Les organisateurs du festival La Route du Rock de Saint-Malo doivent être soulagés : dans la nuit du jeudi 16 août, la pelouse du fort de Saint-Père grouille de monde pour assister au retour du groupe américain Smashing Pumpkins. Sur scène, les citrouilles fracassées puisent largement dans Mellon Collie & The Infinite Sadness (1995), un des double albums les mieux vendus de l´histoire du rock.
Ils avaient fait leur adieu en 2000, mais ni Zwan, l´éphémère nouvelle formation créée par Corgan, ni son album solo ne lui ont permis de retrouver les cimes. D´où reformation (il ne reste du groupe originel que Corgan et le batteur Jimmy Chamberlin) autour d´un album, Zeitgeist, paru début juillet qui ne garantira jamais les revenus de Mellon Collie pour deux raisons : son absence d´inspiration et, surtout, la crise du disque.
PRIME À L´AUTHENTICITÉ
Pour s´offrir les Pumpkins, la Route du Rock, qui se termine le 17 août, a cassé sa tirelire : 120 000 euros. Soit 45 % du budget d´une programmation qui comporte trente noms. C´est le plus gros cachet de l´histoire d´un festival qui avait pourtant fait venir The Cure, en 2005. Mais les Smashing Pumpkins, relativise son directeur François Floret, peuvent monter jusqu´à 1 million de dollars.
Il peut paraître surprenant que cette manifestation qui, depuis 1991, privilégie les artistes émergents succombe à pareille folie. Pendant longtemps, le monde du rock était divisé en deux camps antagonistes : le mainstream, soit le courant dominant, supposé conformiste et consensuel avec ses stars établies, et l´indie (pour indépendant), alternatif, porté sur la nouveauté et par une philosophie se réclamant de l´héritage du punk. La distinction a bien perdu de sa pertinence. L´ indépendant bénéficie aujourd´hui d´une prime à l´authenticité qui pourrait signer sa perte. Ce n´est pas un hasard si Universal vient de racheter deux labels répondant à cette appellation, le britannique V2 (Bloc Party, Stereophonics) et le français Atmosphériques (Louise Attaque, Abd Al-Malik).
Des groupes comme Placebo et Muse, que l´on a entendus dans le passé à la Route du Rock, réclament aujourd´hui des sommes faramineuses. Ils sont passés du mauvais côté de la force, ironise François Floret, 300 000 euros, on ne peut pas. Alors, ils filent chez de plus gros concurrents, des festivals opportunistes, soupire François Floret, qui se soucient comme d´une guigne de l´éthique indépendante.
Dans l´éditorial du programme de la 17e édition de la Route du Rock, son patron écrit : La mode est au tout-rebelle et au tout-musique (...) ; ce qu´on appelait fièrement, dans les années 1980, les musiques indépendante, à l´époque synonymes d´un réel engagement viscéral, sont aujourd´hui des signes de branchitude. Alors l´esthétique originelle de La Route du rock se trouve désormais un peu plus banalisée, diluée (...). Aujourd´hui, l´audace est de moins en moins l´affaire des audacieux écoutant leur ventre, mais plus souvent une anticipation calculée qui répond à la loi du plus offrant.
Le terme indépendant désigne des artistes qui n´enregistrent pas pour le compte des majors du disque (Universal, Sony-BMG, EMI, Warner) mais pour des labels, eux aussi, indépendants. Par extension, ce serait ceux qui refusent le formatage musical. Cela ne veut plus rien dire aujourd´hui, constate François Floret. Radiohead ou Björk (inaccessibles aux budgets modérés) continuent d´être considérés comme indépendants. Les Smashing Pumpkins aussi, présentés dans le programme de La Route du Rock comme le groupe qui a rapidement régné sans partage sur le monde de l´indie-rock, alors qu´ils enregistrent aujourd´hui pour Warner.
La chute des revenus du disque, qui amènerait les saltimbanques à se rattraper financièrement sur la billetterie des concerts, n´explique pas tout. Les agents de musiciens, pas forcément confirmés mais bénéficiant d´un succès peut-être passager, font monter les enchères entre festivals, avec chantage à l´exclusivité.
Cette année, La Route du Rock a dû augmenter son budget de 100 000 euros par rapport à l´édition précédente. Hier, le plancher d´un cachet pour un artiste débutant s´établissait à 2 500 euros. Aujourd´hui, il est à 4 000 euros, affirme François Floret. Et puis, un artiste ne demande pas la même somme à une salle qu´à un festival. Pour nous c´est environ 30 % plus cher. On est un peu des pigeons.
Lemonde.fr

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posted the 08/18/2007 at 09:13 PM by
hekt0r