Là sur l’intérieur de la cuisse trône rougeoyant un simple vers : “Ô temps suspend ton vol.” Les lettres semblent danser sur la peau de cette femme figée dans l’instant, les couleurs de la pièce de mêlent en une grotesque imitation d’aurore boréale : le rouge flamboyant de la cuisse se marie avec le bleu fantomatique de la lune tandis que le vert phosphorescent du liquide donne au tout une dimension onirique et très détaché de ce monde. Au sein de ce jeu de lumière Séléné est transportée dans une collection d’un muséum d’histoire naturelle parcourant des rayonnages s’étirant sur des kilomètres où sont posés des milliers de flacon emplit de formol déformant la vue d’un corps déjà souvent déformé. Curiosités de la nature, déformation de naissance ou espèce exotique dans quelle catégorie est rangée cette femme. Est-elle le centre d’intérêt d’un savant déchu et rejeté se raccrochant à une chimère qui sera son salut et son billet de retour parmi les siens, tel le professeur Challenger. Elle s’attendrait presque trouver un autre “bocal” dans la pièce voisine. Sa vision commence à devenir flou et les murs de la pièce se mettent à tournoyer en un manège déroutant et déstabilisant. Son esprit s’embrume et ses pensée devienne disparate et, alors que ses muscles se relâchent, elle s’effondre sur le sol contemplant le vers pour dernière vision.
Elle s’éveille sur une table en métal pourvue de sangle liant ses membres à la froide matière, au-dessus d’elle une lampe l’éclaire ou pour précis trois lampes l’éclairent fortement sans pour autant que la lumière en soit trop violente. Elle ne voit que cette lampe comme décor, le reste de la pièce est plongé dans le noir et ne lui permet pas d’en distinguer les limites. Dans un grincement métallique une porte s’ouvre au loin, elle n’en aperçoit que le filet de lumière qui pénètre la pièce. Étrangement elle ne parvient pas plus à voir la pièce dans laquelle elle se trouve une fois la porte ouverte. Dans le même bruit sinistre la porte se referme et laisse place à un discret bruit de pas ainsi qu’à un petit couinement se rapprochant. Levant la tête autant que lui permet sa position Séléné observe l’arrivant : Une forme sombre que seuls les reflets de ses lunettes éclairent alors qu’elle s’approche elle distingue une blouse blanche comme celles que portent les médecins. L’inconnu est maintenant à cinq mètres d’elle et elle comprend enfin ce qui produit le petit couinement irritant : il pousse devant un petit plateau de chirurgien dont les roulettes en caoutchouc produisent ce bruit. Sur ce plateau divers instruments de chirurgie : scalpel, scie, écarteurs et fil à coudre.
La panique s’empare de Séléné et elle commence à se débattre violemment pour s’échapper de l’emprise de la table, tirant sur les sangles à s’en couper la circulation, s’arquant à la limite de se briser, rien n’y fait elle reste la prisonnière d’une plaque de métal froide et dangereuse. L’adrénaline coule désormais à flot dans ses veines et artères augmentant rythme cardiaque et pression artériel, la peur dilate ses paupières, ses pores déversent la sueur et ses muscles se tendent préparant à la fuite, et enfin ses sens s’affinent recevant des informations que jamais elle n’aurait imaginé. Elle contemple désormais la salle où elle se trouve : une pièce relativement petite dont elle et la table en sont le centre, en face d’elle à une dizaine de mètre se dresse la porte métallique d’où est sorti son bourreau, les murs sont carrelés de même que le sol donnant au lieu un aspect aseptisé et clinique. Si le visage de l’inconnu reste insondable son odeur en revanche est devenue une donné de plus dans l’esprit acculé de Séléné ; une odeur d’alcool et de talc se dégage de ses habits tandis qu’une discrète odeur d’eau de Cologne émane du personnage.
Son esprit a beau analyser et accumuler un nombre d’informations sur l’instant faramineux il n’en reste pas moins qu’elle est aussi libre qu’un loup à la patte pris dans un piège. L’inconnu est à présent penché au-dessus d’elle souriant et tenant entre ses doigts fins et parfaitement immobiles le scalpel. Pour la première fois elle sera de l’autre côté de la lame. À l’instant où elle pénètre sa chair son esprit débordé par les signaux de douleur se court-circuite la plongeant dans une inconscience bienvenue mais loin d’être calme et agréable. Les cris de sa chair mutilée traversent les brumes de son inconscience pour venir la torturer fuyant infatigablement ces derniers elle s’enfonce dans les replis de son inconscience là où siège l’héritage de l’évolution : le centre reptilien. Elle y est à l’abris mais y perd le peu d’humanité qui lui restait, rapidement ne reste plus qu’une bête apeurée et terriblement seule.
Lorsqu’elle émerge de l’inconscience ses yeux sont aveugles quelques temps avant que ceux-ci ne s’habitue à la vision qu’ils transmettent. Une vision doublement troublée : par le liquide phosphorescent dans lequel elle baigne. Une liquide légèrement chaud qui s’insinue en elle, la pénétrant contre sa volonté, emplissant ses poumons sans qu’elle ne s’étouffe. Puis déformée par le verre retenant le liquide : elle est dans un bocal ! Au-delà de tout cela l’inconnu qui a déchiré ses chairs l’observe un sourire satisfait illuminant son visage. Encore plus loin elle semble voir une étagère contenant des rayonnages de bocaux, paniquée Séléné tourne la tête avec le peu de force qui lui reste et contemple à sa droite un autre bocal contenant une forme : un foetus vraisemblablement humain que les facéties de la nature ont pourvu de deux têtes : une regardant vers elle et l’autre dans la direction opposée. Elle voudrait crier mais le liquide qui l’emplit l’en empêche : il ne sort de son cri de désespoir qu’un gargouillis et un filet de bulle s’élevant vers la surface ; elle est prisonnière d’un bocal ! Son esprit défaille à cette pensé et à l’idée qu’elle n’est plus que l’égale d’un cornichon ou d’une confiture.
Le bruit de la tuyauterie : l’eau ou tout autre liquide coulant le long des tubes de cuivres créant ce glouglou qui tire Séléné de son cauchemar, elle s’éveille dans sa chambre un lieu si récent mais à la vue si réconfortante : elle ne sera pas l’égal d’un cornichon le restant de sa vie. Le rai de lumière qui perce par la fenêtre la renseigne sur la période de la journée : la matinée est déjà bien avancée. Elle s’habille maladroitement encore dans les vapeurs de sa nuit et se dirige vers la cuisine s’interrogeant sur le moment où son cauchemar à débuté : Etait-ce à partir du moment où elle a quitté sa chambre ou bien dès l’instant où elle s’est réveillée sanglée sur une table d’opération.
C’est l’esprit embrumé qu’elle pénètre dans la cuisine : Henry, Cyrus et John y sont en train de déjeuner. S’excusant gauchement elle prend place à la table en face de son hôte. Cyrus prend alors la parole : “J’espère que vous allez bien, je dois avouer que vous nous avez inquiété. Je vous ai retrouvé gisant dans le bureau de mon père inconsciente. Par ailleurs que faisiez-vous en ces lieux ? Seriez-vous somnambule ? Mon père ainsi que moi-même n’apprécions que peu les intrusions dans notre vie privée.”
“C’est à dire que… c’est assez dur à expliquer..”
“Arggggggggggggggggggh” le cri que poussa John ne pouvait provenir d’un être humain, une impression qui fut confirmé quand Séléné se retrouva face aux yeux révulsés et aux convulsion de l’adolescent.

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posted the 05/20/2007 at 11:28 PM by
sp0ken