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Arnaud Marty-Lavauzelle, l'ancien président d'Aides, flamboyant et efficace, est mort après vingt ans de lutte contre la maladie.
Il le disait, souvent. Il le disait en éclatant de rire : «Même dans la pire des catastrophes, il y a toujours quelque chose à faire.» Arnaud Marty-Lavauzelle est mort du sida dans la nuit de lundi à mardi (1), chambre 9, à l'hôpital la Pitié-Salpêtrière de Paris.
C'était une des personnalités les plus flamboyantes de l'histoire du sida en France. Mais aussi les plus efficaces, les plus combattantes. Président de l'association Aides, de 1992 à 1998, c'est-à-dire pendant les pires années. Depuis plus de trois ans, cela n'allait plus. Le virus gagnait, le corps s'épuisait, jamais pourtant il ne baissait les bras. Malade puis vingt ans, il disait : «Il faut tenir, tenir, jusqu'à demain.» Ces derniers mois, nul n'y comprenait plus rien. L'équipe du professeur Christine Katlama faisait tout, et même parfois l'impossible. Son compagnon Hugo Curletto était là, il s'énervait. Hugo est styliste. Alors que ses proches étaient démunis, désemparés par l'aggravation de son état, c'était Hugo qui a pris la relève. Arnaud ne parlait plus. C'était Hugo qui s'est mis à parler pour lui. Arnaud n'avait plus la force de se battre. Hugo se battait à sa place.
Unique. Dans le paysage des associations luttant contre le sida, Arnaud Marty-Lavauzelle a toujours été unique. Peut-être en raison de ce nom impossible qu'il porte, fruit d'une adoption, ou bien à cause de ce visage, aussi élégant que chaleureux. Il est né juste après la guerre, en 1946. En 1969, tout jeune médecin psychiatre, emporté dans la foule de cette génération qui s'engage, il s'en va. Et se rend au Biafra, avec Bernard Kouchner et son ami Patrick Aeberhard. «Les représentations catastrophiques me sont vite devenues familières, racontait alors Arnaud Marty-Lavauzelle. De retour, c'était l'antipsychiatrie qui s'emballait, les fous enfermés, la lutte contre les pratiques asilaires, et la découverte de la thérapie familiale.»
Acteur. Peu d'entracte dans le malheur. Arrive le sida. L'hécatombe. Ils sont quatre amis inséparables. Trois sont morts. «Et je me suis retrouvé isolé, dans un désarroi d'autant plus profond que ma culture psychiatrique et médicale ne me servait à rien.» Ainsi, en 1987, il devient volontaire à Aides : «J'ai lancé un groupe de soutien aux personnes en deuil.» En 1992 le fondateur de l'association, Daniel Defert, le choisit pour prendre la relève. Une succession parfaite. Daniel Defert avait réussi à fonder un lieu d'accueil ouvert à tous, ayant eu cette idée inouïe de faire du malade un acteur clé du changement. Arnaud Marty-Lavauzelle va développer Aides, puis l'organiser : 32 comités locaux, 3 500 volontaires, une présence dans 99 villes. Aides devient la première association de lutte contre le sida en Europe. «On ne peut pas être dilettante. Ce sont nos vies qui sont en jeu.» Arnaud disait aussi : «La pire image que je peux avoir en tête, c'est celle de quelqu'un qui, juste, passe dans une chambre d'hôpital et laisse quelques pâtisseries, puis repart.»
Lui reste. Dans ces années de lutte, deux moments parmi d'autres. En décembre 1995, Pierre Kneip vient de mourir. Pierre était une personnalité singulière du monde associatif, fondateur de Sida Info Service : lors d'une messe en sa mémoire à l'église Saint-Eustache à Paris, Arnaud Marty-Lavauzelle, alors président de Aides, ne supporte pas quelques propos mielleux sur la «banalisation» de l'épidémie. D'un coup, il se lève. En pleine église, il prend violemment à partie l'orateur. L'assemblée est subjuguée, ahurie, si contente d'entendre cette colère intacte. Trois ans plus tard, à Genève au siège de l'OMS, c'est une matinée d'hiver. Les traitements les trithérapies commencent à arriver. Et Arnaud Marty-Lavauzelle a voulu participer à cette séance plénière pour convaincre les représentants des différents pays de rendre accessibles les traitements pour les pays du Sud. Il est un des tout premiers à en parler. Les experts ironisent, certains lâchent : «Ne rêvons pas.» Arnaud Marty-Lavauzelle a continué de rêver. Patrice Chéreau lui a remis en 1998 la Légion d'honneur, Arnaud a participé ensuite à la création du Fonds mondial de lutte contre le sida. Puis Bertrand Delanoë l'a nommé pour la coopération à la ville de Paris.
Mardi matin, à l'hôpital la Pitié-Salpêtrière, son compagnon, Hugo Curletto, est allé à l'état civil pour le certificat de décès. L'employé a demandé : «Marié, veuf, divorcé ?» Hugo a répondu : «Non, pacsé.» L'employé : «Il n'y pas de case.» Les combats ne sont jamais tout à fait gagnés.
Je pense qu'il est important de rendre hommage à des gens comme ça, qui se battent pour une cause et y croient

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posted the 02/15/2007 at 11:04 AM by
freddodo