Dans le bureau du maire Luminous et Sieur Grind continue leur discussion sur la particularité et la singularité de la cité de Trapt. Au dehors les sombres nuages s’accumule à l’horizon offrant aux yeux des habitants un dégradé du blanc pur jusqu’au noir profond messager d’un orage puissant à venir. Une légère brise secoue les branches des arbres et rafraîchit un brin l’air chargé. Le vent vient de tomber et les nuages obscurs recouvrent à présent la ville, l’atmosphère est étrange : un silence s’est installé, plus rien ne bouge et on ne peut entendre nul son provenant de la cité. Un éclair vient déchirer les cieux parcourant le ciel et s’abattant sur la plus haute tour des usines dans un grondement puissant qui emplit l’air. Ses zébrures éclairent la scène alors que les briques chutent sous la force de la foudre. Ils paraissent se mouvoir au ralentis longeant dans leur effondrement la bâtisse pour venir s’écraser avec force sur le toit de l’usine. Certains traversent cette dernière et viennent s’écraser parmi les monstres de fer, tandis que d’autres roulent sur les tuiles et heurtent avec fracas les pavés de la rue voisine. Les éclats de l’orage illuminent par intermittence le bureau projetant les ombres des deux personnages sur le mur; on peut voir au travers de la grande vitre la tour mutilée et le toit éventré de l’usine.
“Vous savez ce n’est pas la première fois que la foudre cause de tels dommages à cette usine mais le propriétaire est un peu têtu et ne veut pas de cette récente invention : le paratonnerre. Il dit que si la foudre doit tomber alors elle tombera.” Cette simple phrase du maire brisa le silence qui s’était installé depuis le début de l’intempérie.
“Je lui ai conseillé plusieurs fois de l’installer utilisant l’exemple de ses confrères qui en avaient installé ; il ne voulut jamais m’écouter malgré un accident grave dut à ça. Quoiqu’il en soit son fils prend bientôt la charge de l’usine et il est moins obtus que son père. Je parle, je parle mais vous devez sûrement vous lasser, nous attendrons la fin de l’orage pour sortir.”
Luminous ne prête que peu attention aux paroles de Grind, il est fasciné par le ruissellement de l’eau sur les vitres et par la chute de la pluie. L’espace d’un instant il s’imagine être une simple goutte prenant naissance au sein d’un nuage et se gorgeant de l’humidité ambiante. Grossissant quand son repère survole une étendue aqueuse mais aussi témoin de la chute de ses comparses. Une fois l’heure venue elle quitte son domaine pour fondre vers la Terre muée par l’implacable gravité, elle contemple alors le sol qui se rapproche à une vitesse affolante pour finir par s’écraser sur les pavés de la cité. Les éclairs ne cessent de strier le ciel de leur lumière adoptant de temps en temps des formes étranges : replié sur eux-même, frappant d’un nuage à un autre ou encore au sein d’un même nuage. L’atmosphère électrique l’excite et des frissons de plaisirs lui parcourent l’échines lui arrachant un sourire satisfait.
L’instant d’après Luminous s’effondre sur le sol, pris de convulsion et incapable de s’exprimer. Il le sait, il a poussé ses limites trop loin, il n’aurait pas du garder ce corps vieillissant aussi longtemps. Il sait ce qu’il lui arrive : son corps d’emprunt meurt de l’intérieur, ses cellules se divisent de façon anarchique sans jamais mourir. Ses os se décalcifient devenant aussi fragiles qu’une brindille. Il ne peut échapper à ce mal qui le ronge, le cancer dévore son corps tout entier. Sieur Grind aperçoit du coin de l’oeil le corps de son invité chuté sur la moquette de la pièce, la tête cognant contre la surface molle et rebondissant une ultime fois avant de demeurer inerte au sol. Se précipitant auprès de lui, il demande aux gardes de la pièce d’aller chercher un médecin; malheureusement il sera peut-être mort avant que le médecin n’arrive et ce à cause de cette tradition insensée : comment expliquer qu’il y a un malade quand on ne peut parler. Les lèvres de son délicat invité bougent subtilement alors que leur propriétaire tente de parler une ultime fois. S’approchant de l’agonisant Grind tente de capter les derniers mots qu’il pourrait prononcer quand la main de ce dernier vient accrocher le dos de sa veste avec une force étonnante. En un instant les lèvres de Luminous sont plaquer sur celle de son hôte en un obscène simulacre de baiser. Grind tente de se dérober à cette étreinte tandis que la poigne de son nouvel agresseur se fait de plus en plus forte. Ce dernier lance toutes forces restantes dans une bataille suprême où le vainqueur seul repartira vivant.
Les deux visages s’éloignent l’un de l’autre et Grind se relève visiblement secoué par la tournure des événements. À ses pieds gît le corps de son ex invité : Luminous, son visage déformé et figé par la douleur et l’effort. Puisse ce dernier reposer en paix.
C’est à ce moment qu’arrivent les gardes accompagnés du médecin. Etonnant le Maire par leur rapidité presque suspecte. “Cet homme, mon invité, a fait un malaise et s’est écroulé devant et avant que vous n’arriviez et décédé. Je vous en prie fait ce que vous avez à faire je m’en vais prendre l’air”. Opinant le médecin se met alors à la besogne tandis que le Maire sort du bâtiment, le visage pale et fatigué. Il se dirige titubant vers le centre de la ville, autours de lui les gens ne prête pas attention à cet homme étrange qui fut leur Maire. Ils avancent en ligne tels des bovins à l’abattoir, attendant placides devant l’isoloir, attendant de faire leur devoir. Ceux qui en sortent rayonnent et arborent un sourire qui dit à qui le voit : “Je suis libre !”. Grind parcourt la ville observant le même schéma en de nombreux endroits de celle-ci. Il décide alors de pénétrer dans un de ses sanctuaires de la démocratie. Il observe alors durant le reste de la journée le rituel qui se répète pour chaque personnes : Elle entre dans l’isoloir, en ressort, dépose le bulletin qui vient grossir la pile de ses semblables, signe puis ressort le sourire aux lèvres. Un à un les voix chutent dans l’urne donnant poids à un candidat plutôt qu’à un autre. Rapidement la journée touche à sa fin.
Ça y est la dernière enveloppe passe la fente de l’urne et choit sur un pile de ses semblables. Dans quelques heures, son nom sera connu et la ville changera alors d’habit. Sieur Grind ou celui qu’il l’habite : Luminous regarde avec détachement la file des habitants qui s’éloignent du bâtiment ; ils ne parlent pas, n’échangent même pas un regard : la tradition est ainsi ils ne doivent pas influencer leur prochain et donc par extension ne doivent pas s’adresser la parole tant que les résultats ne seront pas connus. Quoiqu’il en soit il a fait son devoir il pourra bientôt quitter la ville.

tags :
publié le 05/06/2007 à 19:10 par
sp0ken