Nous sommes en 1996. 2Pac est alors au cœur de la tourmente. Il vient de sortir de prison, a essuyé un attentat par balles dans lequel il a été touché 5 fois et vraisemblablement signé un pacte avec le diable avec le label Death Row Records. All Eyez On Me sera son plus gros succès et sans doute le début de la fin pour le rappeur de la côte Est, exilé en Californie dès son adolescence.


Réalisé en Fevrier 1996 par Vibe - Peu de temps après sa signature chez Death Row



2Pac est en pleine crise de paranoïa, jetant des litres d'huile sur le feu de la guerre East Coast / West Coast. 2Pac au meilleur de sa forme affiche sa mauvaise foi et s'en prend à Notorious B.I.G, Puffy et même DR.DRE, soutenu par Davey D., interviewer complaisant, basé à Oakland, le fief de Shakur. Un témoignage historique à prendre avec des pincettes quand on sait que de tels propos ont sans doute poussé deux légendes du rap à leur perte. Une interview dont l'intégralité est disponible, en V.O sur l'album In His Own Words entrecoupé d'inédits, de titres rares (notamment deux duos avec Notorious B.I.G) et de l'hommage de Naughty By Nature au disparu, Mourn U Till I Join U.


Comme le rappellent aujourd'hui Mos Def et Talib Kweli: ce n'est pas facile d'être un MC…la preuve.



Il semble qu'à chaque fois que tu reviens avec un nouvel album, il y a quelque chose qui cloche, comme cet incident à Berkeley, avec la police…Quand tu dérapes comme ça, qu'est-ce qui te viens à l'esprit quand tu penses à tes millions de fans qui se posent des questions?


2Pac: Ca me fait mal, parce que je sais ce qu'ils se disent: Merde! Toi tu as tout, pourquoi tu fais ça? Au fond de moi, je sais que je ne veux pas aller en prison, j'essaye juste de vivre, tu comprends? D'un autre côté, je ne peux pas parler que pour moi, parce que je représente une communauté et tous les jeunes mecs noirs vont endurer ça, les jeunes nanas noires aussi et les jeunes blancs aussi. C'est ce que vivent toutes les minorités: tu essayes de t'en sortir, et on te remet cinq marches en arrière, ensuite tu remontes huit marches et on t'en fait dégringoler dix-huit. Cette souffrance n'est pas personnelle car tout le monde passe par là. La seule différence entre eux et moi, c'est que les gens m'observent du début à la fin. C'est comme une série TV: vous pouvez mater mon cul alors que les autres peuvent se cacher, rentrer chez eux et faire quelque chose pour surmonter ça. Mais moi, vous m'avez vu faire, vous m'avez vu confronté à mes plus grandes souffrances, vous m'avez vu essayer de m'en remettre, et de contrôler ma vie, vous l'avez vu, tout le monde l'a vu. Voilà la différence.


Après cet incident sur la côte Est, quand on t'a tiré dessus et tout ce qui s'est passé cette nuit là, j'ai pu lire un tas de trucs au sujet de cette confrontation…


2Pac: La première chose qui m'a traversé l'esprit a été Putain! On m'a tiré dessus!. Tu sais, jamais je n'aurais imaginé que je puisse être touché. Alors maintenant je fais très attention. On dit que je suis irrespectueux, mais je dois être prudent. On m'a tiré dessus cinq fois, alors je sais ce que c'est. Je ne fais pas exprès de me retrouver dans cette situation, je sais que nous avons tous le choix.

Mon choix est déjà fait et même si je veux le changer, ce n'est pas possible! C'est ce que j'ai appris en prison: je ne peux pas avoir un autre style de vie, c'est comme ça. C'est la vie qu'on m'a donnée, c'est la vie que je me suis construite. J'ai essayé de passer à autre chose, mais j'en reviens toujours au même point devant les juges, devant tout le monde. C'est comme ça. J'essaye juste de survivre et de faire sortir un peu de bien du mal.

Comme quand tu plantes des roses dans du béton: si par miracle ça pousse, et que les pétales ont plein de marques et d'égratignures tu ne vas pas te dire Merde, regarde ces pétales pleines d'égratignures, mais Ouah, il y a une rose qui pousse dans le béton!. C'est la même chose pour moi, je suis né dans cet état, les gens doivent se dirent: il est sorti de là.


Tu as enduré tous ces procès, toutes ces épreuves, et pourtant tu es toujours là. Mais on dirait qu'il y a toujours plus d'obstacles sur ton chemin.


2Pac: Ouais c'est de plus en plus dur. Ca me tue. A chaque fois que je me dis Ouais, ça y est, le pire arrive! C'est comme un trou noir, une malédiction, un truc que je ne peux pas arrêter, et qui ne va pas me laisser en paix. Des fois, quand je suis ivre, je me demande si c'est bien vrai, si je vais m'en sortir. Mais c'est ce qu'ils veulent, que j'abandonne. Alors c'est devenu comme un jeu, un jeu crucial où parfois je pleure, parfois je souris. J'ai des bons et des mauvais moments mais un jour le jeu va s'arrêter, alors il faut que je me paye un maximum de bon temps avant que ce soit mon tour de partir.


Comment ça s'est passé avec Suge Knight et Death Row ?


2Pac: Suge, je le voyais tout le temps. Quand ils ont fait la musique du film Murder Was The Case et quand j'avais mes ennuis avec la loi, lui, il était là: Allez mec, donne moi une chanson. Pas de problèmes, je lui file une chanson et jamais je n'avais eu autant pour une chanson. J'ai touché environ 150 000$ juste pour une chanson, et ils ne l'ont même pas utilisée. Il l'a fait parce qu'il savait que j'avais des problèmes avec la justice. Il m'a demandé de venir sur Death Row, mais je ne me sentais pas prêt, et j'allais vraiment arrêter de rapper. Or, un jour, je regardais la télé dans ma cellule: il y avait Puffy et Biggie, ils ont menti, ils ont changé les faits. Moi, je ne veux plus jouer et eux veulent salir ma mémoire, veulent salir tout ce que j'ai fait.

C'est ce qui m'a décidé pour Death Row . Je suis revenu avec encore plus de ressentiments pour briser ceux qui étaient mes potes, mes homeboyz. J'ai travaillé dur pour la musique et pour que dans ce business, il y ait de l'amour entre la côte Est et la côte Ouest et que tout le monde se sente à l'aise. Des gens trouvent ça idiot, mais ça ne l'est pas du tout. Tu ne peux pas être irrespectueux vis-à-vis de l'amour et du traité de paix.


Vous en êtes restés là ?


2Pac: Nous devons faire cette guerre et tenir ce discours jusqu'à ce que nous renégocions les termes du traité. J'aime la côte Est, c'est de là que je viens, mais ils doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas nous insulter à tout bout de champ, et penser qu'on ne va pas le prendre comme quelque chose de personnel! Ils ne peuvent pas nous traiter d'imposteurs et de branleurs, soi-disant nous ne sommes pas créatifs, on est nul en freestyle, et tout le reste…On est supposés rester cool !?!?

C'est comme un gamin qui se fait plein de fric, et que son grand frère lui dit: C'est à moi que tu dois tout ça. C'est faux. Alors, ne pétez pas les plombs si des mecs veulent une petite part du gâteau. Quand je suis sorti de prison, parce que je m'étais fait tirer dessus sur la côte Est, je voulais qu'ils aillent se faire foutre ! La moitié des rappeurs de la côte Est étaient présents lorsque c'est arrivé mais personne ne savait rien ! La police les a interrogés mais ils n'avaient rien vu ! Et tout le monde sait qu'ils mentent. Si on était potes et que Biggie se faisait descendre sur la côte Ouest, je ne dirais pas qui l'a fait mais je n'irai pas traîner avec les niggaz qui l'ont fait. J'irai les voir personnellement, et je ferai selon les règles de l'art.

Donc, quand j'ai été abattu, je me suis demandé: Putain, qu'est ce qui c'est passé ? J'ai respecté les règles ! Viens me voir en prison, Biggie !. Et je l'entends à l'antenne, il est là: 2Pac est mon homeboy… Mais il ne vient pas me voir. Mon homeboy Stretch va à son concert. Mes gars m'abandonnent, mais à la radio et à la TV ils sont là: Courage, Pac, continue la lutte. Ces mecs vont profiter du fait que je suis en prison et tenter de prendre ma place. Et si tu regardes c'est ce que Biggie a fait. Ecoute son album: j'étais là, je lui apprenais tous les trucs, j'étais comme son lieutenant. Je venais à N.Y., et je demandais qu'il fasse la première partie de mon concert histoire qu'il se fasse un nom, car personne ne le connaissait là-bas. Je lui ai dit Si tu veux te faire de l'argent, il faut que tu rappes pour les nanas, pas pour les mecs. Les nanas achèteront ton disque, et les mecs veulent ce que veulent les nanas. Alors d'un coup, il a changé, il est devenu ce Big Poppa, grâce à moi. Quand Ready To Die est sorti, ça sonnait comme mon album. Tous mes disques parlaient des rapports à la mort, et lui a sorti Ready To Die ! C'est pour ça que son disque ne sonnait pas côte Est, parce que Biggie a pris mon truc.


Comment ça se passe avec Dr. Dre et de quelle manière cela affecte Death Row ?


2Pac: Dre fait son propre truc, ça ne nous affecte pas. Ce qui s'est passé, c'est quand que quand Snoop a été jugé pour meurtre, quelqu'un a dit que Dre était dans la voiture, et les juges l'ont cru. On avait besoin de lui pour qu'il vienne dire qu'il n'y était pas, ça aurait innocenté Snoop, ils auraient vu que le témoin mentait. Dre n'est jamais venu. Il a dit qu'il était trop occupé. Je me suis dit, peut importe qu'il soit toxico, et il est vraiment un de mes héros dans l'industrie du disque, mais s'il ne vient pas pour ses homeboyz, pour Snoop qui l'a ramené sur le devant de la scène alors qu'il n'était plus qu'une relique. Je ne veux pas me mêler de ça, et de plus je suis sûr que la réalité éclatera au grand jour. Je n'ai pas à divulguer ses secrets. Vous pourrez vous faire votre propre opinion et vous comprendrez pourquoi je l'ai fait. Je jure devant Dieu que j'agis selon les règles du jeu que vous nous avez fixées.


Comment tu te vois dans cinq ou dix ans ?


2Pac: Je me vois avoir un job chez Death Row, faire de l'artistique, être un artiste capable de jeter un album de Paul McCartney . Mais aucun rappeur ne l'a jamais fait. Avoir ma propre société de production, ce qui est déjà presque le cas, mon propre restaurant, que j'ai déjà avec Alanis, Snoop et Suge et que je vais agrandir. J'ai aussi commencé l'aménagement d'un endroit en Californie pour les jeunes, afin qu'on puisse jouer contre des équipes de la côte Est, du sud, du Mid West. Un endroit où tu peux avoir un beau trophée avec des diamants pour les gamins qui ne touchent pas à la drogue et qui vont à l'école, sinon ils se font virer de l'équipe. Que je puisse utiliser ce que j'ai, faire des concerts, pour donner en retour.


Pour terminer, tu sais que tu as plein de fans qui nous écoutent et qui n'ont pas la chance de pouvoir te parler personnellement. Y a-t-il quelque chose en particulier que tu voudrais leur dire ?


2Pac: Première chose, quand vous venez vers moi et que je n'ai pas la réaction que vous attendez, ce n'est pas par ingratitude, mais parce que je suis nerveux, parano. Je viens juste de sortir de prison, on m'a tiré dessus et on m'a trompé et menti. Je ne sais pas trop comment me conduire avec tous ces gens qui veulent me donner leur affection. Je n'ai jamais vécu ça alors ne le prenez pas pour vous, essayez de comprendre. Mais je vous comprends aussi : mes fans me suivent à travers ma carrière et ils comprennent ce que je fais, ils n'écoutent pas ce que disent les autres. Ne m'extorquez pas d'autographes, car je suis vrai et je les donne quand j'ai envie. Je veux durer, et je ne veux pas être comme ces autres mecs qui détestent leurs fans. Ils vont vous donner des autographes, mais en fait ils vous détestent, ils ne vous regardent pas en tant que personne. Je crois que moi, je peux vous regarder dans les yeux, et vous dire Non, je n'ai pas envie de signer d'autographes et vous devez comprendre. Car je vous regarde comme des êtres humains. Je veux que les filles soient naturelles avec moi. De toute façon, les seules que je peux avoir sont celles des ghettos. Les autres ont peur de moi, leurs parents doivent leur dire: Ne va pas te compromettre avec lui.