Ça y est la dernière enveloppe passe la fente de l’urne et choit sur un pile de ses semblables. Dans quelques heures, son nom sera connu et la ville changera alors d’habit. Luminous regarde avec détachement la file des habitants qui s’éloignent du bâtiment ; ils ne parlent pas, n’échangent même pas un regard : la tradition est ainsi ils ne doivent pas influencer leur prochain et donc par extension ne doivent pas s’adresser la parole tant que les résultats ne seront pas connus. Quoiqu’il en soit il a fait son devoir il pourra bientôt quitter la ville.
Le chaos des rails berce le calmement, ses paupières s’abaissent alors que le sommeil s’empare de lui. Ce sommeil qu’il évite depuis plusieurs jours déjà mais son corps trop humain à son goût lui rappelle avec humilité les limites de l’esprit face à la volonté d’un corps. Tandis qu’il sombre dans le royaume de Morphée les souvenirs des dernières heures s’imposent à lui : Courant après une ombre qui venait de le sauver, il la rattrape dans la cathédrale de fer où elle lui glisse en les doigts s'échappant par les rails. Une fois la frustration passée il se renseigna tout simplement au guichet où la gentillesse et la volonté de servir de l’agent fut des plus utiles. Oui la “demoiselle mystérieuse aux long cheveux d’argent” a bien pris un ticket ici, il s’en souvient bien puisqu’il s’agit du trajet le plus long à partir de cette gare. Malheureusement ce trajet n’est fait qu’une fois par mois. Lorsqu’il entend ces mots venant du guichetier le découragement s’abat sur Luminous : Un mois, comment pourra t-il la rattraper après ça ? Heureusement pour lui le zèle de son interlocuteur est grand : Il peut faire le même trajet en plusieurs fois mais il devra se débrouiller pour rallier certaines gares. Ce n’est qu’un détail pour lui en revanche le trajet à effectuer n’en est pas un : lorsque l’homme lui tend après quinze minutes de rédaction une feuille entièrement recouverte d’instruction il ne peut s’empêcher de laisser échapper un sifflement. Eh bien il va avoir du chemin à faire pour la retrouver, on pourrait presque le croire à la poursuite d’un amour. Tss quelle idée répugnante !
Le flot de parole du guichetier se transforme en un “Tac-tac” régulier et, tandis qu’il émerge de son rêve, il comprend qu’il s’agit du bruit du train passant sur les rails. La porte du wagon s’ouvre dans un chuintement discret laissant passer un contrôleur qui… contrôle les billets des passagers : “Ticket s’il vous plaît… merci; Ticket s’il vous plaît… merci” Il donne l’impression de n’être qu’un automate dont l’unique fonction et de parcourir les trains à la recherche d’un resquilleur. Alors qu’il arrive à son niveau Luminous remarque une fine ligne délimitant la base du cou de la tête. Non, il doit encore être dans son rêve. Et c’est dans un état semi comateux qu’il tend son billet à l’automate, ‘...Merci.” Il demande l’heure à un voisin temporaire : encore quelques heures de trajet. Il peut se rendormir paisiblement.
Le sifflement aigu du train et le grincement strident des freins le tire une fois encore de son sommeil. Il est arrivé à la première étape de son long voyage : Trapt, une petite ville légèrement industrialisée mais dont on sent le passé rurale. De grands champs bordent le récent chemin de fer et la gare semble être un ancien entrepôt à provision reconverti. L’atmosphère de la ville est fébrile presque palpable comme si un événement rare et important allait se dérouler. Peu de passager quittent le train avec lui ils doivent être une demi douzaine à peine, les traits fatigués mais exprimant une joie de revenir au pays. Il semblerait qu’il soit le seul étranger ici-bas, cela ne le dérange pas le moins du monde il y est habitué depuis longtemps. En sortant de la gare une chose le frappe immédiatement : il n’y a aucun bruit, la ville est silencieuse. Il ne l’avait pas remarqué auparavant à cause du bruit constant du train, mais s’il n’y avait pas ces dizaines de personnes déambulants dans les rues il aurait pris ce lieux pour une ville fantôme. Dans le même esprit les cheminées des usines restent muettes, aucun panache de fumée ne semble vouloir s’en échapper. Alpaguant un passant à proximité Luminous s’enquiert de la situation. Ce dernier ne daigne même pas lui adressé un regard et poursuit son chemin comme si de rien n’était. A y regarder de plus près il remarque aussi que personne ne se regarde ou ne s’adresse la parole.
“Je vois que vous êtes étranger à Trapt.” La voix retentit derrière lui, elle provient d’un homme de haute stature à l’aspect propre et étudié. Il porte une redingote sobre mais luxueuse ainsi qu’un petit chapeau noir. Sa main gauche s’appuie sur le délicat pommeau gravé de sa canne représentant un cobra, elle est délicate mais forte dans son maintien. Son visage confirme l’impression : les traits y sont délicats mais le regard est ferme sans être agressif. Il s’agit sûrement d’un homme de pouvoir ou d’influence.
- Je me présente Sieur Grind actuel Maire de cette ville.
- Luminous, voyageur. Dites-moi est-ce qu’une épidémie a privé les habitants de la politesse et de la parole ?
- Hahaha ! Non, non rassurez-vous vous pouvez rester dans cette ville sans crainte, tout cela n’est que temporaire mais venez chez moi je vous expliquerai. Et puis vous m’avez l’air un peu perdu.
- Vous êtes soit très gentil, soit naïf d’inviter un inconnu chez vous.
- Oh non ni l’un ni l’autre, en tant que Maire j’ai quelques privilèges dont une gardes personnelles.
Son nouveau compagnon le conduit à travers la ville jusqu’à un haut bâtiment qui doit être la Mairie, décorée aux couleurs de la ville elle se détache de son environnement rouge brique et noir suie. Grind le conduit dans un petit salon où Luminous ne manque de remarquer la présence de trois gardes. “Asseyez-vous je vais vous expliquer ce qui se trame dans notre chère cité.”
“Sa fondation remonte à plus de six cents ans quant le bras-droit d’un seigneur local : Leighton décida de faire scission et d’aller voir plus loin si l’herbe était meilleure. Après plusieurs jours de voyage il trouva ce lieu et conquit par la beauté du soleil se couchant entre les collines le bordant il s’y installa. Du moins c’est ce que raconte le conte pour enfant sur cette ville mais passons. Très vite une communauté hétéroclite se forma et créa la ville de Trapt, le point commun des habitants était la fuite d’un pouvoir trop autoritaire voire dictatorial. Ainsi il fut rapidement décidé que Trapt serait à l’image de l’antique Athène : démocratique. De plus Leighton se désintéressant des femmes, ce qui lui valut de nombreuses rumeurs sur ses penchants, il n’aurait vraisemblablement pas d’héritier. C’est ainsi qu’un an après la création officiel de la ville un charte fut adoptée à l’unanimité. Elle décrivait le microcosme de la ville et donc, la succession du pouvoir : le Maire y est élu au suffrage universel à deux tours et ce, pour cinq ans cumulable deux fois seulement. Pouvait votés les hommes de plus de 14 ans et les veuves dirigeant une famille.
Les premières élections eurent lieux quatre ans plus tard et furent un fiasco absolu. D’après les textes qu’ils nous restent, il semblerait qu’il n’y ait eu que deux candidats et que chaque partisans de l’un essayaient par tous les moyens de convaincre les partisans du second de les rejoindre, jusqu’à aller à la menace physique. Cette aberration donna naissance à une encore plus grosse : pour empêcher quiconque d’influencer son prochain le mois du vote il serait interdit aux habitants de s’adresser la parole. C’est ainsi que depuis six-cents ans tout les cinq ans pendant un mois la cité se transforme en ville fantôme. Et nous sommes aujourd’hui le jour du vote du second tour.”
- Maintenant que j’y pense je ne me rappelle pas avoir une seule personne vous adresser un signe de politesse tout au long de notre trajet, est-ce un des effets de la période de vote ?”
- Non, vous avez affaire à un effet secondaire : le Maire en activité est progressivement éclipsé par les candidats jusqu’à être oublié par la masse. Ainsi demain je ne serais plus qu’un nom parmi tant d’autre sur le registre administratif.

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posted the 05/06/2007 at 06:15 PM by
sp0ken
Quant à la taille je pense qu'il est loin d'être qualifiable de roman.