La porte du manoir se ferme sur les sanglots du propriétaire alors que Séléné s'éloigne. La timide lueur du Soleil peine à percer l'épaisse couche de nuages gris ; le paysage devient terne et se confond à l'horizon. Le froid s'installe doucement mais sûrement et ce pour une longue durée. Malgré la finesse de ses vêtements elle ne semble pas souffrir du froid et lorsque que les premiers flocons se posent sur ses cheveux elle ferme simplement son ample manteau. Rapidement le paysage se pare d'une robe blanche immaculée. Les sons sont étouffés et la vie semble s'être endormie avec l'arrivée du froid ; le seul bruit qu'elle entend est le crissement de ses pas dans la neige.
Arrivée en haut d'une colline, elle contemple en contrebas le tracé fin d'une route parcourant la plaine blanche et qui parait se fondre avec le Soleil couchant. Sur celle-ci quelques voyageurs portent leurs bagages vers une vie meilleure et se croisent sans se voir. Étrangement ils semblent plus enclins à se diriger dans la direction où elle regarde, durant le temps où elle a contemplé ce spectacle une quinzaine de personne se dirigeaient dans ce sens et seulement deux dans l'autre. C'est suivant ce facteur mûrement réfléchis qu'elle décida de se diriger vers l'ouest.
Les bornes kilométriques dirigent sa vie durant les semaines que dure son voyage, les auberges ponctuent ses nuits et les pavés sont ses compagnons. Elle traverse de nombreuses villes ou villages et à chaque passages l'accueil est le même : méfiant et suspicieux envers l'étranger. Et toujours la sensation désagréable de déranger et de ne pas être la bienvenue. A plusieurs reprises IL reprit le contrôle et à plusieurs reprises elle quitta un village en deuil. Elle est lasse de devoir sans cesse se battre pour ne pas perdre le contrôle, c’est ainsi qu’elle s’abandonne trop facilement de nombreuses fois.
C’est au bord de l’épuisement physique et psychique qu’elle arrive devant les portes immenses de la ville. Une haute muraille entoure la ville et est percé à intervalles réguliers d’immenses portes en bois comme celles qu’elle contemple en ce moment. Elle ressemble aux valves d’un cœur avec le flot de personne qui entrent et sortent. C’est en entrant dans la ville, sans devoir régler de formalités et d’ailleurs il n’y a aucun garde, qu’elle se rend compte que ce qu’elle prenait pour une muraille est en fait un empilement anarchique d’habitations agglutinées les unes contres les autres. Aux fenêtres pends le linge d’une maison tandis que celle un étage en dessous semble habiter par un jardinier à en juger par l’abondance de plantes. Des enfants jouent dans les ruelles, surveillés négligemment par leur mère plus occupée à discuter avec la voisine. On entend régulièrement le bruit d’un seau d’ordure lancé sans prendre garde en contrebas puis quelques instants plus tard, les jurons de l’homme se les étant prises. Il y a de l’activité partout : dans les rues où les marchands alpaguent les passants en leur vantant les mérites innombrables de leurs produits, dans les maisons où l’on entend les pleurs des nourrissons et les berceuses des parents et sur les toits où les plus grand rêvent d’avenir et où les voleurs évoluent invisibles aux yeux de tous. La foule est tellement dense qu’elle peine à voire à plus d’un mètre. Toute cette agitation L’ont réveillé et Séléné peut l’entendre jubiler de voir un si grand cheptel à porter de main. Elle se sent rassuré en présence de tant de ses semblables, elle a l’impression que rien ne pourra plus arriver et qu’elle pourra enfin se reposer. C’est avec cette sensation de sécurité en tête qu’elle prend une chambre dans un hôtel de la ville, ni trop cher, ni donné il est acceptable d’autant qu’on devient moins regardant quand on a dormi dans des auberges misérables ou dans des champs depuis plusieurs semaines. La chambre est simple et fonctionnelle : un lit simple, une salle-de-bain et vue sur une rue peu fréquentée.
C’est à la tombé de la nuit qu’IL se fait de plus en plus pressant et affamé la poussant à sortir chasser. « Après tout ça fait des semaines que je ne me nourris que des campagnards faiblards et sans goût, il est temps de passer à de la gastronomie. » L’hôtel se trouve dans un quartier populaire de la cité qui s’en être misérable n’est pas ce qu’on peut appeler la « haute société ». On y trouve des plutôt des contremaîtres que des ouvriers, des marchands d’épices que des vendeurs de bibelots et des ecclésiastiques que des garçons de chorale. Mais IL voulait plus, cela ne lui suffisait pas, il demandait quelque chose de plus grand et de plus noble. Frayant son chemin à travers les passants et se dirigeant vers le cœur de la ville Séléné parcourt les artères de la cité et se mêle aux habitants en sachant parfaitement que certain d’entres-eux LUI serviront de repas.
Les demeurent deviennent de plus en plus luxueuse, prennent des étages et s’étendent ; les rues se vident mais les habits se font plus nobles et sa présence est de plus en plus discordante avec l’environnement. «Là, cette maison est parfaite » La maison en question s’élève sur deux étages et s’étend sur une trentaine de mètres de long ; le portail en fer richement ouvragé garde l’entrée d’un jardin à l’anglaise. Les haies sont bien taillées et droite, les parterres bien délimités et les massifs de fleurs ne dépassent jamais d’un pouce. La petite porte du portail grince un peu lorsqu’elle l’ouvre mais aucun son ne se fait entendre dans la maison ; il n’y a ni gardien, ni majordome et encore moins de chien pour l’accueillir. En traversant le jardin, elle s’aperçoit que si de loin il paraissait très bien tenu, de prêt la donne change et il devient évident que cela fait plusieurs semaines qu’il n’a pas été entretenu. Les fleurs sont fanées, les haies brunissent et de mauvaises herbes envahissent les parterres. La porte d’entrée lui fait face de toute sa hauteur ; à côté la chaine de la cloche semble ridiculement petite et sans usage, la porte étant légèrement entrebâillée.
Cette fois-ci elle ne grince pas et donne sur un hall richement décoré. Une multitude de tableaux orne les murs, ils représentent tous des portraits, sans doute de la famille possédant les lieux ; pourtant un visage revient plus souvent que les autres : celui d’un homme âgé au visage fermé et sévère. Un immense lustre projette son éclat vacillant dans toute la pièce accompagné par des appliques murales sous chaque tableau. En face d’elle l’attend un escalier sur lequel se déroule un tapis rouge si symbolique qu’elle se demande si le propriétaire n’est pas égocentrique ; en même temps il n’habiterait pas dans le quartier riche de la ville s’il ne l’était pas. Les marches de marbre de l’escalier n’attendent qu’elle et semblent l’inviter à fouler de ses pieds nus le doux tapis. Les fibres du tapis chatouillent ses orteils qui s’écrasent avec douceur sur le tapis ; la sensation est si agréable qu’elle prend plaisir à descendre puis remonter les cinq premières marches. Après avoir passé une bonne demi-heure à jouer avec le tapis Séléné arrive enfin au premier étage.
Le long couloir qui le compose donne sur une dizaine de pièce d’où n’émane aucun son pas même le feulement d’une chaudière en fonctionnement ce qui aurait été normal en ces heures d’hiver. Mais cet étage ne l’intéresse pas, elle préfère se hâter d’arriver au deuxième où le même couloir l’attend. Toutefois une différence fait son apparition : la porte du fond est entrebâillée et le sifflement d’une respiration difficile s’en échappe. La moquette atténue le bruit de ses pas tandis qu’elle s’approche sans trop de précaution de la porte ; à l’intérieur une chambre immense mais vide. Aux murs quelques tapisseries et comme seuls meubles un grand lit à baldaquin et une table de nuit à proximité. Les rideaux, sans être opaques, cache l’occupant du lit qui est, vraisemblablement, le responsable des sifflements. En les tirants Séléné contemple un cadavre, ou du moins une personne qui en est proche. L’homme est âgé, tellement qu’elle ne parvient à deviner son âge, la peau parcheminée de son torse nu peine à se tendre à chaque inspiration et donne l’impression qu’elle pourrait casser à tout instant. Accroché à un montant lit, un sachet empli d’une substance verte légèrement lumineuse déverse son contenu dans le corps de l’homme par le biais d’un tuyau perçant son bras. Les veines, facilement visibles, brillent de la même couleur inquiétante ; se remémorant des souvenirs proches Séléné préfère détourner le regard. « Qu’attends-tu ? Il ne sent plus rien, aurais-tu des remords sur ta demi-millième victime ? Allez ! Sully Prudhomme... » Sortant la courte mais tranchante lame, Séléné tranche le fil qui relie l’homme et la pochette. Et pendant qu’elle grave avec difficulté les mots suivant sur son torse parcheminé : « Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves, » le vieillard se met à trembler et à s’étouffer. C’est en dessinant la virgule finale que l’homme meure dans un dernier soubresaut. « Mais qu’as-tu fait imbécile ? As-tu la moindre idée du goût d’un mourant ? » Une vague de douleur envahit son esprit, déchirant ses neurones, brisant sa volonté et laissant au bord de l’inconscience. Soudain elle sent ses membres bougés et son corps se mouvoir, elle se rend à peine compte qu’elle quitte le manoir quand elle sombre définitivement dans l’inconscience.
Des cris aigus et perçant la tire de son inconscience et la ramène à ses sens. Dans sa main, la lame déjà rouge de sang et dans son bras un nourrisson pleurant. Le nouveau-né est une fille ne paraissant avoir que quelque semaine et est encore frêle. Elle se trouve dans une petite pièce mais encombrée contrastant avec celle qu’elle a quitté quelques temps auparavant. Les murs sont faits de briques nues et dans la pièce s’entassent tables, lits, commodes et autres meubles. Sur le lit git sur le ventre une femme ensanglantée portant sur son dos l’inscription : « Aux jours éteints de ma courte jeunesse ». Alors qu’elle contemple l’horreur que sa main a produit, celle-ci se déplace avec hâte sur la fine peau de l’enfant, écrivant d’un geste « Puis aux petits enfants il imposait les mains. » La vision de la vie de l’enfant s’échappant pour LE nourrir déclencha une volonté implacable en elle et sa main, dont elle avait repris le contrôle, se mit à calligraphier sur sa poitrine.
En se réveillant dans une chambre inconnue aux murs capitonnés, Séléné ne se rappelle plus qu’un cri terrifiant suivit d’une sensation de liberté. Sa poitrine la démange et en déboutonnant sa chemise elle contemple les mots suivant : « Il est fini ce long supplice : je n’ai plus rien à toi. »

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posted the 10/16/2007 at 04:13 PM by
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