous préférez écrouer rapidement Lucas Kane (ce qui entrainerait la fin du jeu) en laissant des indices un peu partout et en les récupérant par la suite avec Carla et Tyler, ou si vous préférez rendre l'affaire plus difficile, pleine de rebondissements et riche en émotions pour les deux inspecteurs. Bref, vous avez la main mise sur le déroulement de l'histoire, tout comme un réalisateur. On s'attache rapidement aux personnages, puisqu'on les controle tout au long de l'histoire, dans quelque lieu qu'ils soient. La phase de l'appartement de Carla sera l'occasion de la contrôler en petite tenue, de l'emmener aux toilettes ou de se faire tirer les cartes par son voisin de palier homosexuel venu lui rendre visite. Chez Tyron, on retrouve sa petite amie, triste de le voir partir tous les matins affronter les dangers de la rue en ne sachant pas s'il rentrera le soir. Ce sera aussi l'occasion d'une séance de strip-tease (intégral, oui oui...) particulièrement émoustillante. Par contre, chez Lucas, et même si le côté sexy sera également présent si vous jonglez habilement des mots lorsque Tiffany vous rend visite, la frontière entre réalité et hallucination sera beaucoup plus fine. A vous de voir si, lorsqu'il se réveillera la nuit, vous essaierez de vous rendormir ou vous irez voir ce qui cause ce bruit dans le salon. Rien ne vous empêche nous plus d'aller lire les nouvelles sur votre ordinateur (où un article ironique sur les méfaits du jeu vidéo y est hilarant.) Bref, la possibilité de contrôler tous les personnages offre au jeu une richesse incroyable, d'autant que leurs chemins se croiseront très souvent et que chacune de leurs altercations torturera ton esprit : qui choisira-tu de faire avancer ?

Les développeurs de Quantic Dreams ont voulu faire de Fahrenheit une expérience incroyablement interactive, mais aussi la plus cinématographique possible. Que ce soit au niveau de la mise en scène, alternant séquences émotionelles (nous aurons même droit à une bonne demi-douzaine de scènes hot), intrique mélangeant sciences occultes et sacrifices mayas, et scènes d'actions hollywoodiennes bien senties, le jeu de Quantic Dreams doit beaucoup au 7ème Art. Le positionnement des caméras lors des cinématiques, puisque l'on retrouve beaucoup de plongées/contre-plongées, mais aussi et surtout une division de l'écran afin de voir l'action selon différents points de vue à la manière de la série 24. Le ton de l'image est aussi particulièrement soigné, surtout lors des décors en extérieur. New York étant ravagé par la neige, recouvrant la ville d'un épais manteau blanc, et parsemé de nombreux buildings aux teintes grises et monotones, l'image devient involontairement noire et blanche, mélancholique et la seule couleur vient du personnage qui ose déranger ce calme ambiant. Dans la même optique, les flash back sur la jeunesse mouvementée de Lucas donnent à l'image un ton sépia particulièrement adapté, accompagnée de quelques sautes d'écran et parasites du plus bel effet.
Au niveau du son, on trouve également du lourd. Angelo Badalamenti s'occupe habilement de l'ambiance sonore du titre. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais Badalamenti est le compositeur favori de David Lynch, et il est l'auteur de nombreuses soundtracks, de Blue Velvet à Twin Peaks en passant par Un Long Dimanche de Fiançailles. Ses créations renforcent le côté intriguant du jeu, avec des envolées de violon qui collent parfaitement à l'ambiance, et les morceaux funky/groovy qui accompagnent les apparitions de Tyler sont du plus bel effet. D'autres compositions plus diverses agrémenteront le jeu, lorsque vous allumerez un matériel hi-fi, avec notamment Martina Topley-Bird qui signe un superbe Sandpaper Kisses, très bien adapté à l'atmosphère appaisante de l'appartement de Carla. Nina Goodman apportera également sa patte jazzy, tandis que le groupe de rock canadien Theory Of A Deadman offre trois titres à la bande-sonore du jeu, l'excellent Santa Monica en tête. Le doublage a également fait l'objet d'une attention toute particulière de la part de l'équipe de développement, puisque l'on retrouve les voix françaises de Keanu Reeves (Lucas), Angelina Jolie (Carla) et Will Smith (Tyler).
Le nouveau projet de l'équipe de Quantic Dreams fonce directement du côté du film interactif, comme l'a été, vous l'avez compris, Fahrenheit. La vidéo que nous avons pu apercevoir quelques jours après qu'elle ait été dévoilée durant l'E3 2006 nous présente un casting mettant en scène une jeune femme du nom d'Aurélie Brancilhon. Passant du rire aux larmes, l'actrice nous raconte comment, après avoir appris que son mari la trompait, elle a tenté de se suicider avec un revolver. Reprenant la raison, elle se dit qu'elle n'est pas fautive, que si sa vie est détruite, c'est entierement la faute de son mari. Elle charge son revolver, attend patiemment le retour de son homme, puis lui vide tout ce qu'elle a sur le coeur avant, finalement, de vider son chargeur dans son crane. La vidéo, d'une qualité exceptionnelle, est censée représenter les capacités des machines next-gen concernant la retranscription parfaite des émotions. Heavy Rain est un titre qui fera à coup sûr parler de lui, et que je te conseille fortement de surveiller du coin de l'oeil. Playstation 3, Xbox 360 et PC, évidemment.

J'espère sincèrement vous avoir donné l'envie de découvrir ce jeu qui regorge de bonnes idées, à chaque fois magistralement bien exploitées, mais qui vous fait également vivre une aventure particulièrement rafraichissante, et, plus que tout, personnelle. Ici, vous êtes le héros de l'histoire. L'emprise du scénario, l'étreinte du Dieu/gamedesigner, la diégèse ludonumérique, tout cela n'existe pas : vos actes répondent de votre subconscient et de votre morale, sachant qu'il faudra à chaque fois les assumer sans possibilité de retour. C'est cet état d'impuissance mêlé à cette envie de découvrir jusqu'où la perversité de tout insérer des développeurs a été qui font la richesse de Fahrenheit. On est en constante interrogation, toujours à se demander si cette action ne nous sera pas préjudiciable, avec ce goût du risque qui nous pousse à franchir des limites quitte à les payer ensuite. Ce dossier n'étant pas dédié à l'extrapolation sur plusieurs sujets (puisqu'on parle de jeu vidéo et de cinéma, si tu as déjà oublié), nous en resterons là de l'aventure physique et psychologique que procure Fahrenheit. Le mieux, c'est que tu y goûtes toi même.
Le meilleur jeu auquel je n'ai jamais goûté, tout simplement.
BONUS
Encore une fois, quelques petits cadeaux pour te dire merci. Des fonds d'écran, des vidéos et la démo jouable officielle de Fahrenheit.
La bande annonce du jeu
Une vidéo de quelques passages Olé olé du jeu (sans toutefois dévoiler le meilleur ;-)
Une vidéo de Lucas jouant de la guitare
La démo PC de Fahrenheit
Damaster >> Sois sûr que des articles sur ces jeux d'exception viendront agrémenter mon blog ;-)