Quand Séléné ouvre les yeux la lumière qui s'étale lascivement dans la pièce traversant les rideaux donne au lieu une atmosphère diffuse et agréable. Elle se lève et se dirige vers la penderie sans même jeter un coup d'oeil sur la forme allongée à ses côtés, encore une fois elle ne se souvient que vaguement de la soirée de la veille. Tout ce dont elle se rappelle est une sensation de moiteur agréable et de contacts charnels, mais qu'importe Il est là et a exprimé Ses désirs. Aujourd'hui à nouveau elle devra lui obéir et agir contre son gré qui, depuis quelque temps déjà, ne cesse d'être bafoué en même temps que sa dignité. Par pure politesse elle écrit sur un papier qui traîne un mot pour son amant d'une nuit, du moins l'espère t-elle.
La journée s'annonce froide et grise, donc des plus désagréable mais qu'importe elle doit le faire, Séléné s'habille rapidement en conséquence et dévale quatre à quatre les marches de l'escalier. Sous ses pas pressés l'escalier en bois accuse le poids des années et grince en émettant un gémissement de douleur qui restera vain et ignoré. Dehors la neige commence déjà à fondre pour ne laisser qu'une boue grisâtre qui s'accorde parfaitement avec l'ambiance de la ville. Les habitants dans un soucis de mimétisme et d'intégration reflètent sur leur visage cette atmosphère : ils sont maussades, renfrognés et distants. Quel changement impressionnant ! Dire que la veille tous souriaient et riaient, heureusement d'autres fêtes arrivent bientôt. Elle se dirige alors vers le centre-ville et sans qu'elle ne sache pourquoi décide d'emprunter les petites rues transversales évitant ainsi les grands boulevards où s'entassent et se pressent les foules. En ces lieux reculés point de belle vitrine ou de proposition pour goûter du vin chaud, non faites place à la misère avec son cortège de mendiant, de vrai/faux orphelins et de pickpocket en tout genre.
A place des échoppes richement décorées trônent des gargotes lugubres où le patron pourrait être le fils caché de Jack l'éventreur et de Bloody Mary. Étrangement Séléné s'y sent à sa place et ce bien qu'un sentiment de peur se soit niché au fond d'elle. Soudainement résonne : J'ai à faire. Ne pense pas un instant que tu pourrais t'enfuir ! Et pour la première fois depuis des mois elle est seule, le bonheur et la surprise l'enivre. Elle danse et rigole au beau milieu de la rue prenant les passants par la main pour une danse spontanée et exaltée. Alors qu'elle court dans les ruelles criant au ciel son bonheur, des bruits provenant d'une porte entrouverte l'intrigue et l'attire. La porte donne sur un escalier de pierre où l'usure du temps et les milliers de semelle on contribué à lisser tous les angles. Elle descend une à une les marches manquant à plusieurs reprises de glisser et de se fendre le bassin. Du bas de l'escalier émane une douce lueur enveloppée d'une mélopée étrange, toujours aussi intriguée elle continue sa descente vers la lumière.
Séléné se retrouve sur un balcon donnant une vue imprenable sur une immense salle souterraine. Celle-ci est éclairée par des lustres suspendus au plafond, en bas des dalles noires et blanches s'alternent pour former un maillage noir et blanc ressemblant étrangement à un plateau de jeu. Aux deux extrémités de la salle un balcon semblable à celui où elle se tient. En bas un jeu se déroule sous ses yeux : sur le plateau évoluent trente-deux personnes affublées d'une tunique sur laquelle est peinte ce qui semble être des symboles. Une couronne, une tour, un cavalier et d'autres pictogrammes qu'elle n'arrive pas à identifier Ainsi elle avait vu juste : la salle est bien un plateau de jeu, d'échec pour être précis. Fascinée par la partie en cours en contrebas, elle reste captivée et essaye de comprendre à quel niveau se situe la partie : viennent-ils de commencer ou bien un des deux joueurs est proche du coup final.
Après quelques minutes elle en arrive à la conclusion que la partie en est à sa moitié : plusieurs pièces ont disparu des deux côtés mais aucune pièce majeure ne semble en danger. Par ailleurs il semblerait que le déplacement des pièces est commandée par la reine de chaque camp, ainsi cette dernière lance une série d'instruction typique des parties d'échec. La reine noire est une jeune femme qui lui ressemble étrangement avec comme elle de long cheveux argentés lui tombant en cascade sur les épaules, à l'opposé la reine blanche est une femme plus âgée dont le visage entouré par de court cheveux noirs de jais rappelle toutes les épreuves qu'elle a vécu auparavant. Puis survient l'horreur ! Alors qu'un pion blanc se fait prendre, la reine blanche prononce la sanction : le cavalier noir qui vient d'effectuer le coup gagnant, un robuste homme entre deux âges, a le droit de disposer du pion comme il le désire. Ce dernier étant incarné par une jeune femme ce qui arrive découle de la nature même de l'homme. Le cavalier s'approche du pion en ôtant sa tunique exhibant un sexe fièrement dressé contre son ventre, il la fait s'allonger à même les dalles et introduit son sexe en elle même pour commencer sa vile besogne. Incapable de détourner son regard ou de bouger Séléné reste prostrée face à cette scène surréaliste quand retentit en elle : Je t'ai manqué ? Forcément quand je ne suis plus là tu te retrouves dans les lieux les plus glauque et représentatif de la folie humaine. On part !
Alors qu'elle se retourne pour quitter les lieux, la reine blanche tourne la tête et la regarde arborant un sourire singulier et inquiétant. Quittant cette sinistre et morbide mascarade au pas de course Séléné est de nouveau déconnectée de la réalité ne réalisant plus ce qui lui arrive.
Durant les minutes qui suivent le retour à une condition de soumission les larmes coulent le long de ses joues rougies par le froid tandis qu'elle se remémore les trop courts instants de liberté dont elle a joui quelques instants auparavant. Les ruelles qu'elle parcourt n'ont plus aucune saveur et ne lui donne plus cette sensation si particulière qu'elle avait tant apprécié, tout est redevenu insignifiant et terne. A travers le filtre de la douleur et des larmes elle se rend compte qu'elle fait maintenant face à un imposant bâtiment qui la surplombe de son vénérable âge. Gravissant une à une les marches du perron elle pénètre dans une salle où la première chose qu'elle contemple est le tableau d'un ange la jaugeant du regard, quelle ironie ! D'après le plan situé à l'entrée chaque salle possède une thématique particulière : Biblique,Egypte , Renaissance etc. Mais une attire plus particulièrement son regard: celle sur le thème des échecs. Décidément ! Le destin s'acharne et prend un malin plaisir à se jouer d'elle. Se dirigeant alors vers celle-ci elle traverse des champs de statue, des murs emplis de tableau et des fresques monumentales. Dans la salle un tableau l'intrigue, sur celui-ci l'artiste a peint un cavalier sous forme de pièce pris dans la tourmente composé de soldat, de paysan, de pièce de l'échiquier et de symbole qu'elle ne parvient pas à définir.
Absorbée par la contemplation de ce tableau elle ne remarque pas cette femme qui la dévisage : une femme âgée aux courts cheveux noirs. Lorsqu'elle se retourne sentant le regard inquisiteur dans son dos elle ne contemple que le mur d'en face, une femme entre deux âges pénètre dans la pièce vêtue d'un simple chemisier et d'une jupe assortie. John Keats !Le cri résonne au fond de son esprit. Les larmes commencent à couler alors qu'elle commence à suivre la victime à travers les salles. Finalement cette dernière s'arrête dans une grand pièce circulaire où trône au centre la statue d'un ange. La plaque aux pieds de celle-ci indique L'ange de la mort., il est éclairé par de nombreux projecteurs rehaussant ainsi la majesté de cette sculpture. Séléné s'approche de la femme qui soudainement se retourne, la dévisage attentivement et s'allonge dans les bras de la statue.
Cette scène elle l'a vécu des dizaines de fois mais jamais elle ne pourra s'y préparer et encore moins l'accepter ; elle s'approche doucement de la femme qui tremble de peur mais ne peut bouger. Elle sort cette fine lame tant détestée, passe celle-ci sur le chemisier arrachant les boutons et écartant les deux pans tandis que de l'autre mains elle relève la jupe. La lame descend sur les cuisses et entreprend sa mortelle graphie.
Plusieurs minutes ont passé et Séléné est agenouillée en pleurs devant l'ange ; la lame entre les mains, rouge du sang de sa victime. A ses pieds le sang et les larmes se mêle dans une odeur saline devenue trop habituelle pour elle.

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posted the 01/13/2007 at 04:19 PM by
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