[Gaara59] nana mais t'as pas compris, y'a pas de soeur c'est un multi com(pte). pourquoi tu recherche le cerveau de ouabde, tu veut te le faire greffer parce qu'apparemment tu a perdu le tien
"Mon blog dira ce que je pense,pas de censures,des conneries surtout. N'hesitez pas à critiquez mais je ne souhaite pas d'insultes.Tout commentaire insolant sera viré!" Hum... Je pense que c'est ton blog qui va être viré là...
Thelov3r => Nan t'inquiete je cest que c'est la même personne, c'était juste pour voir sa réactione de babouin qui mange sa banane (ca vous parais nul, ba c'est stef qui le dit XD )
Nipouch : tu as vu où sont placées les virgules ? pas de censures,des conneries surtout, sous entendu pas de censure mais surtout des conneries ... c'est donc un pari gagné , pareil niveau insultes : ''je ne souhaite pas d'insultes'' ...ça veut dire qu'on ne peut pas l'insulter mais lui s'en attribue le droit ...^^
euh.. je peux savoir pourquoi il en veux autant à Ouabde comme ça? ahlala....inutile.. Ah et au fait Stef92 tu représente trés mal le 92, des spécimens dans ton genre devrait être irradié de la surface du globe ^^
Il m'en veut car je lui pourri son blog dès qu'il poste un article bidon, c'est à dire tout le temps. Je suis sa bete noire Je suis saoulant et c'est ma force. TSSSS
aaah okok loool bah au vue des articles qu'il poste (qui sont tout a fait i-n-u-t-i-l-e) je trouve t'as réaction Ouabde...hummm..euh..comprehensible ^^
LE RECIT COMPLET DES EVENEMENTS DE FAYAOUE-OUVEA
Extrait du “Mémorial Calédonien” reproduit avec l’aimable autorisation de Philippe Godard et du journal “Les Nouvelles Calédoniennes”.
Les drames majeurs sont les seuls à imprégner la mémoire collective des hommes. Tous les autres sont invariablement relégués dans l’ombre de l’histoire, même lorsqu'ils ont servi de préambule ou de répétition aux premiers.
C’est ainsi que le nom d’Ouvéa évoquera à jamais le point culminant des événements tragiques qui ont qui ont endeuillé la Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988.
Celui de Tiéti, en revanche, ne fait déjà plus surgir que des souvenirs vagues.
Et pourtant…
L’affaire de Tiéti, comme l’on appelée les gens de presse de l’époque, remonte à la décision, prise vers la fin de l’année 1987 par les instances dirigeantes du F.L.N.K.S., de rompre les ponts avec le gouvernement français.
Face à cette situation de blocage, le docteur Bernard Pons, ministre des Dom-Tom et l’un des plus fidèles lieutenants de Jacques Chirac, va s’en remettre au verdict du corps électoral, appelé à se prononcer sur les dispositions de son nouveau statut, le énième qu’ait connu le Territoire en une poignées d’années, lequel modifiait sensiblement, à la fois les compétences et le découpage géographique des régions.
Les indépendantistes, qui ont, dès le départ clamé haut et fort leur hostilité à ce “statut Pons”, vont prendre cette décision gouvernementale comme une gifle et décider de relever le défi, de tenter un coup d’éclat pour montrer qu’il ne fallait pas les tenir pour quantité négligeable, qu’ils représenteraient une force réelle, une réalité incontournable.
C’est à Yeiwéné Yeiwéné, l’homme d’action du mouvement, que va échoir la tâche de concevoir et d’organiser la riposte.
L’occasion lui en est bientôt donnée à Tiéti, une tribu-faubourg du petit centre administratif de Poindimié, sur la côte Est de la Grande Terre, où un litige d’ordre foncier oppose l’Administration à un certain nombre d’indépendantistes locaux quant au choix de l’emplacement d’un hôpital dont la construction vient d’être décidée.
Au reste, ces derniers sont largement minoritaires au sein même de leur clan. Aussi bien le maire de Poindimié, l’indépendantiste modéré Francis Poadouy, que le député loyaliste Maurice Nénou son de chauds partisans de l’édification de l’hôpital à l’emplacement prévu, un hôpital qui promet d’être le plus important du Territoire après celui de Nouméa, ce qui posera Poindimié en capitale incontestée de la côte Est.
Les autorités coutumières de la tribu de Tiéti, elles-mêmes, sont d’avis partagés mais, comme ceci se produit presque toujours en pareil cas, la détermination de la minorité va l’emporter et, habilement remontés par Yeiwéné Yeiwéné, les durs du mouvement indépendantiste local vont décider d’engager l’épreuve de force.
Quelle plus belle façon de narguer l’administration “coloniale” que de tenir le tout prochain congrès de l’Union Calédonienne, composante principale du courant séparatiste, sur le site contesté?
Aussitôt évoqué, aussitôt fait. Des cabanes de branchages comme les Mélanésiens en dressent à l’occasion de la moindre de leurs fêtes, poussent comme champignons après la pluie sur le terrain, au sommet desquelles sont fichés quelques drapeaux Kanaky, pour accentuer la provocation.
Dans les tout premiers jours du mois de février 1988, à deux jours précisément de l’ouverture du fameux congrès, les gendarmes reçoivent l’ordre d’investir le terrain, de le nettoyer et de livrer la place à l’entreprise de terrassement.
Ils ne vont pas se le faire répéter deux fois. A leur suite, les bulldozers entrent en action et ont tôt fait de raser les frêles cabanes… C’est à partir de ce moment que tout va dégénérer…
Pendant quelques jours, des manifestations sporadiques vont se dérouler autour du site que les gendarmes gardent jour et nuit.
Au cours de la journée, les travaux se poursuivent. Le 22 février dans l’après-midi, la tension monte brusquement de plusieurs crans. Le temps est à la pluie.
Regroupés face aux forces de l’ordre, de l’autre côté de la RT3, une centaine d’indépendantistes ont entamé un”sitting” auquel les gendarmes font mine de ne pas prêter attention.
Soudain, au signal d’un leader, c’est l’attaque à coups de matraques et à jets de pierres. Les gendarmes sont cueillis à froid. On leur a tant répété, au cours des mois écoulés, qu’il ne fallait se servir de leurs armes qu’à la toute dernière extrémité, qu’ils hésitent et temporisent, tant et si bien que les vingt-cinq qu’ils sont, vont finalement être submergés sous le nombre et roués de coups.
Quinze d’entre eux vont quand même parvenir à prendre le large à la course, les dix autres, moins chanceux, vont être ligotés et transportés vers une position stratégique préparée à l’avance, en même temps que les deux 4X4 et que la jeep dont ils disposaient pour assurer la couverture de l’entreprise.
L’action s’est déroulée en un éclair, selon la méthode bien connue des commandos.
Des gendarmes mobiles, venus de Métropole - les “mobiles”, comme on les appelle par abréviations - qui se trouvaient à 250 mètres de là et qui disposaient de blindés, n’ont même pas eu le temps d’intervenir!
Le premier moment de stupeur passé, les officiers décident de parlementer et s’avancent vers l’adversaire qui curieusement, n’a pas cherché à fuir.
Ils vont se heurter à son intransigeance: “N’essayer surtout pas d'intervenir, sinon nous abattons vos hommes d’une balle dans la tête.”
Aucune action de force ne peut donc être tentée et c’est un bilan de déroute qui est communiqué aux autorités de la gendarmerie à Nouméa: dix gendarmes pris en otages, vingt autres blessés, toutes les armes - cinq pistolets-mitrailleurs, neuf pistolets automatiques, quatre fusils de guerre - et le matériel roulant saisis!
La nouvelle installe la stupéfaction que l’on imagine à l’état-major. C’est la première fois dans l’histoire de la Gendarmerie Nationale que des gendarmes sont pris en otages!
Des renforts sont immédiatement mis sur le pied de guerre et acheminés sur Poindimié, l’heure même où le lieutenant-colonel Picard, commandant des “mobiles”, et le lieutenant-colonel Benson, commandant des Territoriaux et responsable des opérations, s’envolent vers Poindimié en “Alouette 3”.
Le temps est exécrable et le pilote de l’hélicoptère éprouve les pires difficultés à franchir la Chaîne. Quand il dépose enfin ses deux passagers de marque sur une DZ de fortune, il pleut comme un déluge. L’ambiance sur place est catastrophique.
Le chef du détachement des “mobiles”, prostré, répète inlassablement que tout est de sa faute, qu’il a failli à son devoir.
Pour ajouter à l’abattement général, il y a les ordres de l’autorité supérieure qui se résument en une phrase: “Vous aurez à récupérer les otages sans délai, sans faire de concessions et en évitant à tout prix l’affrontement”.
Dès son arrivée, le lieutenant-colonel Benson prend les affaires en main.
Un briefing est immédiatement tenu à la brigade de gendarmerie que commande le capitaine Scheid.
La décision en sort d’isoler et d’encercler la zone de brousse où se sont réfugiés les agresseurs avec leurs otages, du moins le pense-t-on.
Une nouvelle tentative de dialogue va avorter et, même, durcir les positions respectives, tant les menaces ont fusé de part et d’autre.
Face à cette situation apparemment inextricable, il est décidé d’attendre le matin et de s’accorder une nuit de réflexion, la nuit qui porte conseil, dit-on.
De fait, les officiers en charge de l’affaire vont très rapidement parvenir à la conclusion qu’une opération menée au grand jour, dans un terrain aussi découvert, serait voué à un échec irrémédiable. La seule solution est donc à leurs yeux de négocier et, puisque le dialogue direct s’avère impossible, de trouver des intermédiaires, si possible des personnes proches du mouvement indépendantiste et nanties, de surcroît, d’une autorité coutumière.
Une liste en est dressée, facilitée par les relations que le lieutenant-colonel Benson et le capitaine Scheid, qui connaissent parfaitement le pays, ont pu nouer dans le milieu Mélanésien.
Des coups de fil sont immédiatement passés tous azimuts. Finalement, deux hommes de bonne volonté vont accepter de jouer les médiateurs, MM. Roland Braweao et Gustave Waka-Céou.
Le premier, membre du Congrès, réside à la tribu de Mou, à Ponérihouen. Le second se trouve à Nouméa.
Tous deux sont membres du comité directeur de F.L.N.K.S..
A 23 heures, le second nommé s’est rendu par la route et une réunion de conciliation à lieu, au cours de laquelle les représentants de la gendarmerie font preuve d’une détermination qui va certainement impressionner leurs interlocuteurs. Ceux-ci promettent de tout faire pour tenter de dénouer la crise.
Effectivement, des allées et venues vont se dérouler sous la pluie battante, entre ravisseurs et forces de l’ordre.
Paris exige des premiers nommés une reddition sans condition. C’est évidemment impensable.
Un compromis est finalement mis sur pied, péniblement. Dès le dénouement de l’affaire, le procureur de la République se déplacera pour écouter les doléances concernant le choix du site de l’hôpital.
Quant aux preneurs d’otages, une fois ces derniers rendus à la liberté, ils disposeront d’un délai de 24 heures avant que l’opération de police judiciaire visant à les… arrêter ne soit déclenchée!
Du côté des agresseurs, l’hésitation est grande. Les heures passent. La nuit tire à sa fin. Finalement, un ultimatum leur est transmis par le canal des deux médiateurs: “Si vous ne vous décidez pas à accepter nos conditions, nous passerons à l'action dès l’aube, et gare à la casse!”.
Cette intimidation va porter ses fruits.
A 5 heures 30, les dix otages apparaissent, dans l’état physique et moral que l’on imagine; encadrés par MM. Waka-Céou et Braweao qui ont donc conduit avec succès la mission délicate que leur avait confiée le responsable des opérations.
Mais un lot d’armes important manque à l’appel, dont une partie seulement sera récupérée au cours des jours suivants.
L’affaire de Tiéti connaît donc un heureux dénouement et le ministre des Armées, André Giraud, en visite sur le territoire quelques jours plus tard, va personnellement tenir à réconforter les anciens otages et à les féliciter d’avoir su conserver leur sang-froid, d’avoir évité le pire en renonçant à se servir de leurs armes.
Aussitôt la polémique s’engage. “Inadmissible!”, s’écrient certains.
Comment des gendarmes peuvent-ils se laisser désarmer aussi facilement?
L’échéance électorale approche et il convient de donner des consignes très strictes aux forces de l’ordre en général, afin qu’un épisode aussi peu glorieux ne se renouvelle pas. Les gendarmeries doivent être protégées”.
A ces critiques, l’autorité concernée répond que les gendarmeries, précisément, ne sauraient être transformées en places fortes, que leurs occupants ont, par vocation même, des missions civiles à remplir.
Et de rappeler qu’en Nouvelle-Calédonie, ils détiennent une partie du pouvoir d’Etat sur le terrain, qu’ils sont investis des fonctions d’huissier, de syndic des affaires autochtones,etc.
Comment saurait-on refuser l’accès d’une brigade de gendarmerie à une personne qui désirerait, par exemple, transmettre un message pressant à Nouméa après la fermeture des bureaux de poste, ou qui solliciterait une évacuation sanitaire d’urgence?
Toujours est-il que cette vulnérabilité des brigade de gendarmerie ne va pas échapper à certains indépendantistes.
Et c’est à la suite de la prise d’otages de Tiéti que germera dans leur esprit l’idée d’actions du même style mais de plus grande envergure, visant à perturber le déroulement des élections territoriales en même temps qu’à braquer les projecteurs de l’actualité nationale sur la revendication d’indépendance canaque socialiste.
Ouvéa, 22 avril 1988, 7h30.
La cérémonie du lever de couleurs vient d’avoir lieu dans l’enceinte de la brigade de gendarmerie de Fayaoué, la seule que compte la plus septentrionale des îles Loyauté.
Fayaoué, c’est la “capitale” de l’île, une minuscule agglomération qui s’étire tout en longueur, face à la route qui longe une plage de sable immaculé et un lagon aux eaux de turquoise.
Trente-et-un gendarmes sont présents dans la brigade, don trois territoriaux et vingt-huit mobiles qui sont venus en renfort, ces derniers jours pour assurer le bon déroulement des élections dans cette île où la minorité loyaliste est menacée d’être empêchée de participer au double scrutin territorial et présidentiel, que les indépendantistes ont décidé de boycotter “activement”.
Ces “mobiles” appartiennent aux escadrons de Villeneuve d’Ascq (banlieue de Lille, la métropole du Nord de la France) et d’Antibes (chef-lieu de canton des Alpes Maritimes, proche de Cannes); mélange de nordistes et de méridionaux, par conséquent, qui sont commandés par le lieutenant Florentin, tandis que les territoriaux sont aux ordres du maréchal des logis-chef Lacroix.
On se trouve à deux jours maintenant, du premier tour de l’élection présidentielle que le ministre Pons a décidé, pour des raisons de commodité, de jumeler avec le scrutin territorial.
C’est dire que la tension est vive, aussi bien à Paris qu’à Nouméa, dans les états-majors politiques où le problème calédonien demeure d’une brûlante actualité.
Le F.L.N.K.S. multiplie les communiqués, continuant à dénoncer le “statut Pons”, assimilé à un arrêt de mort pur et simple de la “coutume”.
Très peu de personnes au demeurant, ont pris la peine de lire ce statut, aussi bien chez les Européens que chez les Mélanésiens, mais la rumeur s’est propagée parmi ces derniers qu’il était “mauvais” et à rejeter en bloc.
Les slogans ont aussitôt fleuri, tracés à grands jets de “bombes” sur les édifices publics ou privés et sur les routes: “Non au statut Pons!” .
La couleur est ainsi annoncée et, une fois de plus, Yeiwéné Yeiwéné va prendre son bâton de pélerin et s’envoler pour Ouvéa où il va longuement s’entretenir avec ses troupes, 48 heures avant le drame…
Les gendarmes d’Ouvéa ne sont pas outre mesure inquiets.Sur place, l’ambiance a toujours été bon enfant.
Les rapports sont cordiaux avec une population très nettement acquise à la cause indépendantiste, dans son ensemble, mais qui ne méconnaît pas, pour y avoir souvent fait appel par le passé, les services appréciables que peuvent rendre les gendarmes en de nombreuses occasions.
A cette heure matinale, le chef Lacroix est en grande conversation avec le Lieutenant Florentin, de la compagnie mobile d’Antibes, dans le bureau de la brigade où le gendarme Dujardin, un territorial qui demeure sur place avec femme et enfant, est occupé à taper un procès-verbal à la machine à écrire (1).
A ses côtés se tient le gendarme Alengrin, un détaché qui exerce les fonctions de planton.
La garde est assurée par le gendarme Jumetz tandis que ses collègues Marquez, Tripier et Roiffe sont en charge de l’alerte. Les autres vaquent à leurs occupations, sous le soleil naissant.
A l’extérieur de l’enceinte de la brigade, Chanel Kapoeri, un conseiller municipal originaire de Mouli, cette langue de corail paradisiaque qu’un point relie à la partie méridionale de l’Ile d’Ouvéa depuis quelques années, est en grande discussion avec un gendarme mélanésien originaire de Lifou et qui répond au nom de Samy Ihage: “Tiens, s’écrie soudain Kapoeri, je vais aller serrer la main de mon ami Lacroix et lui parler de sa commande de langoustes”.
Il peut-être 7h45. Rejoint par trois comparses qui lui emboîtent le pas, l’homme de Mouli franchit l’enceinte et pénètre dans le bureau de la brigade, l’air faussement bonhomme.
Quelques banalités d’usage sont échangées, puis il est effectivement question un instant de poissons et de langoustes.
Tout à coup, les quatre visiteurs sortent de leurs vêtements des armes blanches et des tamiocs. Kapoeri brandit un couteau sous le nez de Lacroix et lui crie: “Ton arme vite, ou je te tue!”.
Le chef de la brigade va croire un instant à une plaisanterie? Il connaît son vis-à-vis depuis longtemps et le tient pour un homme sympathique, volontiers porté à la rigolade.
Le gendarme Alengrin et le lieutenant Florentin, eux, ont immédiatement réalisé que la menace était réelle. Le premier tente de ceinturer Kapoeri mais une giclée de bombe anesthésiante reçue en pleine figure, interrompt net son élan.
Portant la main à son ceinturon, le second dégaine son pistolet automatique et fait feu au juge, blessant l’un des trois agresseurs, le nommé Auguste Poumely, au visage.
Presque en concomitance, il est atteint d’un formidable coup de tamioc au sommet du crâne, qui l’étend raide et le laisse pour mort.
Alertée par la détonation, la sentinelle s’écrie immédiatement: “Aux armes!”, au moment-même où une quarantaine de Mélanésiens qui s’étaient regroupés à la périphérie de l’enceinte, dissimulés par la végétation ou par les constructions avoisinantes, se ruent sur la brigade.
Profitant de l’effet de surprise, ils ont tôt fait d’investir la place en hurlant. Le gendarme Dujardin tente aussitôt de se précipiter sur le téléphone.
Un des agresseurs l’a aperçu et fait feu dans sa direction. Une balle à ailettes lui sectionne net la main(2).
Le malheureux trouve cependant la force de s’enfuir par la fenêtre et de courir vers sa maison.
Une seconde balle l’atteint dans le dos et le touche en pleine course.
Le gendarme Zawadzki est le premier rendu à l’armurerie ou les armes, rangées au ratelier, sont cadenassées comme le veut le règlement. Fébrilement, il parvient à libérer un Famas (3) et entreprend d’épauler.
Une balle en plein front l’étend net avant qu’il ait eu le temps d’achever son geste. Dans la cour où les gendarmes commencent à s’allonger sur le sol, face à terre, dans l’attitude de reddition que leur ont commandée les agresseurs, le gendarme Leroy fait mine de se relever, désireux de parlementer.
Il est abattu froidement, à bout portant.
Voyant la tournure dramatique que prennent les événements, l’adjudant-chef Moulie, encore libre de ses mouvements, s’avance crânement vers un groupe d’assaillants et leur lance une phrase dans le genre: “Allez, suffit, assez déc… comme ça. Maintenant vous allez déposer les armes et décamper”.
Une décharge de chevrotine, tirée en pleine tête, à raison de son courage.
Un peu plus tard, évacué sur Nouméa dans un état désespéré, il sera transféré en Australie et rendra l’âme à l’hôpital de Sidney.
Le sort en est donc jeté. Trois gendarmes sont morts et un quatrième est mourant. Tous les autres, dûment neutralisés, sont à l’horizontale dans la cour, les mains sur la tête.
Leurs agresseurs s’emploient maintenant à les menotter, deux par deux, et à évacuer les armes, les postes de transmissions radio et les véhicules.
Deux convois vont se former. Le premier constituer de onze otages qui sont embarqués dans trois 4X4 Renault qui prennent la route en direction du Sud de l’île.
Le second, plus important, composé de seize otages que l’on entasse dans une Land Rover, une vieille Jeep US et… le camion-citerne rouge, seul équipement dont dispose la municipalité indépendantiste pour lutter contre l’incendie!
Ce second convoi, après un temps d’hésitation, s’ébranle en direction du Nord de l’île.
Moins d’une demi-heure après le début de la fusillade, les lieux ont retrouvé leur silence.
Le soleil commence à darder ses rayons brûlants et le sang qui s’écoule lentement des blessures des victimes, rougit le sable blanc qui tapisse la cour de la gendarmerie.
A quelques douze kilomètres de là, dans la direction de l’Est, en bordure du terrain d’aviation situé sur le territoire de la tribu d’Ouloup, se trouve le lieutenant Destremau, à la tête d’une section du régiment d’Infanterie de Marine du Pacifique.
Il effectue une de ces opérations de “nomadisation” chères au général Francheschi, le prédécesseur du général Vidal, qui vient tout juste de lui succéder en qualité de commandant supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie.
Destremau a perçu les échos d’une fusillade lointaine et il entreprend aussitôt d’aller aux nouvelles. Chemin faisant à peu de distance de l’aéroport dont il a la garde, il croise un Mélanésien loyaliste qui lui raconte succinctement ce qui vient de se passer à Fayaoué.
Conscient de l’extrême gravité de la situation, l’officier d’infanterie décide de regagner se base, craignant que les agresseurs de la gendarmerie ne tentent de se rendre maîtres, dans un second temps, du terrain d’aviation.
Le temps de disposer ses hommes en position de combat et il rend compte à Nouméa de ce qu’il vient d’apprendre.
Au Q.G. de la gendarmerie territoriale, on se doutait qu’un événement exceptionnel venait de se passer à la brigade d’Ouvéa avec laquelle toute communication, aussi bien téléphonique que radio, était interrompue.
L’annonce du drame installe une véritable panique. L’autorité militaire est immédiatement informée, qui répercute à l’autorité civile qui alerte à son tour le chef de cabinet du Premier ministre à Paris. C’est aussitôt le branle-bas dans tous les états-majors civils et militaires.
Quelques heures plus tard, les journalistes sont informés et, à partir de ce moment, tous les journaux, toutes les radios et toutes les télévisions nationales vont traiter à la Une de “l’affaire d’Ouvéa”.
Les deux officiers supérieurs de la gendarmerie présents en Nouvelle-Calédonie, les lieutenants-colonels Picard et Benson, sont aussitôt envoyés à Ouvéa.
Bien que l’affaire revête une importance nationale, elle est encore du strict ressort de la gendarmerie et celle-ci a bien l’intention de traiter le problème avec ses propres moyens.
Des renforts ont été dépêchés de différents points du Territoire et la première mesure va consister à évacuer l’adjudant-chef Moulié qui a sombré dans un coma profond. Pour les trois autres, hélas, il n’y a plus rien à faire…
Où sont passés rebelles et otages? C’est évidemment la question que tous ces hommes désemparés se posent et leur première action, fort logiquement, va consister à tenter d’obtenir des renseignements auprès de la population.
Mais celle-ci, silencieuse et apeurée, s’enferme dans un mutisme complet.
Pas moyen de savoir quoi que ce soit, sinon - information de bien maigre portée - que les otages ont été scindés en deux groupes qui se sont dirigés, respectivement, vers chacune des extrémités de l’île d’Ouvéa qui affecte grossièrement la forme d’un os à deux têtes.
Or, ces deux renflements terminaux sont recouverts d’une végétation extrêmement dense où les arbres et les buissons qui poussent sur le sol corallien de cet ancien atoll soulevé et basculé, sont couverts d’épiphytes et enlacés par des lianes qui forment un écheveau quasiment inextricable.
Matignon s’affole, Matignon tempête, tandis que l’Elysée contemple la scène du balcon. C’est que ce drame ne pouvait survenir à pire moment.
Les couteaux sont dégainés en vue de l’affrontement des présidentielles et, dans ce jeu sinistre de la conquête du pouvoir suprême, où tous les coups sont permis, c’est à qui poignardera l’autre.
Bernard Pons est déjà en route vers Nouméa, bien décidé à crever l’abcès pour le plus grand bénéfice du candidat Premier ministre dont il a épousé la cause.
Des ordres ont été transmis au haut-commissaire Clément Bouhin, à charge pour lui de les répercuter à qui de droit: se refuser à tout compromis dès le moment qu’il y a eu mort d’hommes, agir vite et fort, éviter dans toute la mesure du possible toute nouvelle effusion de sang, libérer les otages et arrêter leurs ravisseurs avant le premier tour de l’élection.
Investis de cette mission impossible, les responsables de la gendarmerie qui ont été dépêchés à Ouvéa sont rapidement obligés d’avouer leur impuissance et l’ordre leur est en conséquence intimé de regagner d’urgence Nouméa pour participer aux réunions qui verront la confrontation des points de vue et l’élaboration d’une stratégie.
Un premier briefing se tient en haut lieu. La décision est prise de lancer sans délai une action mettant en œuvre deux détachements bien distincts:
le premier composé de “mobiles” renforcés par des gendarmes, les “cobras” de l’ELIGPM (Equipe Légère d’Intervention du Groupe des Pelotons Mobiles), chargés de se lancer à la recherche des otages ayant pris la direction du Sud;
le second formé d’un escadron de “mobiles” renforcé par les gendarmes de l’escadron parachutiste, chacun restant en contact radio permanent avec l’autre par l’intermédiaire de hélicoptères Puma en vol.
On est le 23 avril. Le premier tour de l’élection présidentielle est prévu pour le lendemain.
Dans le Nord, les choses vont prendre d’emblée une très vilaine tournure.
Les routes sont barrées, de place en place, par des troncs de cocotiers, volontairement abattus pour contrarier la progression des forces de l’ordre.
Le détachement se trouve par ailleurs en présence d’une population qui ne craint pas d’afficher ouvertement son hostilité et il va même essuyer ces coups de feu qui le contraindront à se réfugier à l’intérieur de l’église de Saint-Joseph où l’ambiance est épouvantable.
A l’autre pôle de l’île, en revanche, les choses vont prendre une tournure bien différente.
Certes, la population de Mouli refuse de coopérer et de fournir le moindre renseignement, mais on la sent inquiète, comme dépassée par l’ampleur des événements.
Le lieutenant-colonel Benson a immédiatement repéré cette faille et son action va surtout être d’ordre psychologique: renforcer le sentiment de crainte, en agitant le spectre d’une intervention imminente des parachutistes de l’armée, réputés beaucoup moins tendres que les gendarmes.
C’est que le ratissage systématique de l’île de Mouli, et en particulier de la zone comprise entre la tribu de Wakat et la corne sud de l’île, n’a pas apporté grand chose.
Pour finir, un ultimatum de 48 heures est donné au chef de la tribu de Mouli, Pierre Doumai, dont le territoire est suspecté - à raison, la suite des événements le prouvera - de servir de prison aux onze otages.
S’il ne s’exécute pas, il aura à assumer la plaine et entière responsabilité d’une action musclée.
Ce bluff va payer, d’autant plus que les meneurs sont, dans cette partie de l’île, beaucoup moins déterminés que ceux du Nord.
Moins de 48 heures plus tard, le 25 avril en début de matinée, les otages, qui avaient été entraînés dans un abri carverneux cerné par la forêt, seront relâchés et regagneront Fayaoué par leurs propres moyens avec l’essentiel de leur armement et au volant de leurs propres véhicules!
Quelques heures plus tard, les ravisseurs, à l’exception de leur chef, Chanel Kapoeri, et d’un de ses bras droits, seront interpellés et mis en état d’arrestation.
Ce qui s’est passé exactement? Un des otages libérés en fera un peu plus tard le récit en ces termes: “Après avoir été désarmés et rassemblés dans la cour de la gendarmerie de Fayaoué, la face tournée vers le sol, nous avons été menottés deux par deux et embarqués dans nos propres camions.
Initialement, tous les otages que nous étions ont pris la direction du Sud, puis, les meneurs s’étant concertés, le groupe a été scindé en deux. Le premier, dont je faisais partie, a poursuivi en direction de Lékin.
L’autre, rebroussant chemin, s’est dirigé vers Saint-Joseph. Nous avons coupé à travers la brousse pour gagner la baie de Lékin dont le bras de mer a été traversé à gué. Puis nous avons longé le récif de la côte Est de l’île de Mouli où nous avons pris pied, tard dans la nuit.
Un repas frugal nous a été servi à hauteur de la centrale électrique de Mouli et des vêtements secs nous ont été distribués. Nous avons passe le reste de la nuit dans les parages avant de nous remettre en marche, dès l’aube! toujours sous la menace des armes.
Au terme d’une progression d’environ une heure, nous sommes arrivés dans une sorte de caverne ou nous sommes restés parqués jusqu’à notre libération, le 25 avril. Notre surprise a été grande d'être relâché aussi vite.
On vous a conduits vers les trois véhicules 4X4 qui nous attendaient sagement, dissimulés par un couvert d’arbres. La plupart de nos armes s’y trouvaient, ainsi que nos deux postes de radio et que deux paires de menottes.
Durant cette brève captivité, aucun d’entre nous n’a été maltraité et nos ravisseurs, qui ne semblaient pas très surs d’eux, nous ont même offert de la langouste lors de notre premier repas du soir!”.
A l’autre extrémité de l’île, les preneurs d’otages emmenés par Alphonse Dianou sont malheureusement d’une autre trempe et se trouvent dans toutes autres dispositions d’esprit.
On l’ignore encore, puisque le contact recherché n’a pu être établi, mais leur résolution est déjà prise: plutôt mourir que se rendre! Les élections doivent être annulées sans conditions, toutes les forces armées doivent quitter Ouvéa sans délai et la France doit s’engager à accorder l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie - pardon, à la Kanaky - sur-le-champ.
Le premier tour de l’élection présidentielle a tourné au désavantage du Premier ministre qui n’entrevoit plus qu’un miracle, dès lors, pour renverser la situation et l’emporter d’un souffle au second tour.
Ce miracle, précisément, pourrait venir - c’est du moins ce que lui assure son entourage - d’une libération spectaculaire des otages encore détenus.
Car la métropole retient son souffle, traumatisée par le drame qui se joue sur une partie du territoire national, à 22.000 kilomètres de distance.
A Matignon, l’ambiance est à l’exaspération. Exaspération de voir que la grande partie des otages n’a même pas pu être localisée après trois jours!
A distance, cela peut paraître extravagant, tout à fait inconcevable, et la hiérarchie de la gendarmerie a bien du mal à faire admettre à ceux qui tapent du poing sur l’acajou de leur bureau parisien que l’île d’Ouvéa, minuscule point sur la carte du globe, est d’une configuration tourmentée, recouverte d’une forêt tropicale dense, et qu’y localiser une poignée d’hommes, sans doute bien cachés, est assimilable à la recherche de la fameuse aiguille dans une meule de foin.
Le ministre Pons a établi ses quartiers dans un bureau du haussariat à Nouméa où, accompagné du général Norlain, chef de Cabinet militaire du Premier ministre, il passe ses journées dans l’attente d’une bonne nouvelle qui ne vient pas.
Le haussaire, lui, apparaît totalement dépassé par la situation. Un témoin irrévérencieux dira plus tard que chacune de ses interventions étaient ponctuée d’une sorte de beuglement sourd qui allait lui valoir, de la par t des militaires s’activant à ses côtés, le surnom de “la corne de brume”!
Après s’être longuement concerté avec son ministre des Armées, Jacques Chirac, a décidé de dépêcher des renforts en grand nombre vers la Nouvelle-Calédonie et Ouvéa.
Dans un premier temps, c’est un escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (E.P.I.G.N.) et un peloton du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (G.I.G.N.) qui prennent place dans un avion du Cotam.
L’élite des forces d’action de la gendarmerie, ces véritables supermen que nous envient le monde entier, vont donc entrer en scène!
L’Elysée en prend acte et profite de la circonstance pour imposer la présence d’hommes en qui il a toute confiance, à savoir le général de gendarmerie Jean Jérôme et le capitaine du G.I.G.N. Philippe Legorjus, deux protégés du super préfet Christian Prouteau, lui-même très en cour auprès du Président de la République, François Mitterand.
Ce dernier n’est sans doute pas mécontent, au fond de lui-même, de voir son Premier ministre placé dans une situation aussi délicate, à quelques jours du second tour de l’élection qui va les voir s’affronter.
Sur le terrain, la situation s’enlise. Cinq jours ont passés déjà, et si tout le monde a acquis la certitude que les otages et les ravisseurs se trouvaient à l’intérieur du quadrilatère délimité par les tribus de Weneki, Gossanah, Ognat, Ogne et Teouta, dans l’appendice nord-est de l’île, nul ne saurait dire précisément où.
La quête de renseignement continue de s’avérer totalement infructueuse et plus les gens de Matignon, relayés par Bernard Pons, s’impatientent, plus les malheureux officiers de gendarmerie qui ont reçu pour mission de dénouer la situation passent - le mot est de l’un d’entre eux - pour des imbéciles aux yeux de l’opinion publique qui trouve de plus en plus inacceptable “qu’on ne trouve rien”.
Face à cette situation d’échec, la décision extrême est prise par le gouvernement de retirer à la gendarmerie la conduite des opérations et de la confier à l’armée.
A cette heure, le général Jérôme et le capitaine Legorjus font route sur Nouméa dans un avion du Cotam.
C’est à l’escale de Papeete que le premier nommé apprendra que le premier rôle lui est retiré et que la responsabilité des opérations sur le terrain a été confiée au “Comsup” Vidal. Au milieu de la nuit du 24 au 25 avril celui-ci a en effet reçu du chef d’état-major des armées un message ainsi libellé:
“Le premier ministre a donné au bureau des haussaires des instructions devant vous conduire a exercer le commandement et la coordination des opérations d’Ouvéa. Le haussaire précisera votre mission. Vous lui demanderez de vous donner une délégation vous permettant de répercuter les décisions de l’autorité civile à Ouvéa (…) Vous demanderez à la gendarmerie de désigner l’officier qui recevra de vous ses instructions”.
C’est le lieutenant-colonel Benson qui va être choisi. Lui et le général Vidal ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble.
C’est ainsi que tous deux ont collaborés, quelques années plus tôt, aux Nouvelles-Hébrides, lors de la rébellion de Santo.
Ils se connaissent donc bien et s’apprécient mutuellement. Une situation d’exception vient d’être créée de fait.
L’armée investie d’une mission de police judiciaire en temps de paix: du jamais vu dans l’histoire de la République! Sitôt investi de ses nouveaux pouvoirs, le général Vidal part en “Puma” vers Ouvéa et, après un brève concertation avec ses adjoints, décide d’établir son Q.G. au cœur de la tribu de Gossanah, précisément à l’intérieur de l’école publique qui donne sur la place du village.
Les troupes qui l’appuient n’auront d’autres solution que de se réfugier dans “l’Ecole Populaire Kanak” où elles coucheront à même le sol. C’est donc vers cette minuscule agglomération que vont converger, au fil des heures, des renforts qui atteindront jusqu’à 650 hommes!
Sur place, tout continue d’être tenté, et notamment l'intimidation et l’appel à la raison des autorités coutumières. Mais rien d’y fait. Quant au ratissage, il relève carrément de l’utopie dans une contrée aussi fortement boisée. Aucun indice à terre, aucun indice depuis le ciel. Les heures continuent de s’égrener et la tension s’accroit à Gossanah où le service des transmissions a installé une antenne parabolique mobile au cœur de la tribu, ce qui permet au général Vidal de demeurer en contact permanent avec Nouméa et Paris.
Il s’en passerait d’ailleurs bien, lui qui a mieux à faire que d’écouter les états d’âme des uns et des autres. Mais aucun coup de force militaire ne saurait être tenté sans l’approbation du Président de la République, chef suprême des armées, et celui-ci, précisément, ne semble guère pressé de donner son aval à une opération de ce style. D’ailleurs, vers quelle cible dirigerait-on l’action?
Les fouilles minutieuses des tribus du nord n’ont rien donné, à l’image des interrogatoires que les militaires ne sauraient pousser au-delà d’un certain seuil, sous peine de passer pour des tortionnaires.
L’un des principaux suspects, le pasteur défroqué Djoubelly Wea, apparaît ainsi très sûr de son impunité et se moque ouvertement des militaires présents. Son influence sur la population de Gossanah est à l’évidence énorme et chacun est persuadé qu’il sait tout mais ne veut rien dire.
Le lieutenant-colonel Picard va pourtant tenter de l’amener à composition en revenant une nouvelle fois à la charge. Sa tentative va tourner à sa confusion.
Wea le laisse parler un moment puis il se lève et s’élance à l’extérieur de sa case en hurlant: “Vive la Kanaky! Vive l’indépendance! A bas les militaires français!”
Harcelés qu’ils sont jour et nuit par les politiques, ces militaires vont finalement se résoudre à isoler la tribu en l’encerclant.
Toute possibilité de communiquer avec les rebelles est ainsi retirée à ses habitants et, pour faire bon poids, les hommes sont assignés à résidence à l’intérieur de leur case.
Cette tactique va s’avérer payante car, au troisième jour du “siège” de Gossanah, quelques langues, bien timidement, commencent à se délier.
C’est ainsi que le général Vidal apprend que le camion de lutte contre l’incendie de la municipalité a été aperçu dans les parages et qu’il s’est enfoncé “quelque part” dans la forêt. Le renseignement est d’importance dans la mesure où il confirme aux militaires qu’ils sont bien là où il convient d’être. Cependant, nul n’a encore consenti à révéler où sont détenus les captifs.
C’est finalement au courage du lieutenant Destremau, un major de l’école de Saint-Cyr, que l’on devra de découvrir l’emplacement de la cachette, dans l’après-midi du 26 avril.
A force de persévérance, celui-ci va convaincre les autorités coutumières de la tribu, de lui donner une escorte pour le conduire sur place.
Sur place… Le terme est excessif dans la mesure où les coutumiers ont seulement promis de faire conduire leur interlocuteur “vers la zone où pourraient être détenus les otages”.
Le général Vidal donne immédiatement son accord pour que cette tentative ait lieu, tout en exigeant - et bien lui en prend - qu’une équipe du G.I.G.N. couvre discrètement la progression du lieutenant, à distance, pour le cas où les choses viendraient à mal tourner.
Destremau quitte donc la tribu de Gossanah et s’enfonce au cœur de la forêt, sur les pas de ses guides qui sont au nombre de trois. On progresse un peu à l’aveuglette, en écartant les branches et lianes pour se frayer un chemin à travers ‘l’enfer vert”.
C’est ainsi que les quatre hommes vont tomber nez à nez, brusquement, avec la sentinelle d’un poste avancé qui les met en joue. Très calme, Destremau tend le porte-voix dont il s’est muni à l’un de ses accompagnateurs et lui demande de parlementer avec les ravisseurs.
Leur but est d’obtenir leur reddition en douceur. Mais la réponse parvient très vite, sous forme d’un défi hurlé: “Notre position est inexpugnable, nous sommes retranchés dans une grotte sacrée qui nous rend invulnérables et, si vous tentez une quelconque action de force, les otages seront immédiatement exécutés”.
Pendant que se déroule cette conversation surréaliste au cœur de la forêt, Destremau a demandé à l’un de ses guides de faire demi-tour et d’aller mander les autorités coutumières de la tribu pour donner plus de solennité à la discussion qui s’est engagée.
Mais l'intercession des “anciens” se révélera inopérante et le lieutenant, qui a tout de même eu le temps de rendre compte de la situation au général Vidal au moyen de son poste radio portatif, est bientôt sommé de s’avancer vers la grotte où il est aussitôt dépouillé de son arme et menotté sans plus de façon, avant de rejoindre les autres otages.
Le coup est rude mais un point important à pourtant été marqué par les forces de l’ordre. On sait désormais, tout au moins avec une bonne approximation, où se situe la grotte dans laquelle se sont retranchés les ravisseurs avec leurs captifs.
Fort de ce premier acquis, le général Vidal réunit son état-major de campagne, en présence du substitut du procureur de la République, Jean Bianconi, arrivé la veille à Ouvéa pour contrôler la procédure dressée à l’encontre des ravisseurs.
Décision est prise d’envoyer le capitaine Legorjus, dès le lendemain matin, vers l’objectif que constitue la grotte afin de sonder la dispositif de l’adversaire. Au tout dernier moment, le substitut Bianconi surprend son entourage en demandant que l’autorisation lui soit donné d’accompagner Legorjus.
La présence d’un magistrat, argumente-t-il, ne pourra que rassurer Alphonse Dianou en lui prouvant que l’autorité judiciaire suit l’affaire de près et ne laissera pas les militaires faire “n’importe quoi”. Le général Vidal, tout en ne mésestimant pas le risque, se rend finalement à ses raisons.
La colonne s’ébranle donc à l’aube. Elle comprend le capitaine Legorjus, sans ses galons, le substitut Bianconi et six hommes du G.I.G.N. dont le capitaine Picon qui, trois années plus tôt, a dirigé l’opération au cours de laquelle Eloi Machoro a trouvé la mort près de la Foa.
Tous ensemble vont pénétrer à l’intérieur du dispositif adverse sans même s’en rendre compte, et c’est un miracle qu’aucun coup de feu n’ait été échangé car on découvrira plus tard que la progression s’était effectuée selon l’axe de tir de la mitrailleuse AA 52 dérobée à la gendarmerie de Fayaoué, pièce aussi essentielle que redoutable du dispositif de défense des ravisseurs.
Les sentinelles ont, bien entendu, donné l’alerte et, de part et d’autre, les index caressent nerveusement la détente des armes.
“Ne tirez pas! Ne tirez pas! Je suis le procureur de la République!” C’est Jean Bianconi qui a pris l’initiative courageuse de se porter en avant et de tendre une perche aux rebelles.
Il est immédiatement appréhendé, fouillé et conduit vers Alphonse Dianou. Legorjus et ses hommes n’en sont pas quittes pour autant.
Certes, ils leur restent la possibilité de tirer les premiers mais ils en sont vite dissuadés par un des meneurs qui leur crie de jeter bas les armes et de se rendre, sinon - éternel chantage - les otages seront exécutés.
Face à cette menace sans équivoque, ils décident d’obtempérer. En quelques instants, ils sont à leur tour neutralisés, menottés et conduits à l’intérieur d’un cratère à l’extrémité duquel s’ouvre une grotte au fond de laquelle ils vont retrouver le lieutenant Destremau, les “traîtres” de Gossanah qui viennent d’être passés à tabac et les seize otages de Fayaoué.
Alphonse Dianou connaît à cet instant une intense jubilation. Six membres du fameux G.I.G.N. faits comme des lapins sans qu’un coup de feu ait même été tiré!
Immédiatement transmise à Nouméa puis relayée sur Paris, la nouvelle va provoquer l’effet d’un coup de tonnerre. Le Premier ministre est au comble de la fureur et Bernard Pons éructe des insanités au téléphone, à qui veut l’entendre.
Ce soir-là, le malheureux général Vidal ne va pas parvenir à fermer l’œil de la nuit. Tous ses négociateurs sont tombés dans la souricière. Sa marge de manœuvre, désormais, apparaît infime. La situation peut être qualifiée, sans exagération, de catastrophique.
Autorités civiles et militaires vont dans un premier temps songer à demander la médiation des leaders du F.L.N.K.S., les mieux placés, a priori, pour nouer un dialogue constructif avec Alphonse Dianou. Mais l’espoir sera de courte durée.
Ces messieurs ont immédiatement réalisé qu’ils n’avaient rien à gagner en s’immisçant dans ce guêpier. L’affaire a pris de telles proportions qu’il leur semble plus judicieux d’adopter le profil bas, en un mot de se défiler.
On sait donc où se situe la grotte mais on ne sait encore rien de sa configuration, du dispositif de défense mis en place. Ce qui est sûr, par contre, c’est que les ravisseurs savent se servir des postes de radio qu’ils ont dérobés à Fayaoué puisqu’ils en font usage pour clamer bien haut leur détermination et leur fanatisme.
Alphonse Dianou va même se payer le luxe, le soir de la capture de Bianconi et Legorjus, d’appeler personnellement le général Vidal et de l’invectiver en ces termes: “Toi et tes hommes, on t’emm… Dégagez de la tribu! On ne veut plus voir la gueule d’un militaire dans l’île. La Kanaky, toi, avec tes étoiles, t’en a rien à foutre. Retourne donc chez toi, on t’a pas demandé de venir ici!”.
Finalement, pour catastrophique qu’elle ait pu paraître au départ, la capture de Legorjus, et Picon va se révéler déterminante, en ce sens qu’elle va permettre au général Vidal de dramatiser la situation et d’obtenir de Paris le “feu vert” pour mettre sur pied une action militaire, accord qu’il aurait sans doute eu les pires difficultés à obtenir si les nouveaux captifs n’avaient pas eu une pareille notoriété.
A l’intérieur de la grotte, Alphonse Dianou souffle le chaud et le froid. Tantôt il menace d’exterminer les otages si on ne lui désigne pas sur-le-champ le capitaine Picon, l’assassin d’Eloi Machoro, son héros, qu’il suspecte d’être au nombre des captifs.
Tantôt il se lance dans une diatribe passionnée d’où il ressort que le colonialisme français a détruit l’âme des Canaques, en les réduisant à la condition d’esclaves.
Et de prôner le retour à un mode de vie ancestral, strictement régi par la coutume, avec un minimum d’ouverture sur le monde extérieur, ce monde perverti par le matérialisme et la soif effrénée du gain.
Le substitut Bianconi ne craint pas de lui donner la réplique, de risquer quelques timides objections. Alors le discours s’enfle, prend des allures de sermon mystique.
La religion des Blancs est mis au rend des accusés, l’avenir doré qui attend la Kanaky libérée du joug impérialiste est décrit avec exaltation.
Alphonse Dianou veut que le monde entier sache que la libération du “peuple kanak” est imminente et il exige que le Président Mitterand en personne vienne signer l’indépendance ici, dans la grotte!
Il exige aussi, accessoirement, qu’une équipe de la télévision française vienne dans un premier temps filmer pour retransmettre son message urbi et orbi.
Si l’on ne se soumet pas à ses exigences, il tuera les otages et nul ne pourra rien contre lui dans cette grotte sacrée où l’esprit des ancêtres monte la garde, prêt à repousser toutes les balles.
Fin diplomate, Philippe Legorjus va être le premier à discerner un fond de désarroi dans ce discours irréaliste. Dianou a été trahi. Certains des siens, sur lesquels il pensait pouvoir compté en toute circonstance, ont révélé l’emplacement de la grotte. On vient par ailleurs de lui apprendre que les otages du Sud avaient été libérés par la simple vertu de la négociation, et cette nouvelle l’a plongé dans la consternation de même qu’il ne comprend pas que les dirigeants du F.L.N.K.S. se refusent apparemment à prendre le relais de son action, à exploiter politiquement son coup d’éclat. Que peut-il faire, lui tout seul, au fond de son trou, au cœur de la forêt, cible de l’armée d’une des nations les plus puissantes du monde?
Relayé par Jean Bianconi, Philippe Legorjus lui fait valoir que sa position est des plus inconfortables, qu’il n’arrivera à rien en demeurant terré ici, qu’il lui faut trouver des interlocuteurs et que pour ce faire, il a besoin d'intermédiaires.
Lui, Legorjus, précisément, se propose de transmettre ses conditions aux stratèges d’en face. Qu’il le laisse sortir à sa guise de la grotte et y revenir et, parole d’officier, il fera tout pour dénouer l’imbroglio. Dianou réfléchit un instant puis finit par consentir.
Libre de ses mouvements, le capitaine Legorjus regagne donc Gossanah à travers la forêt et se trouve en mesure, lui qui a soigneusement observé les lieux, de faire un premier comte-rendu de la situation au général Vidal.
Ce n’est guère réjouissant: les otages sont détenus à l’intérieur d’un cratère de forme grossièrement ellipsoïdale.
A l’extrémité Nord de son grand axe, qui peut mesurer dans les cent cinquante mètres, s’ouvre la gueule béante d’une grotte au fond de laquelle sont enfermés les captifs. Le cratère est transformé en véritable camp retranché et si bien protégé par la végétation qu’il faut pratiquement tomber dessus pour l’apercevoir.
Des postes de tir ont été disposés à sa périphérie, avec un art militaire consommé, et des sentinelles y montent la garde, 24 heures sur 24.
On se trouve par ailleurs en présence de gens farouchement déterminés, qui peuvent être rangés en trois catégories.
La première est constituée par les meneurs qui sont politisés à fond et que l’on pourrait comparer à des ayatollahs. Il s’agit des frères Dianou, Alphonse et Hilaire, exaltés au dernier degré, et de Venceslas Lavelloi que ses compagnons appellent “Rambo” et qui s’est glissé dans la peau du personnage.
Ce dernier manipule en permanence des armes et se plaît à mettre les otages en joue à tout propos. Les signes de son exaltation sont évidents et sa dureté apparaît sans limites.
Le second groupe compte une quinzaine d’individus que l’on peut considérer comme des militants actifs, bien entraînés et fanatisés.
Le troisième, enfin, donne beaucoup moins d'inquiétude. Il est constitué de “seconds couteaux” qui se contentent d’obéir aux ordres sans manifester d’états d’âme.
Et puis il y a les incontrôlables, qui vont et viennent autour de la grotte, ceux que les journalistes baptiseront plus tard les “porteurs de thé”.
Il s’agit maintenant pour le capitaine Legorjus de donner un gage de sa sincérité, de sa bonne volonté à Alphonse Dianou. Pas question pour les militaires, évidemment, de quitter l’île comme le réclame le chef des ravisseurs.
Gossanah en revanche… Le général Vidal, peu pressé de faire ce geste, pour le moins va s’y résoudre à contrecœur.
Il déplace donc son P.C. à Saint-Joseph, dont il fait par la même occasion une base opérationnelle. C’est donc avec la conscience parfaitement tranquille que le patron du G.I.G.N. reprend la chemin de la forêt pour retrouver Dianou à qui il est en mesure d’annoncer que Gossanah vient d’être évacué.
Et d’ajouter:” Si tu ne me crois pas, demande confirmation à tes ravitailleurs, ils te diront que j’ai tenu parole. Au fait, j’ai trouvé des interlocuteurs, grâce à mes relations. Tout devrait pouvoir s’arranger dès le moment que le sang n’a pas coulé dans cette partie de l’île. Ce n’est pas si grave que ça, après tout. Tu risques de t’en tirer avec quelques mois de prison, pas d’avantage. Réfléchis bien. Pour ma part, je ne saurais trop te conseiller de te rendre après avoir été filmé par les cameramen de la chaîne nationale de télévision qui sont en route”.
Dianou, dès lors, aura une relative confiance en Legorjus et le laissera faire des navettes entre la grotte et Saint-Joseph. Chacune de ces rotations est l’occasion d’ajouter un élément au descriptif de la grotte: “C’est impressionnant, une position quasi imprenable. Impossible d’en approcher discrètement. Si l’on y a carrément, nos hommes seront vite repérés et ce sera un bain de sang”.
Le soir du 30 avril, le lieutenant-colonel Benson est envoyé en mission à Nouméa pour expliquer la situation à un aréopage de hauts responsables, dont le haussaire Clément Bouhin, le commandant en chef de la gendarmerie territoriale, le colonel Allès, le général de gendarmerie Jérôme, le ministre Bernard Pons et le général Norlain.
Calmement, il va leur exposer les faits et leur redonner les caractéristiques de la redoute, en insistant sur la présence de l’arme automatique au débouché du sentier que les “porteurs de thé”, ainsi baptisés parce qu’ils assurent le ravitaillement des reclus des deux bords, empruntent pour s’en venir de Gossanah.
Tout autre forme d’accès s’avère problématique, voire impossible, tant la végétation est dense et l’objectif bien dissimulé. Différentes hypothèses d’école sont alors envisagées.
Les uns proposent de mélanger des substances narcotiques à la nourriture pour prolonger ravisseurs et otages dans un profond sommeil.
D’autres envisagent le largage au-dessus du cratère - encore faudrait-il que celui-ci soit visible du ciel - d’un “paquet-cadeau” (sic), constitué d’un mélange de grenades éblouissantes, pyrotechniques et lacrymogènes, pour “sonner” les agresseurs au moment de l’assaut.
Certains parlent de caméras thermiques qui permettraient de situer la grotte avec une parfaite exactitude. On évoque aussi le bruit que feraient inévitablement les troupes d’assaut lors de leur approche de l’objectif, en butant sur des racines, sur des aiguilles de corail ou sur des troncs d’arbres morts.
Bref, un beau galimatias dont il ne sort finalement rien de positif. Le lieutenant-colonel Benson regagne donc Ouvéa sans qu’aucune décision n’ait été prise.
Pendant ce temps, le capitaine Legorjus poursuit ses va-et-vient et se heurte à l’impatience grandissante d’Alphonse Dianou qui veut qu’on lui propose enfin des interlocuteurs valables, de préférence des hommes de son bord.
Mais, sans compter que le premier ministre n’est guère chaud pour donner la vedette au F.L.N.K.S., les ténors du mouvement se font toujours tirer l’oreille.
Jean Bianconi a bien pensé à Franck Wahuzue, une relation de longue date, mais ce dernier, aussitôt contacté par Legorjus, s’est plus ou moins dérobé. Il lui faut, argue-t-il, l’aval du bureau politique.
Or celui-ci a du mal à se rassembler… Bref, la situation est à ce point explosive que personne n’accepte de se compromettre. On s’achemine donc inéluctablement vers l’épreuve de force et, de fait, celle-ci ne va pas tarder à s’engager.
Pendant que les politiques jouent à la guerre en chambre, les militaires de métier, eux, n’ont pas perdu de temps.
Du matériel sophistiqué a été acheminé sur la Nouvelle-Calédonie: arme, munitions, grenades à effets spéciaux et même lance flammes qui pourraient servir à neutraliser la mitrailleuse et ses servants, la plus redoutée des armes aux mains des rebelles.
Parallèlement à cette montée en puissance de la logistique, le site des Pléiades du nord, un chapelet d’îles coralliennes, hautes, choisies en raison de leur éloignement, sert de cadre à un entraînement intensif des commandos qui ont à se familiariser avec un terrain bien particulier.
Des tirs à balles réelles y ont lieu, sans que l’on ait à craindre que leur écho soit perçu jusqu’a Gossanah. Philippe Legorjus, lui vient de se voir interdire par ses supérieurs hiérarchiques de retourner à la grotte et Alphonse Dianou se perd en conjectures quant à cette absence prolongée.
Jean Bianconi s’efforce de le rassurer en lui expliquant qu’il s’est sans doute rendu à Nouméa pour y trouver de nouveaux médiateurs, qu’il lui faut se montrer patient.
Puis, sautant sur l’occasion, il propose d’aller lui même aux nouvelles, promettant de revenir rapidement au bercail. Le précédent Legorjus est là pour montrer à Alphonse Dianou qu’il peut compter sur la parole des “Blancs”.
Ce dernier va une nouvelle fois consentir. Le substitut gagne donc Saint-Joseph, pas mécontent de se dégourdir les jambes, et confirme à son tour la situation des otages: “Dans l’ensemble ceux-ci endurent un véritable martyre psychologique. A force de s’entendre répéter par les uns et les autres qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir vivants, ils finissent par perdre espoir”.
Pour ce qui est de la capacité des rebelles à tenir, celui-ci la juge illimitée puisque les gens de la tribu de Gossanah continuent à les ravitailler avec régularité.
Une conclusion se dégage très vite de son exposé: il faut agir sans tarder si l’on veut préserver la vie des otages, car Alphonse Dianou ne tolérera guère plus longtemps qu’on le mène en bateau.
Le P.C. du général Vidal est désormais en liaison directe par fax avec la salle des opérations du ministère de la Défense à Paris. Le capitaine Legorjus, de son côté, est décidé à jouer la carte de l’Elysée, si bien que deux clans se sont formés, qui poursuivent des objectifs diamétralement opposés.
Le clan Elysée-Gendarmerie est partisan de temporiser, de rechercher à tout prix une solution négociée, tandis que le clan Matignon-Armée, convaincu que toutes les cartes de la démocratie ont été abattues, n’attend plus que le feu vert de la présidence pour passer à l’action.
L’ambiance à Saint-Joseph est celle des veillées d’armes.
Les renseignements qu’apporte Jean Bianconi font état d’une surexcitation grandissante d’Alphonse Dianou qui exige le retour du capitaine Legorjus et l’arrivée de l’équipe de télévision d’Antenne 2.
Courageusement, Bianconi va courir le risque de provoquer sa fureur en lui annonçant qu’il ne fallait plus compter sur le retour de Legorjus, retenu à Nouméa par décision de l’autorité militaire.
De plus, Alphonse Dianou se montre violemment contre la présence de Mgr Calvet, le nouvel émissaire que vient de proposer Jean Bianconi…
Bref, la situation est bloquée. Tout donne à penser qu’elle va dégénérer à très brève échéance.
La date de l’opération est bientôt fixée au 4 mai. Il a plus à verse durant toute la nuit et il continue à pleuvoir. L’autorisation a été demandée à Paris et, comme aucun contrordre n’est tombé sur le télécopieur dont dispose le général Vidal à Saint-Joseph, les éléments du groupe d’assaut ont commencé à se mettre en place.
Hélas, au moment où la colonne va s’ébranler, un message tombe comme un couperet: refus de la présidence, l’intervention doit être reportée à une date ultérieure. C’est la consternation parmi les hommes qui n’ont plus qu’à regagner Saint-Joseph.
Face à cette valse hésitation, le général Vidal décide de poser ses conditions. Le message qu’il expédie à Paris est très ferme: “Le risque d’un carnage dans la grotte, où la tension est à son comble, augmente d’heure en heure.
Si vous ne voulez pas prendre vos responsabilités, tant pis, vous aurez à répondre du massacre devant la nation”. Le premier ministre menaçant, quant à lui, de passer outre, l’Elysée consent finalement à annoncer… qu’il donnera son feu vert dans la soirée du 4 au 5 mai et que les forces d’assaut peuvent, d’ores et déjà, se préparer à passer à l’action.
A toutes fins utiles, une heure butoir a été fixée. Si aucun contrordre ne parvient avant cinq heures du matin, le 5 mai, rien ne pourra plus arrêter l’opération.
Les éléments de la force d’assaut se fondent aussitôt dans la nuit, et traverse maintenant la forêt vierge jusqu’à tomber sur la grotte.
Le point le plus délicat consiste à repérer celle-ci avec précision, ce qui ne peut se faire sans le concours de l’aviation. A cette fin, une double initiative a été prise.
La première a consisté à prévenir Alphonse Dianou que, le 5 au matin, il ne devrait pas s’étonner d’entendre des bruits d’hélicoptères au-dessus de la grotte, qu’il s’agirait de l’équipe de télévision chargée d’un premier tournage au-dessus du site…
La seconde a vu l’adoption d’un code au terme duquel le chef du commando - indicatif “Christophe”- émettrait un petit bruit métallique avec sa radio portative, à 5h45 précises, pour faire savoir qu’il était bien rendu sur ses bases d’assaut et que les hélicoptères pouvaient venir se positionner en vol stationnaire au-dessus de l’objectif.
De son côté, le capitaine Picon a été averti par Jean Bianconi que le passage des Pumas signifierait l’imminence de l’assaut et qu’il devrait regrouper les otages tout au fond de la grotte et les protéger… de son mieux.
A 6h15, le signal retentit et deux Pumas entament leur progression au ras du couvert végétal. Leur mission est de repérer la grotte, de larguer des fumigènes à la verticale de celle-ci pour guider les troupes d’assaut qui profiteront de cette diversion pour parcourir les derniers mètres qui les séparent de l’objectif.
Couverts par le vacarme des rotors, les hommes du groupe d’assaut s’élancent.
Mais la grotte n’est n’a pu être localisée d’en haut et les fumigènes font de ce fait défaut. Comble de malchance, l’escadron parachutiste de la gendarmerie, qui était chargé du balisage de l’itinéraire au cours de la nuit précédente, à l’exception des 300 derniers mètres, jugés trop dangereux, s’est trompé de cent mètres de latitude, si bien que les assaillants vont rater le cratère et donner l’éveil à ses défenseurs!
“Christophe”, le chef du commando, demande en conséquence au commandant Mauviot, qui pilote le Puma leader, de refaire un passage et de tout mettre en œuvre cette fois pour localiser la grotte.
Mais Alphonse Dianou ne croit déjà plus à l’arrivée des techniciens d’Antenne 2 et lorsque l’hélicoptère se positionne enfin à la bonne place, presqu’au ras des arbres, une balle tirée par l’un des ravisseurs vient traverser la carlingue et se loger dans la jambe du gendarme Lecren de l’E.P.I.G.N..
N’eût été cet obstacle… providentiel, le rotor qui se trouvait en plein sur la trajectoire du projectile aurait été atteint et l’appareil se serait écrasé au sol.
A partir de cet instant, tout va s’accélérer. L’objectif est enfin localisé et la première action consiste à neutraliser la mitrailleuse AA 52.
A cette fin, les deux sapeurs-parachutistes, prenant d’énormes risques en progressant à découvert, viennent positionner leur engin à 150 mètres de sa cible. Les servants de la mitrailleuse, trop occupés à arroser les assaillants qui surgissent de tous côtés, n’ont pas flairé le danger.
Par deux fois, l’interminable langue de feu atteint son but avec une précision diabolique. Depuis l’hélicoptère où ils suivent l’opération, “Victor” et “Chamois” vont apercevoir les deux traînées incandescentes à travers la voûte épaisse des arbres.
Privés d’oxygène, les deux mitrailleurs périssent instantanément par suffocation. Le plus dur est fait mais la résistance est encore acharnée de la part des tenants des autres postes de combat. Les hommes de Dianou vendent chèrement leur peau mais succombent les uns après les autres, fauchés par les tireurs d’élite.
Deux hommes du 11ème choc, l’adjudant Pedrazza et le soldat Veron, sont presque rendus à l’aplomb de la grotte. Ils ignorent que celle-ci comporte plusieurs orifices qui communiquent avec l’extérieur. C’est de là que vont partir les balles qui les faucheront à mort.
Plus chanceux, deux “mobiles” du G.I.G.N. ne seront que blessés au cours de l’assaut: le li
LE RECIT COMPLET DES EVENEMENTS DE FAYAOUE-OUVEA
Extrait du “Mémorial Calédonien” reproduit avec l’aimable autorisation de Philippe Godard et du journal “Les Nouvelles Calédoniennes”.
Les drames majeurs sont les seuls à imprégner la mémoire collective des hommes. Tous les autres sont invariablement relégués dans l’ombre de l’histoire, même lorsqu'ils ont servi de préambule ou de répétition aux premiers.
C’est ainsi que le nom d’Ouvéa évoquera à jamais le point culminant des événements tragiques qui ont qui ont endeuillé la Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988.
Celui de Tiéti, en revanche, ne fait déjà plus surgir que des souvenirs vagues.
Et pourtant…
L’affaire de Tiéti, comme l’on appelée les gens de presse de l’époque, remonte à la décision, prise vers la fin de l’année 1987 par les instances dirigeantes du F.L.N.K.S., de rompre les ponts avec le gouvernement français.
Face à cette situation de blocage, le docteur Bernard Pons, ministre des Dom-Tom et l’un des plus fidèles lieutenants de Jacques Chirac, va s’en remettre au verdict du corps électoral, appelé à se prononcer sur les dispositions de son nouveau statut, le énième qu’ait connu le Territoire en une poignées d’années, lequel modifiait sensiblement, à la fois les compétences et le découpage géographique des régions.
Les indépendantistes, qui ont, dès le départ clamé haut et fort leur hostilité à ce “statut Pons”, vont prendre cette décision gouvernementale comme une gifle et décider de relever le défi, de tenter un coup d’éclat pour montrer qu’il ne fallait pas les tenir pour quantité négligeable, qu’ils représenteraient une force réelle, une réalité incontournable.
C’est à Yeiwéné Yeiwéné, l’homme d’action du mouvement, que va échoir la tâche de concevoir et d’organiser la riposte.
L’occasion lui en est bientôt donnée à Tiéti, une tribu-faubourg du petit centre administratif de Poindimié, sur la côte Est de la Grande Terre, où un litige d’ordre foncier oppose l’Administration à un certain nombre d’indépendantistes locaux quant au choix de l’emplacement d’un hôpital dont la construction vient d’être décidée.
Au reste, ces derniers sont largement minoritaires au sein même de leur clan. Aussi bien le maire de Poindimié, l’indépendantiste modéré Francis Poadouy, que le député loyaliste Maurice Nénou son de chauds partisans de l’édification de l’hôpital à l’emplacement prévu, un hôpital qui promet d’être le plus important du Territoire après celui de Nouméa, ce qui posera Poindimié en capitale incontestée de la côte Est.
Les autorités coutumières de la tribu de Tiéti, elles-mêmes, sont d’avis partagés mais, comme ceci se produit presque toujours en pareil cas, la détermination de la minorité va l’emporter et, habilement remontés par Yeiwéné Yeiwéné, les durs du mouvement indépendantiste local vont décider d’engager l’épreuve de force.
Quelle plus belle façon de narguer l’administration “coloniale” que de tenir le tout prochain congrès de l’Union Calédonienne, composante principale du courant séparatiste, sur le site contesté?
Aussitôt évoqué, aussitôt fait. Des cabanes de branchages comme les Mélanésiens en dressent à l’occasion de la moindre de leurs fêtes, poussent comme champignons après la pluie sur le terrain, au sommet desquelles sont fichés quelques drapeaux Kanaky, pour accentuer la provocation.
Dans les tout premiers jours du mois de février 1988, à deux jours précisément de l’ouverture du fameux congrès, les gendarmes reçoivent l’ordre d’investir le terrain, de le nettoyer et de livrer la place à l’entreprise de terrassement.
Ils ne vont pas se le faire répéter deux fois. A leur suite, les bulldozers entrent en action et ont tôt fait de raser les frêles cabanes… C’est à partir de ce moment que tout va dégénérer…
Pendant quelques jours, des manifestations sporadiques vont se dérouler autour du site que les gendarmes gardent jour et nuit.
Au cours de la journée, les travaux se poursuivent. Le 22 février dans l’après-midi, la tension monte brusquement de plusieurs crans. Le temps est à la pluie.
Regroupés face aux forces de l’ordre, de l’autre côté de la RT3, une centaine d’indépendantistes ont entamé un”sitting” auquel les gendarmes font mine de ne pas prêter attention.
Soudain, au signal d’un leader, c’est l’attaque à coups de matraques et à jets de pierres. Les gendarmes sont cueillis à froid. On leur a tant répété, au cours des mois écoulés, qu’il ne fallait se servir de leurs armes qu’à la toute dernière extrémité, qu’ils hésitent et temporisent, tant et si bien que les vingt-cinq qu’ils sont, vont finalement être submergés sous le nombre et roués de coups.
Quinze d’entre eux vont quand même parvenir à prendre le large à la course, les dix autres, moins chanceux, vont être ligotés et transportés vers une position stratégique préparée à l’avance, en même temps que les deux 4X4 et que la jeep dont ils disposaient pour assurer la couverture de l’entreprise.
L’action s’est déroulée en un éclair, selon la méthode bien connue des commandos.
Des gendarmes mobiles, venus de Métropole - les “mobiles”, comme on les appelle par abréviations - qui se trouvaient à 250 mètres de là et qui disposaient de blindés, n’ont même pas eu le temps d’intervenir!
Le premier moment de stupeur passé, les officiers décident de parlementer et s’avancent vers l’adversaire qui curieusement, n’a pas cherché à fuir.
Ils vont se heurter à son intransigeance: “N’essayer surtout pas d'intervenir, sinon nous abattons vos hommes d’une balle dans la tête.”
Aucune action de force ne peut donc être tentée et c’est un bilan de déroute qui est communiqué aux autorités de la gendarmerie à Nouméa: dix gendarmes pris en otages, vingt autres blessés, toutes les armes - cinq pistolets-mitrailleurs, neuf pistolets automatiques, quatre fusils de guerre - et le matériel roulant saisis!
La nouvelle installe la stupéfaction que l’on imagine à l’état-major. C’est la première fois dans l’histoire de la Gendarmerie Nationale que des gendarmes sont pris en otages!
Des renforts sont immédiatement mis sur le pied de guerre et acheminés sur Poindimié, l’heure même où le lieutenant-colonel Picard, commandant des “mobiles”, et le lieutenant-colonel Benson, commandant des Territoriaux et responsable des opérations, s’envolent vers Poindimié en “Alouette 3”.
Le temps est exécrable et le pilote de l’hélicoptère éprouve les pires difficultés à franchir la Chaîne. Quand il dépose enfin ses deux passagers de marque sur une DZ de fortune, il pleut comme un déluge. L’ambiance sur place est catastrophique.
Le chef du détachement des “mobiles”, prostré, répète inlassablement que tout est de sa faute, qu’il a failli à son devoir.
Pour ajouter à l’abattement général, il y a les ordres de l’autorité supérieure qui se résument en une phrase: “Vous aurez à récupérer les otages sans délai, sans faire de concessions et en évitant à tout prix l’affrontement”.
Dès son arrivée, le lieutenant-colonel Benson prend les affaires en main.
Un briefing est immédiatement tenu à la brigade de gendarmerie que commande le capitaine Scheid.
La décision en sort d’isoler et d’encercler la zone de brousse où se sont réfugiés les agresseurs avec leurs otages, du moins le pense-t-on.
Une nouvelle tentative de dialogue va avorter et, même, durcir les positions respectives, tant les menaces ont fusé de part et d’autre.
Face à cette situation apparemment inextricable, il est décidé d’attendre le matin et de s’accorder une nuit de réflexion, la nuit qui porte conseil, dit-on.
De fait, les officiers en charge de l’affaire vont très rapidement parvenir à la conclusion qu’une opération menée au grand jour, dans un terrain aussi découvert, serait voué à un échec irrémédiable. La seule solution est donc à leurs yeux de négocier et, puisque le dialogue direct s’avère impossible, de trouver des intermédiaires, si possible des personnes proches du mouvement indépendantiste et nanties, de surcroît, d’une autorité coutumière.
Une liste en est dressée, facilitée par les relations que le lieutenant-colonel Benson et le capitaine Scheid, qui connaissent parfaitement le pays, ont pu nouer dans le milieu Mélanésien.
Des coups de fil sont immédiatement passés tous azimuts. Finalement, deux hommes de bonne volonté vont accepter de jouer les médiateurs, MM. Roland Braweao et Gustave Waka-Céou.
Le premier, membre du Congrès, réside à la tribu de Mou, à Ponérihouen. Le second se trouve à Nouméa.
Tous deux sont membres du comité directeur de F.L.N.K.S..
A 23 heures, le second nommé s’est rendu par la route et une réunion de conciliation à lieu, au cours de laquelle les représentants de la gendarmerie font preuve d’une détermination qui va certainement impressionner leurs interlocuteurs. Ceux-ci promettent de tout faire pour tenter de dénouer la crise.
Effectivement, des allées et venues vont se dérouler sous la pluie battante, entre ravisseurs et forces de l’ordre.
Paris exige des premiers nommés une reddition sans condition. C’est évidemment impensable.
Un compromis est finalement mis sur pied, péniblement. Dès le dénouement de l’affaire, le procureur de la République se déplacera pour écouter les doléances concernant le choix du site de l’hôpital.
Quant aux preneurs d’otages, une fois ces derniers rendus à la liberté, ils disposeront d’un délai de 24 heures avant que l’opération de police judiciaire visant à les… arrêter ne soit déclenchée!
Du côté des agresseurs, l’hésitation est grande. Les heures passent. La nuit tire à sa fin. Finalement, un ultimatum leur est transmis par le canal des deux médiateurs: “Si vous ne vous décidez pas à accepter nos conditions, nous passerons à l'action dès l’aube, et gare à la casse!”.
Cette intimidation va porter ses fruits.
A 5 heures 30, les dix otages apparaissent, dans l’état physique et moral que l’on imagine; encadrés par MM. Waka-Céou et Braweao qui ont donc conduit avec succès la mission délicate que leur avait confiée le responsable des opérations.
Mais un lot d’armes important manque à l’appel, dont une partie seulement sera récupérée au cours des jours suivants.
L’affaire de Tiéti connaît donc un heureux dénouement et le ministre des Armées, André Giraud, en visite sur le territoire quelques jours plus tard, va personnellement tenir à réconforter les anciens otages et à les féliciter d’avoir su conserver leur sang-froid, d’avoir évité le pire en renonçant à se servir de leurs armes.
Aussitôt la polémique s’engage. “Inadmissible!”, s’écrient certains.
Comment des gendarmes peuvent-ils se laisser désarmer aussi facilement?
L’échéance électorale approche et il convient de donner des consignes très strictes aux forces de l’ordre en général, afin qu’un épisode aussi peu glorieux ne se renouvelle pas. Les gendarmeries doivent être protégées”.
A ces critiques, l’autorité concernée répond que les gendarmeries, précisément, ne sauraient être transformées en places fortes, que leurs occupants ont, par vocation même, des missions civiles à remplir.
Et de rappeler qu’en Nouvelle-Calédonie, ils détiennent une partie du pouvoir d’Etat sur le terrain, qu’ils sont investis des fonctions d’huissier, de syndic des affaires autochtones,etc.
Comment saurait-on refuser l’accès d’une brigade de gendarmerie à une personne qui désirerait, par exemple, transmettre un message pressant à Nouméa après la fermeture des bureaux de poste, ou qui solliciterait une évacuation sanitaire d’urgence?
Toujours est-il que cette vulnérabilité des brigade de gendarmerie ne va pas échapper à certains indépendantistes.
Et c’est à la suite de la prise d’otages de Tiéti que germera dans leur esprit l’idée d’actions du même style mais de plus grande envergure, visant à perturber le déroulement des élections territoriales en même temps qu’à braquer les projecteurs de l’actualité nationale sur la revendication d’indépendance canaque socialiste.
Ouvéa, 22 avril 1988, 7h30.
La cérémonie du lever de couleurs vient d’avoir lieu dans l’enceinte de la brigade de gendarmerie de Fayaoué, la seule que compte la plus septentrionale des îles Loyauté.
Fayaoué, c’est la “capitale” de l’île, une minuscule agglomération qui s’étire tout en longueur, face à la route qui longe une plage de sable immaculé et un lagon aux eaux de turquoise.
Trente-et-un gendarmes sont présents dans la brigade, don trois territoriaux et vingt-huit mobiles qui sont venus en renfort, ces derniers jours pour assurer le bon déroulement des élections dans cette île où la minorité loyaliste est menacée d’être empêchée de participer au double scrutin territorial et présidentiel, que les indépendantistes ont décidé de boycotter “activement”.
Ces “mobiles” appartiennent aux escadrons de Villeneuve d’Ascq (banlieue de Lille, la métropole du Nord de la France) et d’Antibes (chef-lieu de canton des Alpes Maritimes, proche de Cannes); mélange de nordistes et de méridionaux, par conséquent, qui sont commandés par le lieutenant Florentin, tandis que les territoriaux sont aux ordres du maréchal des logis-chef Lacroix.
On se trouve à deux jours maintenant, du premier tour de l’élection présidentielle que le ministre Pons a décidé, pour des raisons de commodité, de jumeler avec le scrutin territorial.
C’est dire que la tension est vive, aussi bien à Paris qu’à Nouméa, dans les états-majors politiques où le problème calédonien demeure d’une brûlante actualité.
Le F.L.N.K.S. multiplie les communiqués, continuant à dénoncer le “statut Pons”, assimilé à un arrêt de mort pur et simple de la “coutume”.
Très peu de personnes au demeurant, ont pris la peine de lire ce statut, aussi bien chez les Européens que chez les Mélanésiens, mais la rumeur s’est propagée parmi ces derniers qu’il était “mauvais” et à rejeter en bloc.
Les slogans ont aussitôt fleuri, tracés à grands jets de “bombes” sur les édifices publics ou privés et sur les routes: “Non au statut Pons!” .
La couleur est ainsi annoncée et, une fois de plus, Yeiwéné Yeiwéné va prendre son bâton de pélerin et s’envoler pour Ouvéa où il va longuement s’entretenir avec ses troupes, 48 heures avant le drame…
Les gendarmes d’Ouvéa ne sont pas outre mesure inquiets.Sur place, l’ambiance a toujours été bon enfant.
Les rapports sont cordiaux avec une population très nettement acquise à la cause indépendantiste, dans son ensemble, mais qui ne méconnaît pas, pour y avoir souvent fait appel par le passé, les services appréciables que peuvent rendre les gendarmes en de nombreuses occasions.
A cette heure matinale, le chef Lacroix est en grande conversation avec le Lieutenant Florentin, de la compagnie mobile d’Antibes, dans le bureau de la brigade où le gendarme Dujardin, un territorial qui demeure sur place avec femme et enfant, est occupé à taper un procès-verbal à la machine à écrire (1).
A ses côtés se tient le gendarme Alengrin, un détaché qui exerce les fonctions de planton.
La garde est assurée par le gendarme Jumetz tandis que ses collègues Marquez, Tripier et Roiffe sont en charge de l’alerte. Les autres vaquent à leurs occupations, sous le soleil naissant.
A l’extérieur de l’enceinte de la brigade, Chanel Kapoeri, un conseiller municipal originaire de Mouli, cette langue de corail paradisiaque qu’un point relie à la partie méridionale de l’Ile d’Ouvéa depuis quelques années, est en grande discussion avec un gendarme mélanésien originaire de Lifou et qui répond au nom de Samy Ihage: “Tiens, s’écrie soudain Kapoeri, je vais aller serrer la main de mon ami Lacroix et lui parler de sa commande de langoustes”.
Il peut-être 7h45. Rejoint par trois comparses qui lui emboîtent le pas, l’homme de Mouli franchit l’enceinte et pénètre dans le bureau de la brigade, l’air faussement bonhomme.
Quelques banalités d’usage sont échangées, puis il est effectivement question un instant de poissons et de langoustes.
Tout à coup, les quatre visiteurs sortent de leurs vêtements des armes blanches et des tamiocs. Kapoeri brandit un couteau sous le nez de Lacroix et lui crie: “Ton arme vite, ou je te tue!”.
Le chef de la brigade va croire un instant à une plaisanterie? Il connaît son vis-à-vis depuis longtemps et le tient pour un homme sympathique, volontiers porté à la rigolade.
Le gendarme Alengrin et le lieutenant Florentin, eux, ont immédiatement réalisé que la menace était réelle. Le premier tente de ceinturer Kapoeri mais une giclée de bombe anesthésiante reçue en pleine figure, interrompt net son élan.
Portant la main à son ceinturon, le second dégaine son pistolet automatique et fait feu au juge, blessant l’un des trois agresseurs, le nommé Auguste Poumely, au visage.
Presque en concomitance, il est atteint d’un formidable coup de tamioc au sommet du crâne, qui l’étend raide et le laisse pour mort.
Alertée par la détonation, la sentinelle s’écrie immédiatement: “Aux armes!”, au moment-même où une quarantaine de Mélanésiens qui s’étaient regroupés à la périphérie de l’enceinte, dissimulés par la végétation ou par les constructions avoisinantes, se ruent sur la brigade.
Profitant de l’effet de surprise, ils ont tôt fait d’investir la place en hurlant. Le gendarme Dujardin tente aussitôt de se précipiter sur le téléphone.
Un des agresseurs l’a aperçu et fait feu dans sa direction. Une balle à ailettes lui sectionne net la main(2).
Le malheureux trouve cependant la force de s’enfuir par la fenêtre et de courir vers sa maison.
Une seconde balle l’atteint dans le dos et le touche en pleine course.
Le gendarme Zawadzki est le premier rendu à l’armurerie ou les armes, rangées au ratelier, sont cadenassées comme le veut le règlement. Fébrilement, il parvient à libérer un Famas (3) et entreprend d’épauler.
Une balle en plein front l’étend net avant qu’il ait eu le temps d’achever son geste. Dans la cour où les gendarmes commencent à s’allonger sur le sol, face à terre, dans l’attitude de reddition que leur ont commandée les agresseurs, le gendarme Leroy fait mine de se relever, désireux de parlementer.
Il est abattu froidement, à bout portant.
Voyant la tournure dramatique que prennent les événements, l’adjudant-chef Moulie, encore libre de ses mouvements, s’avance crânement vers un groupe d’assaillants et leur lance une phrase dans le genre: “Allez, suffit, assez déc… comme ça. Maintenant vous allez déposer les armes et décamper”.
Une décharge de chevrotine, tirée en pleine tête, à raison de son courage.
Un peu plus tard, évacué sur Nouméa dans un état désespéré, il sera transféré en Australie et rendra l’âme à l’hôpital de Sidney.
Le sort en est donc jeté. Trois gendarmes sont morts et un quatrième est mourant. Tous les autres, dûment neutralisés, sont à l’horizontale dans la cour, les mains sur la tête.
Leurs agresseurs s’emploient maintenant à les menotter, deux par deux, et à évacuer les armes, les postes de transmissions radio et les véhicules.
Deux convois vont se former. Le premier constituer de onze otages qui sont embarqués dans trois 4X4 Renault qui prennent la route en direction du Sud de l’île.
Le second, plus important, composé de seize otages que l’on entasse dans une Land Rover, une vieille Jeep US et… le camion-citerne rouge, seul équipement dont dispose la municipalité indépendantiste pour lutter contre l’incendie!
Ce second convoi, après un temps d’hésitation, s’ébranle en direction du Nord de l’île.
Moins d’une demi-heure après le début de la fusillade, les lieux ont retrouvé leur silence.
Le soleil commence à darder ses rayons brûlants et le sang qui s’écoule lentement des blessures des victimes, rougit le sable blanc qui tapisse la cour de la gendarmerie.
A quelques douze kilomètres de là, dans la direction de l’Est, en bordure du terrain d’aviation situé sur le territoire de la tribu d’Ouloup, se trouve le lieutenant Destremau, à la tête d’une section du régiment d’Infanterie de Marine du Pacifique.
Il effectue une de ces opérations de “nomadisation” chères au général Francheschi, le prédécesseur du général Vidal, qui vient tout juste de lui succéder en qualité de commandant supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie.
Destremau a perçu les échos d’une fusillade lointaine et il entreprend aussitôt d’aller aux nouvelles. Chemin faisant à peu de distance de l’aéroport dont il a la garde, il croise un Mélanésien loyaliste qui lui raconte succinctement ce qui vient de se passer à Fayaoué.
Conscient de l’extrême gravité de la situation, l’officier d’infanterie décide de regagner se base, craignant que les agresseurs de la gendarmerie ne tentent de se rendre maîtres, dans un second temps, du terrain d’aviation.
Le temps de disposer ses hommes en position de combat et il rend compte à Nouméa de ce qu’il vient d’apprendre.
Au Q.G. de la gendarmerie territoriale, on se doutait qu’un événement exceptionnel venait de se passer à la brigade d’Ouvéa avec laquelle toute communication, aussi bien téléphonique que radio, était interrompue.
L’annonce du drame installe une véritable panique. L’autorité militaire est immédiatement informée, qui répercute à l’autorité civile qui alerte à son tour le chef de cabinet du Premier ministre à Paris. C’est aussitôt le branle-bas dans tous les états-majors civils et militaires.
Quelques heures plus tard, les journalistes sont informés et, à partir de ce moment, tous les journaux, toutes les radios et toutes les télévisions nationales vont traiter à la Une de “l’affaire d’Ouvéa”.
Les deux officiers supérieurs de la gendarmerie présents en Nouvelle-Calédonie, les lieutenants-colonels Picard et Benson, sont aussitôt envoyés à Ouvéa.
Bien que l’affaire revête une importance nationale, elle est encore du strict ressort de la gendarmerie et celle-ci a bien l’intention de traiter le problème avec ses propres moyens.
Des renforts ont été dépêchés de différents points du Territoire et la première mesure va consister à évacuer l’adjudant-chef Moulié qui a sombré dans un coma profond. Pour les trois autres, hélas, il n’y a plus rien à faire…
Où sont passés rebelles et otages? C’est évidemment la question que tous ces hommes désemparés se posent et leur première action, fort logiquement, va consister à tenter d’obtenir des renseignements auprès de la population.
Mais celle-ci, silencieuse et apeurée, s’enferme dans un mutisme complet.
Pas moyen de savoir quoi que ce soit, sinon - information de bien maigre portée - que les otages ont été scindés en deux groupes qui se sont dirigés, respectivement, vers chacune des extrémités de l’île d’Ouvéa qui affecte grossièrement la forme d’un os à deux têtes.
Or, ces deux renflements terminaux sont recouverts d’une végétation extrêmement dense où les arbres et les buissons qui poussent sur le sol corallien de cet ancien atoll soulevé et basculé, sont couverts d’épiphytes et enlacés par des lianes qui forment un écheveau quasiment inextricable.
Matignon s’affole, Matignon tempête, tandis que l’Elysée contemple la scène du balcon. C’est que ce drame ne pouvait survenir à pire moment.
Les couteaux sont dégainés en vue de l’affrontement des présidentielles et, dans ce jeu sinistre de la conquête du pouvoir suprême, où tous les coups sont permis, c’est à qui poignardera l’autre.
Bernard Pons est déjà en route vers Nouméa, bien décidé à crever l’abcès pour le plus grand bénéfice du candidat Premier ministre dont il a épousé la cause.
Des ordres ont été transmis au haut-commissaire Clément Bouhin, à charge pour lui de les répercuter à qui de droit: se refuser à tout compromis dès le moment qu’il y a eu mort d’hommes, agir vite et fort, éviter dans toute la mesure du possible toute nouvelle effusion de sang, libérer les otages et arrêter leurs ravisseurs avant le premier tour de l’élection.
Investis de cette mission impossible, les responsables de la gendarmerie qui ont été dépêchés à Ouvéa sont rapidement obligés d’avouer leur impuissance et l’ordre leur est en conséquence intimé de regagner d’urgence Nouméa pour participer aux réunions qui verront la confrontation des points de vue et l’élaboration d’une stratégie.
Un premier briefing se tient en haut lieu. La décision est prise de lancer sans délai une action mettant en œuvre deux détachements bien distincts:
le premier composé de “mobiles” renforcés par des gendarmes, les “cobras” de l’ELIGPM (Equipe Légère d’Intervention du Groupe des Pelotons Mobiles), chargés de se lancer à la recherche des otages ayant pris la direction du Sud;
le second formé d’un escadron de “mobiles” renforcé par les gendarmes de l’escadron parachutiste, chacun restant en contact radio permanent avec l’autre par l’intermédiaire de hélicoptères Puma en vol.
On est le 23 avril. Le premier tour de l’élection présidentielle est prévu pour le lendemain.
Dans le Nord, les choses vont prendre d’emblée une très vilaine tournure.
Les routes sont barrées, de place en place, par des troncs de cocotiers, volontairement abattus pour contrarier la progression des forces de l’ordre.
Le détachement se trouve par ailleurs en présence d’une population qui ne craint pas d’afficher ouvertement son hostilité et il va même essuyer ces coups de feu qui le contraindront à se réfugier à l’intérieur de l’église de Saint-Joseph où l’ambiance est épouvantable.
A l’autre pôle de l’île, en revanche, les choses vont prendre une tournure bien différente.
Certes, la population de Mouli refuse de coopérer et de fournir le moindre renseignement, mais on la sent inquiète, comme dépassée par l’ampleur des événements.
Le lieutenant-colonel Benson a immédiatement repéré cette faille et son action va surtout être d’ordre psychologique: renforcer le sentiment de crainte, en agitant le spectre d’une intervention imminente des parachutistes de l’armée, réputés beaucoup moins tendres que les gendarmes.
C’est que le ratissage systématique de l’île de Mouli, et en particulier de la zone comprise entre la tribu de Wakat et la corne sud de l’île, n’a pas apporté grand chose.
Pour finir, un ultimatum de 48 heures est donné au chef de la tribu de Mouli, Pierre Doumai, dont le territoire est suspecté - à raison, la suite des événements le prouvera - de servir de prison aux onze otages.
S’il ne s’exécute pas, il aura à assumer la plaine et entière responsabilité d’une action musclée.
Ce bluff va payer, d’autant plus que les meneurs sont, dans cette partie de l’île, beaucoup moins déterminés que ceux du Nord.
Moins de 48 heures plus tard, le 25 avril en début de matinée, les otages, qui avaient été entraînés dans un abri carverneux cerné par la forêt, seront relâchés et regagneront Fayaoué par leurs propres moyens avec l’essentiel de leur armement et au volant de leurs propres véhicules!
Quelques heures plus tard, les ravisseurs, à l’exception de leur chef, Chanel Kapoeri, et d’un de ses bras droits, seront interpellés et mis en état d’arrestation.
Ce qui s’est passé exactement? Un des otages libérés en fera un peu plus tard le récit en ces termes: “Après avoir été désarmés et rassemblés dans la cour de la gendarmerie de Fayaoué, la face tournée vers le sol, nous avons été menottés deux par deux et embarqués dans nos propres camions.
Initialement, tous les otages que nous étions ont pris la direction du Sud, puis, les meneurs s’étant concertés, le groupe a été scindé en deux. Le premier, dont je faisais partie, a poursuivi en direction de Lékin.
L’autre, rebroussant chemin, s’est dirigé vers Saint-Joseph. Nous avons coupé à travers la brousse pour gagner la baie de Lékin dont le bras de mer a été traversé à gué. Puis nous avons longé le récif de la côte Est de l’île de Mouli où nous avons pris pied, tard dans la nuit.
Un repas frugal nous a été servi à hauteur de la centrale électrique de Mouli et des vêtements secs nous ont été distribués. Nous avons passe le reste de la nuit dans les parages avant de nous remettre en marche, dès l’aube! toujours sous la menace des armes.
Au terme d’une progression d’environ une heure, nous sommes arrivés dans une sorte de caverne ou nous sommes restés parqués jusqu’à notre libération, le 25 avril. Notre surprise a été grande d'être relâché aussi vite.
On vous a conduits vers les trois véhicules 4X4 qui nous attendaient sagement, dissimulés par un couvert d’arbres. La plupart de nos armes s’y trouvaient, ainsi que nos deux postes de radio et que deux paires de menottes.
Durant cette brève captivité, aucun d’entre nous n’a été maltraité et nos ravisseurs, qui ne semblaient pas très surs d’eux, nous ont même offert de la langouste lors de notre premier repas du soir!”.
A l’autre extrémité de l’île, les preneurs d’otages emmenés par Alphonse Dianou sont malheureusement d’une autre trempe et se trouvent dans toutes autres dispositions d’esprit.
On l’ignore encore, puisque le contact recherché n’a pu être établi, mais leur résolution est déjà prise: plutôt mourir que se rendre! Les élections doivent être annulées sans conditions, toutes les forces armées doivent quitter Ouvéa sans délai et la France doit s’engager à accorder l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie - pardon, à la Kanaky - sur-le-champ.
Le premier tour de l’élection présidentielle a tourné au désavantage du Premier ministre qui n’entrevoit plus qu’un miracle, dès lors, pour renverser la situation et l’emporter d’un souffle au second tour.
Ce miracle, précisément, pourrait venir - c’est du moins ce que lui assure son entourage - d’une libération spectaculaire des otages encore détenus.
Car la métropole retient son souffle, traumatisée par le drame qui se joue sur une partie du territoire national, à 22.000 kilomètres de distance.
A Matignon, l’ambiance est à l’exaspération. Exaspération de voir que la grande partie des otages n’a même pas pu être localisée après trois jours!
A distance, cela peut paraître extravagant, tout à fait inconcevable, et la hiérarchie de la gendarmerie a bien du mal à faire admettre à ceux qui tapent du poing sur l’acajou de leur bureau parisien que l’île d’Ouvéa, minuscule point sur la carte du globe, est d’une configuration tourmentée, recouverte d’une forêt tropicale dense, et qu’y localiser une poignée d’hommes, sans doute bien cachés, est assimilable à la recherche de la fameuse aiguille dans une meule de foin.
Le ministre Pons a établi ses quartiers dans un bureau du haussariat à Nouméa où, accompagné du général Norlain, chef de Cabinet militaire du Premier ministre, il passe ses journées dans l’attente d’une bonne nouvelle qui ne vient pas.
Le haussaire, lui, apparaît totalement dépassé par la situation. Un témoin irrévérencieux dira plus tard que chacune de ses interventions étaient ponctuée d’une sorte de beuglement sourd qui allait lui valoir, de la par t des militaires s’activant à ses côtés, le surnom de “la corne de brume”!
Après s’être longuement concerté avec son ministre des Armées, Jacques Chirac, a décidé de dépêcher des renforts en grand nombre vers la Nouvelle-Calédonie et Ouvéa.
Dans un premier temps, c’est un escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (E.P.I.G.N.) et un peloton du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (G.I.G.N.) qui prennent place dans un avion du Cotam.
L’élite des forces d’action de la gendarmerie, ces véritables supermen que nous envient le monde entier, vont donc entrer en scène!
L’Elysée en prend acte et profite de la circonstance pour imposer la présence d’hommes en qui il a toute confiance, à savoir le général de gendarmerie Jean Jérôme et le capitaine du G.I.G.N. Philippe Legorjus, deux protégés du super préfet Christian Prouteau, lui-même très en cour auprès du Président de la République, François Mitterand.
Ce dernier n’est sans doute pas mécontent, au fond de lui-même, de voir son Premier ministre placé dans une situation aussi délicate, à quelques jours du second tour de l’élection qui va les voir s’affronter.
Sur le terrain, la situation s’enlise. Cinq jours ont passés déjà, et si tout le monde a acquis la certitude que les otages et les ravisseurs se trouvaient à l’intérieur du quadrilatère délimité par les tribus de Weneki, Gossanah, Ognat, Ogne et Teouta, dans l’appendice nord-est de l’île, nul ne saurait dire précisément où.
La quête de renseignement continue de s’avérer totalement infructueuse et plus les gens de Matignon, relayés par Bernard Pons, s’impatientent, plus les malheureux officiers de gendarmerie qui ont reçu pour mission de dénouer la situation passent - le mot est de l’un d’entre eux - pour des imbéciles aux yeux de l’opinion publique qui trouve de plus en plus inacceptable “qu’on ne trouve rien”.
Face à cette situation d’échec, la décision extrême est prise par le gouvernement de retirer à la gendarmerie la conduite des opérations et de la confier à l’armée.
A cette heure, le général Jérôme et le capitaine Legorjus font route sur Nouméa dans un avion du Cotam.
C’est à l’escale de Papeete que le premier nommé apprendra que le premier rôle lui est retiré et que la responsabilité des opérations sur le terrain a été confiée au “Comsup” Vidal. Au milieu de la nuit du 24 au 25 avril celui-ci a en effet reçu du chef d’état-major des armées un message ainsi libellé:
“Le premier ministre a donné au bureau des haussaires des instructions devant vous conduire a exercer le commandement et la coordination des opérations d’Ouvéa. Le haussaire précisera votre mission. Vous lui demanderez de vous donner une délégation vous permettant de répercuter les décisions de l’autorité civile à Ouvéa (…) Vous demanderez à la gendarmerie de désigner l’officier qui recevra de vous ses instructions”.
C’est le lieutenant-colonel Benson qui va être choisi. Lui et le général Vidal ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble.
C’est ainsi que tous deux ont collaborés, quelques années plus tôt, aux Nouvelles-Hébrides, lors de la rébellion de Santo.
Ils se connaissent donc bien et s’apprécient mutuellement. Une situation d’exception vient d’être créée de fait.
L’armée investie d’une mission de police judiciaire en temps de paix: du jamais vu dans l’histoire de la République! Sitôt investi de ses nouveaux pouvoirs, le général Vidal part en “Puma” vers Ouvéa et, après un brève concertation avec ses adjoints, décide d’établir son Q.G. au cœur de la tribu de Gossanah, précisément à l’intérieur de l’école publique qui donne sur la place du village.
Les troupes qui l’appuient n’auront d’autres solution que de se réfugier dans “l’Ecole Populaire Kanak” où elles coucheront à même le sol. C’est donc vers cette minuscule agglomération que vont converger, au fil des heures, des renforts qui atteindront jusqu’à 650 hommes!
Sur place, tout continue d’être tenté, et notamment l'intimidation et l’appel à la raison des autorités coutumières. Mais rien d’y fait. Quant au ratissage, il relève carrément de l’utopie dans une contrée aussi fortement boisée. Aucun indice à terre, aucun indice depuis le ciel. Les heures continuent de s’égrener et la tension s’accroit à Gossanah où le service des transmissions a installé une antenne parabolique mobile au cœur de la tribu, ce qui permet au général Vidal de demeurer en contact permanent avec Nouméa et Paris.
Il s’en passerait d’ailleurs bien, lui qui a mieux à faire que d’écouter les états d’âme des uns et des autres. Mais aucun coup de force militaire ne saurait être tenté sans l’approbation du Président de la République, chef suprême des armées, et celui-ci, précisément, ne semble guère pressé de donner son aval à une opération de ce style. D’ailleurs, vers quelle cible dirigerait-on l’action?
Les fouilles minutieuses des tribus du nord n’ont rien donné, à l’image des interrogatoires que les militaires ne sauraient pousser au-delà d’un certain seuil, sous peine de passer pour des tortionnaires.
L’un des principaux suspects, le pasteur défroqué Djoubelly Wea, apparaît ainsi très sûr de son impunité et se moque ouvertement des militaires présents. Son influence sur la population de Gossanah est à l’évidence énorme et chacun est persuadé qu’il sait tout mais ne veut rien dire.
Le lieutenant-colonel Picard va pourtant tenter de l’amener à composition en revenant une nouvelle fois à la charge. Sa tentative va tourner à sa confusion.
Wea le laisse parler un moment puis il se lève et s’élance à l’extérieur de sa case en hurlant: “Vive la Kanaky! Vive l’indépendance! A bas les militaires français!”
Harcelés qu’ils sont jour et nuit par les politiques, ces militaires vont finalement se résoudre à isoler la tribu en l’encerclant.
Toute possibilité de communiquer avec les rebelles est ainsi retirée à ses habitants et, pour faire bon poids, les hommes sont assignés à résidence à l’intérieur de leur case.
Cette tactique va s’avérer payante car, au troisième jour du “siège” de Gossanah, quelques langues, bien timidement, commencent à se délier.
C’est ainsi que le général Vidal apprend que le camion de lutte contre l’incendie de la municipalité a été aperçu dans les parages et qu’il s’est enfoncé “quelque part” dans la forêt. Le renseignement est d’importance dans la mesure où il confirme aux militaires qu’ils sont bien là où il convient d’être. Cependant, nul n’a encore consenti à révéler où sont détenus les captifs.
C’est finalement au courage du lieutenant Destremau, un major de l’école de Saint-Cyr, que l’on devra de découvrir l’emplacement de la cachette, dans l’après-midi du 26 avril.
A force de persévérance, celui-ci va convaincre les autorités coutumières de la tribu, de lui donner une escorte pour le conduire sur place.
Sur place… Le terme est excessif dans la mesure où les coutumiers ont seulement promis de faire conduire leur interlocuteur “vers la zone où pourraient être détenus les otages”.
Le général Vidal donne immédiatement son accord pour que cette tentative ait lieu, tout en exigeant - et bien lui en prend - qu’une équipe du G.I.G.N. couvre discrètement la progression du lieutenant, à distance, pour le cas où les choses viendraient à mal tourner.
Destremau quitte donc la tribu de Gossanah et s’enfonce au cœur de la forêt, sur les pas de ses guides qui sont au nombre de trois. On progresse un peu à l’aveuglette, en écartant les branches et lianes pour se frayer un chemin à travers ‘l’enfer vert”.
C’est ainsi que les quatre hommes vont tomber nez à nez, brusquement, avec la sentinelle d’un poste avancé qui les met en joue. Très calme, Destremau tend le porte-voix dont il s’est muni à l’un de ses accompagnateurs et lui demande de parlementer avec les ravisseurs.
Leur but est d’obtenir leur reddition en douceur. Mais la réponse parvient très vite, sous forme d’un défi hurlé: “Notre position est inexpugnable, nous sommes retranchés dans une grotte sacrée qui nous rend invulnérables et, si vous tentez une quelconque action de force, les otages seront immédiatement exécutés”.
Pendant que se déroule cette conversation surréaliste au cœur de la forêt, Destremau a demandé à l’un de ses guides de faire demi-tour et d’aller mander les autorités coutumières de la tribu pour donner plus de solennité à la discussion qui s’est engagée.
Mais l'intercession des “anciens” se révélera inopérante et le lieutenant, qui a tout de même eu le temps de rendre compte de la situation au général Vidal au moyen de son poste radio portatif, est bientôt sommé de s’avancer vers la grotte où il est aussitôt dépouillé de son arme et menotté sans plus de façon, avant de rejoindre les autres otages.
Le coup est rude mais un point important à pourtant été marqué par les forces de l’ordre. On sait désormais, tout au moins avec une bonne approximation, où se situe la grotte dans laquelle se sont retranchés les ravisseurs avec leurs captifs.
Fort de ce premier acquis, le général Vidal réunit son état-major de campagne, en présence du substitut du procureur de la République, Jean Bianconi, arrivé la veille à Ouvéa pour contrôler la procédure dressée à l’encontre des ravisseurs.
Décision est prise d’envoyer le capitaine Legorjus, dès le lendemain matin, vers l’objectif que constitue la grotte afin de sonder la dispositif de l’adversaire. Au tout dernier moment, le substitut Bianconi surprend son entourage en demandant que l’autorisation lui soit donné d’accompagner Legorjus.
La présence d’un magistrat, argumente-t-il, ne pourra que rassurer Alphonse Dianou en lui prouvant que l’autorité judiciaire suit l’affaire de près et ne laissera pas les militaires faire “n’importe quoi”. Le général Vidal, tout en ne mésestimant pas le risque, se rend finalement à ses raisons.
La colonne s’ébranle donc à l’aube. Elle comprend le capitaine Legorjus, sans ses galons, le substitut Bianconi et six hommes du G.I.G.N. dont le capitaine Picon qui, trois années plus tôt, a dirigé l’opération au cours de laquelle Eloi Machoro a trouvé la mort près de la Foa.
Tous ensemble vont pénétrer à l’intérieur du dispositif adverse sans même s’en rendre compte, et c’est un miracle qu’aucun coup de feu n’ait été échangé car on découvrira plus tard que la progression s’était effectuée selon l’axe de tir de la mitrailleuse AA 52 dérobée à la gendarmerie de Fayaoué, pièce aussi essentielle que redoutable du dispositif de défense des ravisseurs.
Les sentinelles ont, bien entendu, donné l’alerte et, de part et d’autre, les index caressent nerveusement la détente des armes.
“Ne tirez pas! Ne tirez pas! Je suis le procureur de la République!” C’est Jean Bianconi qui a pris l’initiative courageuse de se porter en avant et de tendre une perche aux rebelles.
Il est immédiatement appréhendé, fouillé et conduit vers Alphonse Dianou. Legorjus et ses hommes n’en sont pas quittes pour autant.
Certes, ils leur restent la possibilité de tirer les premiers mais ils en sont vite dissuadés par un des meneurs qui leur crie de jeter bas les armes et de se rendre, sinon - éternel chantage - les otages seront exécutés.
Face à cette menace sans équivoque, ils décident d’obtempérer. En quelques instants, ils sont à leur tour neutralisés, menottés et conduits à l’intérieur d’un cratère à l’extrémité duquel s’ouvre une grotte au fond de laquelle ils vont retrouver le lieutenant Destremau, les “traîtres” de Gossanah qui viennent d’être passés à tabac et les seize otages de Fayaoué.
Alphonse Dianou connaît à cet instant une intense jubilation. Six membres du fameux G.I.G.N. faits comme des lapins sans qu’un coup de feu ait même été tiré!
Immédiatement transmise à Nouméa puis relayée sur Paris, la nouvelle va provoquer l’effet d’un coup de tonnerre. Le Premier ministre est au comble de la fureur et Bernard Pons éructe des insanités au téléphone, à qui veut l’entendre.
Ce soir-là, le malheureux général Vidal ne va pas parvenir à fermer l’œil de la nuit. Tous ses négociateurs sont tombés dans la souricière. Sa marge de manœuvre, désormais, apparaît infime. La situation peut être qualifiée, sans exagération, de catastrophique.
Autorités civiles et militaires vont dans un premier temps songer à demander la médiation des leaders du F.L.N.K.S., les mieux placés, a priori, pour nouer un dialogue constructif avec Alphonse Dianou. Mais l’espoir sera de courte durée.
Ces messieurs ont immédiatement réalisé qu’ils n’avaient rien à gagner en s’immisçant dans ce guêpier. L’affaire a pris de telles proportions qu’il leur semble plus judicieux d’adopter le profil bas, en un mot de se défiler.
On sait donc où se situe la grotte mais on ne sait encore rien de sa configuration, du dispositif de défense mis en place. Ce qui est sûr, par contre, c’est que les ravisseurs savent se servir des postes de radio qu’ils ont dérobés à Fayaoué puisqu’ils en font usage pour clamer bien haut leur détermination et leur fanatisme.
Alphonse Dianou va même se payer le luxe, le soir de la capture de Bianconi et Legorjus, d’appeler personnellement le général Vidal et de l’invectiver en ces termes: “Toi et tes hommes, on t’emm… Dégagez de la tribu! On ne veut plus voir la gueule d’un militaire dans l’île. La Kanaky, toi, avec tes étoiles, t’en a rien à foutre. Retourne donc chez toi, on t’a pas demandé de venir ici!”.
Finalement, pour catastrophique qu’elle ait pu paraître au départ, la capture de Legorjus, et Picon va se révéler déterminante, en ce sens qu’elle va permettre au général Vidal de dramatiser la situation et d’obtenir de Paris le “feu vert” pour mettre sur pied une action militaire, accord qu’il aurait sans doute eu les pires difficultés à obtenir si les nouveaux captifs n’avaient pas eu une pareille notoriété.
A l’intérieur de la grotte, Alphonse Dianou souffle le chaud et le froid. Tantôt il menace d’exterminer les otages si on ne lui désigne pas sur-le-champ le capitaine Picon, l’assassin d’Eloi Machoro, son héros, qu’il suspecte d’être au nombre des captifs.
Tantôt il se lance dans une diatribe passionnée d’où il ressort que le colonialisme français a détruit l’âme des Canaques, en les réduisant à la condition d’esclaves.
Et de prôner le retour à un mode de vie ancestral, strictement régi par la coutume, avec un minimum d’ouverture sur le monde extérieur, ce monde perverti par le matérialisme et la soif effrénée du gain.
Le substitut Bianconi ne craint pas de lui donner la réplique, de risquer quelques timides objections. Alors le discours s’enfle, prend des allures de sermon mystique.
La religion des Blancs est mis au rend des accusés, l’avenir doré qui attend la Kanaky libérée du joug impérialiste est décrit avec exaltation.
Alphonse Dianou veut que le monde entier sache que la libération du “peuple kanak” est imminente et il exige que le Président Mitterand en personne vienne signer l’indépendance ici, dans la grotte!
Il exige aussi, accessoirement, qu’une équipe de la télévision française vienne dans un premier temps filmer pour retransmettre son message urbi et orbi.
Si l’on ne se soumet pas à ses exigences, il tuera les otages et nul ne pourra rien contre lui dans cette grotte sacrée où l’esprit des ancêtres monte la garde, prêt à repousser toutes les balles.
Fin diplomate, Philippe Legorjus va être le premier à discerner un fond de désarroi dans ce discours irréaliste. Dianou a été trahi. Certains des siens, sur lesquels il pensait pouvoir compté en toute circonstance, ont révélé l’emplacement de la grotte. On vient par ailleurs de lui apprendre que les otages du Sud avaient été libérés par la simple vertu de la négociation, et cette nouvelle l’a plongé dans la consternation de même qu’il ne comprend pas que les dirigeants du F.L.N.K.S. se refusent apparemment à prendre le relais de son action, à exploiter politiquement son coup d’éclat. Que peut-il faire, lui tout seul, au fond de son trou, au cœur de la forêt, cible de l’armée d’une des nations les plus puissantes du monde?
Relayé par Jean Bianconi, Philippe Legorjus lui fait valoir que sa position est des plus inconfortables, qu’il n’arrivera à rien en demeurant terré ici, qu’il lui faut trouver des interlocuteurs et que pour ce faire, il a besoin d'intermédiaires.
Lui, Legorjus, précisément, se propose de transmettre ses conditions aux stratèges d’en face. Qu’il le laisse sortir à sa guise de la grotte et y revenir et, parole d’officier, il fera tout pour dénouer l’imbroglio. Dianou réfléchit un instant puis finit par consentir.
Libre de ses mouvements, le capitaine Legorjus regagne donc Gossanah à travers la forêt et se trouve en mesure, lui qui a soigneusement observé les lieux, de faire un premier comte-rendu de la situation au général Vidal.
Ce n’est guère réjouissant: les otages sont détenus à l’intérieur d’un cratère de forme grossièrement ellipsoïdale.
A l’extrémité Nord de son grand axe, qui peut mesurer dans les cent cinquante mètres, s’ouvre la gueule béante d’une grotte au fond de laquelle sont enfermés les captifs. Le cratère est transformé en véritable camp retranché et si bien protégé par la végétation qu’il faut pratiquement tomber dessus pour l’apercevoir.
Des postes de tir ont été disposés à sa périphérie, avec un art militaire consommé, et des sentinelles y montent la garde, 24 heures sur 24.
On se trouve par ailleurs en présence de gens farouchement déterminés, qui peuvent être rangés en trois catégories.
La première est constituée par les meneurs qui sont politisés à fond et que l’on pourrait comparer à des ayatollahs. Il s’agit des frères Dianou, Alphonse et Hilaire, exaltés au dernier degré, et de Venceslas Lavelloi que ses compagnons appellent “Rambo” et qui s’est glissé dans la peau du personnage.
Ce dernier manipule en permanence des armes et se plaît à mettre les otages en joue à tout propos. Les signes de son exaltation sont évidents et sa dureté apparaît sans limites.
Le second groupe compte une quinzaine d’individus que l’on peut considérer comme des militants actifs, bien entraînés et fanatisés.
Le troisième, enfin, donne beaucoup moins d'inquiétude. Il est constitué de “seconds couteaux” qui se contentent d’obéir aux ordres sans manifester d’états d’âme.
Et puis il y a les incontrôlables, qui vont et viennent autour de la grotte, ceux que les journalistes baptiseront plus tard les “porteurs de thé”.
Il s’agit maintenant pour le capitaine Legorjus de donner un gage de sa sincérité, de sa bonne volonté à Alphonse Dianou. Pas question pour les militaires, évidemment, de quitter l’île comme le réclame le chef des ravisseurs.
Gossanah en revanche… Le général Vidal, peu pressé de faire ce geste, pour le moins va s’y résoudre à contrecœur.
Il déplace donc son P.C. à Saint-Joseph, dont il fait par la même occasion une base opérationnelle. C’est donc avec la conscience parfaitement tranquille que le patron du G.I.G.N. reprend la chemin de la forêt pour retrouver Dianou à qui il est en mesure d’annoncer que Gossanah vient d’être évacué.
Et d’ajouter:” Si tu ne me crois pas, demande confirmation à tes ravitailleurs, ils te diront que j’ai tenu parole. Au fait, j’ai trouvé des interlocuteurs, grâce à mes relations. Tout devrait pouvoir s’arranger dès le moment que le sang n’a pas coulé dans cette partie de l’île. Ce n’est pas si grave que ça, après tout. Tu risques de t’en tirer avec quelques mois de prison, pas d’avantage. Réfléchis bien. Pour ma part, je ne saurais trop te conseiller de te rendre après avoir été filmé par les cameramen de la chaîne nationale de télévision qui sont en route”.
Dianou, dès lors, aura une relative confiance en Legorjus et le laissera faire des navettes entre la grotte et Saint-Joseph. Chacune de ces rotations est l’occasion d’ajouter un élément au descriptif de la grotte: “C’est impressionnant, une position quasi imprenable. Impossible d’en approcher discrètement. Si l’on y a carrément, nos hommes seront vite repérés et ce sera un bain de sang”.
Le soir du 30 avril, le lieutenant-colonel Benson est envoyé en mission à Nouméa pour expliquer la situation à un aréopage de hauts responsables, dont le haussaire Clément Bouhin, le commandant en chef de la gendarmerie territoriale, le colonel Allès, le général de gendarmerie Jérôme, le ministre Bernard Pons et le général Norlain.
Calmement, il va leur exposer les faits et leur redonner les caractéristiques de la redoute, en insistant sur la présence de l’arme automatique au débouché du sentier que les “porteurs de thé”, ainsi baptisés parce qu’ils assurent le ravitaillement des reclus des deux bords, empruntent pour s’en venir de Gossanah.
Tout autre forme d’accès s’avère problématique, voire impossible, tant la végétation est dense et l’objectif bien dissimulé. Différentes hypothèses d’école sont alors envisagées.
Les uns proposent de mélanger des substances narcotiques à la nourriture pour prolonger ravisseurs et otages dans un profond sommeil.
D’autres envisagent le largage au-dessus du cratère - encore faudrait-il que celui-ci soit visible du ciel - d’un “paquet-cadeau” (sic), constitué d’un mélange de grenades éblouissantes, pyrotechniques et lacrymogènes, pour “sonner” les agresseurs au moment de l’assaut.
Certains parlent de caméras thermiques qui permettraient de situer la grotte avec une parfaite exactitude. On évoque aussi le bruit que feraient inévitablement les troupes d’assaut lors de leur approche de l’objectif, en butant sur des racines, sur des aiguilles de corail ou sur des troncs d’arbres morts.
Bref, un beau galimatias dont il ne sort finalement rien de positif. Le lieutenant-colonel Benson regagne donc Ouvéa sans qu’aucune décision n’ait été prise.
Pendant ce temps, le capitaine Legorjus poursuit ses va-et-vient et se heurte à l’impatience grandissante d’Alphonse Dianou qui veut qu’on lui propose enfin des interlocuteurs valables, de préférence des hommes de son bord.
Mais, sans compter que le premier ministre n’est guère chaud pour donner la vedette au F.L.N.K.S., les ténors du mouvement se font toujours tirer l’oreille.
Jean Bianconi a bien pensé à Franck Wahuzue, une relation de longue date, mais ce dernier, aussitôt contacté par Legorjus, s’est plus ou moins dérobé. Il lui faut, argue-t-il, l’aval du bureau politique.
Or celui-ci a du mal à se rassembler… Bref, la situation est à ce point explosive que personne n’accepte de se compromettre. On s’achemine donc inéluctablement vers l’épreuve de force et, de fait, celle-ci ne va pas tarder à s’engager.
Pendant que les politiques jouent à la guerre en chambre, les militaires de métier, eux, n’ont pas perdu de temps.
Du matériel sophistiqué a été acheminé sur la Nouvelle-Calédonie: arme, munitions, grenades à effets spéciaux et même lance flammes qui pourraient servir à neutraliser la mitrailleuse et ses servants, la plus redoutée des armes aux mains des rebelles.
Parallèlement à cette montée en puissance de la logistique, le site des Pléiades du nord, un chapelet d’îles coralliennes, hautes, choisies en raison de leur éloignement, sert de cadre à un entraînement intensif des commandos qui ont à se familiariser avec un terrain bien particulier.
Des tirs à balles réelles y ont lieu, sans que l’on ait à craindre que leur écho soit perçu jusqu’a Gossanah. Philippe Legorjus, lui vient de se voir interdire par ses supérieurs hiérarchiques de retourner à la grotte et Alphonse Dianou se perd en conjectures quant à cette absence prolongée.
Jean Bianconi s’efforce de le rassurer en lui expliquant qu’il s’est sans doute rendu à Nouméa pour y trouver de nouveaux médiateurs, qu’il lui faut se montrer patient.
Puis, sautant sur l’occasion, il propose d’aller lui même aux nouvelles, promettant de revenir rapidement au bercail. Le précédent Legorjus est là pour montrer à Alphonse Dianou qu’il peut compter sur la parole des “Blancs”.
Ce dernier va une nouvelle fois consentir. Le substitut gagne donc Saint-Joseph, pas mécontent de se dégourdir les jambes, et confirme à son tour la situation des otages: “Dans l’ensemble ceux-ci endurent un véritable martyre psychologique. A force de s’entendre répéter par les uns et les autres qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir vivants, ils finissent par perdre espoir”.
Pour ce qui est de la capacité des rebelles à tenir, celui-ci la juge illimitée puisque les gens de la tribu de Gossanah continuent à les ravitailler avec régularité.
Une conclusion se dégage très vite de son exposé: il faut agir sans tarder si l’on veut préserver la vie des otages, car Alphonse Dianou ne tolérera guère plus longtemps qu’on le mène en bateau.
Le P.C. du général Vidal est désormais en liaison directe par fax avec la salle des opérations du ministère de la Défense à Paris. Le capitaine Legorjus, de son côté, est décidé à jouer la carte de l’Elysée, si bien que deux clans se sont formés, qui poursuivent des objectifs diamétralement opposés.
Le clan Elysée-Gendarmerie est partisan de temporiser, de rechercher à tout prix une solution négociée, tandis que le clan Matignon-Armée, convaincu que toutes les cartes de la démocratie ont été abattues, n’attend plus que le feu vert de la présidence pour passer à l’action.
L’ambiance à Saint-Joseph est celle des veillées d’armes.
Les renseignements qu’apporte Jean Bianconi font état d’une surexcitation grandissante d’Alphonse Dianou qui exige le retour du capitaine Legorjus et l’arrivée de l’équipe de télévision d’Antenne 2.
Courageusement, Bianconi va courir le risque de provoquer sa fureur en lui annonçant qu’il ne fallait plus compter sur le retour de Legorjus, retenu à Nouméa par décision de l’autorité militaire.
De plus, Alphonse Dianou se montre violemment contre la présence de Mgr Calvet, le nouvel émissaire que vient de proposer Jean Bianconi…
Bref, la situation est bloquée. Tout donne à penser qu’elle va dégénérer à très brève échéance.
La date de l’opération est bientôt fixée au 4 mai. Il a plus à verse durant toute la nuit et il continue à pleuvoir. L’autorisation a été demandée à Paris et, comme aucun contrordre n’est tombé sur le télécopieur dont dispose le général Vidal à Saint-Joseph, les éléments du groupe d’assaut ont commencé à se mettre en place.
Hélas, au moment où la colonne va s’ébranler, un message tombe comme un couperet: refus de la présidence, l’intervention doit être reportée à une date ultérieure. C’est la consternation parmi les hommes qui n’ont plus qu’à regagner Saint-Joseph.
Face à cette valse hésitation, le général Vidal décide de poser ses conditions. Le message qu’il expédie à Paris est très ferme: “Le risque d’un carnage dans la grotte, où la tension est à son comble, augmente d’heure en heure.
Si vous ne voulez pas prendre vos responsabilités, tant pis, vous aurez à répondre du massacre devant la nation”. Le premier ministre menaçant, quant à lui, de passer outre, l’Elysée consent finalement à annoncer… qu’il donnera son feu vert dans la soirée du 4 au 5 mai et que les forces d’assaut peuvent, d’ores et déjà, se préparer à passer à l’action.
A toutes fins utiles, une heure butoir a été fixée. Si aucun contrordre ne parvient avant cinq heures du matin, le 5 mai, rien ne pourra plus arrêter l’opération.
Les éléments de la force d’assaut se fondent aussitôt dans la nuit, et traverse maintenant la forêt vierge jusqu’à tomber sur la grotte.
Le point le plus délicat consiste à repérer celle-ci avec précision, ce qui ne peut se faire sans le concours de l’aviation. A cette fin, une double initiative a été prise.
La première a consisté à prévenir Alphonse Dianou que, le 5 au matin, il ne devrait pas s’étonner d’entendre des bruits d’hélicoptères au-dessus de la grotte, qu’il s’agirait de l’équipe de télévision chargée d’un premier tournage au-dessus du site…
La seconde a vu l’adoption d’un code au terme duquel le chef du commando - indicatif “Christophe”- émettrait un petit bruit métallique avec sa radio portative, à 5h45 précises, pour faire savoir qu’il était bien rendu sur ses bases d’assaut et que les hélicoptères pouvaient venir se positionner en vol stationnaire au-dessus de l’objectif.
De son côté, le capitaine Picon a été averti par Jean Bianconi que le passage des Pumas signifierait l’imminence de l’assaut et qu’il devrait regrouper les otages tout au fond de la grotte et les protéger… de son mieux.
A 6h15, le signal retentit et deux Pumas entament leur progression au ras du couvert végétal. Leur mission est de repérer la grotte, de larguer des fumigènes à la verticale de celle-ci pour guider les troupes d’assaut qui profiteront de cette diversion pour parcourir les derniers mètres qui les séparent de l’objectif.
Couverts par le vacarme des rotors, les hommes du groupe d’assaut s’élancent.
Mais la grotte n’est n’a pu être localisée d’en haut et les fumigènes font de ce fait défaut. Comble de malchance, l’escadron parachutiste de la gendarmerie, qui était chargé du balisage de l’itinéraire au cours de la nuit précédente, à l’exception des 300 derniers mètres, jugés trop dangereux, s’est trompé de cent mètres de latitude, si bien que les assaillants vont rater le cratère et donner l’éveil à ses défenseurs!
“Christophe”, le chef du commando, demande en conséquence au commandant Mauviot, qui pilote le Puma leader, de refaire un passage et de tout mettre en œuvre cette fois pour localiser la grotte.
Mais Alphonse Dianou ne croit déjà plus à l’arrivée des techniciens d’Antenne 2 et lorsque l’hélicoptère se positionne enfin à la bonne place, presqu’au ras des arbres, une balle tirée par l’un des ravisseurs vient traverser la carlingue et se loger dans la jambe du gendarme Lecren de l’E.P.I.G.N..
N’eût été cet obstacle… providentiel, le rotor qui se trouvait en plein sur la trajectoire du projectile aurait été atteint et l’appareil se serait écrasé au sol.
A partir de cet instant, tout va s’accélérer. L’objectif est enfin localisé et la première action consiste à neutraliser la mitrailleuse AA 52.
A cette fin, les deux sapeurs-parachutistes, prenant d’énormes risques en progressant à découvert, viennent positionner leur engin à 150 mètres de sa cible. Les servants de la mitrailleuse, trop occupés à arroser les assaillants qui surgissent de tous côtés, n’ont pas flairé le danger.
Par deux fois, l’interminable langue de feu atteint son but avec une précision diabolique. Depuis l’hélicoptère où ils suivent l’opération, “Victor” et “Chamois” vont apercevoir les deux traînées incandescentes à travers la voûte épaisse des arbres.
Privés d’oxygène, les deux mitrailleurs périssent instantanément par suffocation. Le plus dur est fait mais la résistance est encore acharnée de la part des tenants des autres postes de combat. Les hommes de Dianou vendent chèrement leur peau mais succombent les uns après les autres, fauchés par les tireurs d’élite.
Deux hommes du 11ème choc, l’adjudant Pedrazza et le soldat Veron, sont presque rendus à l’aplomb de la grotte. Ils ignorent que celle-ci comporte plusieurs orifices qui communiquent avec l’extérieur. C’est de là que vont partir les balles qui les faucheront à mort.
Plus chanceux, deux “mobiles” du G.I.G.N. ne seront que blessés au cours de l’assaut: le li