Klaus riait: «C'était quelqu'un, ta mère!». Bleue remarquait toujours cette ligne qui lui barrait le front, un chemin de peau qui irriguait ses yeux. Elle n'apparaissait que lorsqu'il était fatigué. Et elle et lui n'avaient pas dormi depuis trois jours. Une façon pour eux, spécialement pour Bleue, qui leur permettait de récupérer toute cette chaleur qui avait disparue en même temps que Lucien, qui les avait enveloppés depuis tant de temps. Nous sommes tous nés avec un gros trou dans le coeur...certains le rebouchent, d'autres non, mais tous essayent. Bleue se réfugiait dans Klaus, morte de froid, prête à tout pour arracher son lambeau de chaleur, comme une chienne dans l'hiver.
La religion interdit la consolation, et, impuissante face à l'amour, elle a inventé le mariage. Klaus s'était levé. Il fouilla dans les tiroirs, puis il arriva, la mine triomphante vers Bleue étendue sur le canapé. Il lui fourra un bout de papier journal dans les mains. Bleue s'éveilla alors, doucement. Elle parcouru du regard le papier. Ses yeux prirent alors peu à peu vie, en s'illuminant, humides comme deux gouttes d'eau. Elle caressa doucement sa barbe naissante puis se plongea dans l'article en noir et blanc.
C'était le quotidien paru le lendemain de la mort de Kurt Cobain. On avait découvert son corps dans une maison dépeuplée à la campagne. Il y avait de la poussière et quelques herbes jaunies dans ses cheveux blond paille; en première page on lisait, en lettres noires et capitales: NEVER MORE.
Edgar Poe.
Kurt Cobain's death.
Bleue n'avait pas la force de lire l'article. La photo de celui qui avait bercé Lucien était en première de couverture. Etalée de long en large, en noir et blanc. Kurt avait des yeux brillants, de très beaux yeux.
Pourquoi le regarder ainsi était si douloureux pour Bleue? Dans tous ces traits, elle croyait voir son Lucien, et plus largement, toutes les atrocités du monde, tout ce Mal avec un grand M que Kurt avait su rendre beau en le chantant. Les viols, les enfances et les vies massacrées, et même l'art du massacre de la vie, les cons et les clichés...Et la solitude. Kurt était seul.
Et Bleue avait laissé Lucien seul. Et jamais elle ne se le pardonnerait.
Il était ce qu'il y a de beau dans le mal et de mal dans le beau...
C'est une longue route en solitaire
De la mort à la naissance
De la naissance à la mort
Je t'aime, je t'aime encore.
J'avais trois ans à peine
Trois ans déjà
Quand dans les journaux on voyait
«Never more», Kurt est mort.
Je n'ai jamais pleuré
Mais toujours en moi tu criais
Tu hurlais tes pleurs, tout le chagrin
Des êtres humains
A travers mon corps je te connaissais
A travers tes notes je te lisais
A travers ton âme je te comprenais
Kurt à jamais...
Voilés tes sons je m'en souviendrais
Tes disques sont un miroir
Dans lesquels chacun peut te voir,
Tes yeux étaient si noirs
Que Polly à l'intérieur s'est faite violée
Que les gens vendaient leurs enfants
Pour, tu sais, seulement, de l'argent.
Mon icône, je t'aime, je t'aimerai
Quel regret de jamais n'avoir vu danser
Dans les préaux, sous la lune, tes cheveux sales
Blonds. Et cette fureur animale,
Qui te déchirait quand tu chantais
Toutes tes tripes qui me parlaient.
Je n'ai jamais pleuré
Mais toujours en moi tu criais
Tu hurlais tes pleurs, tout le chagrin
Des êtres humains
A travers mon corps je te connaissais
A travers tes notes je te lisais
A travers ton âme je te comprenais
Kurt à jamais.
Kurt à jamais.

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posted the 01/02/2007 at 03:11 PM by
asukaaa