En transportant les mécanismes de base du GTA-like dans les couloirs d'un internat américain, le dernier Rockstar rajeunit une formule à l'efficacité déjà largement prouvée. Et propose, au passage, un regard sans concession sur les années collège / lycée.
On l'avouera volontiers : c'est le scandale ayant suivi l'annonce de Bully (renommé depuis en un plus politiquement correct Canis Canem Edit pour l'Europe) qui avait, en grande partie, initialement piqué notre intérêt. Un très bref synopsis diffusé en mai 2005, mentionnant vaguement le sujet du harcèlement à l'école, avait en effet provoqué la colère prématurée de diverses associations, une saga sur laquelle nous étions revenus en août dernier. La controverse sera relayée (alimentée ?) par les médias jusqu'à la dernière minute ; on parlera d'ultimes tentatives d'interdiction, de revendeurs anglais refusant de stocker le titre, et même des tendances bisexuelles du héros. Bref, une affaire un peu ridicule, mais qui aura montré une chose : la mauvaise publicité reste de la publicité. Et un bon moyen de faire sortir un nouveau GTA-like du lot à peu de frais.
Car pour Canis, l'équipe de Rockstar n'a fait que reprendre les mécanismes de base du genre qu'elle a créé en 2001, avec la sortie de Grand Theft Auto III sur Playstation 2. Le parcours du personnage principal, un gamin au bon fond mais un peu teigneux fraîchement débarqué à l'internat Bullworth, apparaît donc immédiatement familier : découverte d'un espace gigantesque et vivant, missions pour faire avancer une campagne principale, multiples sous-missions et quêtes annexes, secrets et objets à collectionner, évolution graduelle des capacités, etc. La différence capitale, cependant, se situe dans le choix du sujet. Loin des histoires mafieuses et du ghetto habituels que mettent en scène Scarface, le Parrain ou Saint's Row, Canis, lui, plonge le joueur en pleine highschool américaine avec ses profs, ses pom-pom girls creuses, ses pions sadiques et son couvre-feu. Il ne s'agit plus d'assassiner les membres d'un gang adverse ou de livrer des valises suspectes mais de sortir une copine, de livrer des journaux façon Paperboy ou de faire valoir la richesse de son vocabulaire durant les épreuves de français. Rockstar s'appuie, de plus, sur la rigidité du cadre scolaire pour imposer un set de contraintes nouvelles, à priori en complète contradiction avec la philosophie hyper-libre du GTA-like. Les journées commencent ainsi invariablement à huit heures et se terminent, au plus tard, à deux heures du matin, Jimmy tombant de sommeil s'il ne peut trouver un lit à temps. Entre les deux, il y a les classes du matin et de l'après-midi, qu'il est possible de sécher à condition d'éviter les patrouilles de surveillants et de policiers dont sont parsemés les niveaux. Malgré tout, cet emploi du temps inattendu donne une coloration et un rythme inédits au titre, comme si Grand Theft Auto télescopait Shenmue ou les Sims.
Si l'on considère Canis une réussite, donc, c'est avant tout pour cette double variation (thématique et ludique) qu'il offre sur le genre, rajeunissant – littéralement ! – une formule à l'efficacité déjà largement prouvée. Mais on aime également le titre pour ce regard sans concession qu'il jette sur son sujet. En transportant les mécanismes de base du GTA-like dans les dortoirs et les salles de classe, Canis présente en effet les années collège / lycée, voire l'adolescence en général, comme un microcosme complexe et brutal pas si éloigné de celui qui agite les rues de San Andreas. Derrière la caricature et la satire évidentes, on retrouve ainsi les boules puantes et les bastons, les souffre-douleurs et les frictions avec les figures autoritaires, tout un système de castes et de clans dans lequel le joueur / étudiant cherche sa place et lutte, parfois violemment, pour acquérir un statut. Un constat qui ne devrait pas étonner grand-monde, même si l'on comprend mieux pourquoi il affole les gardiens américains de la morale, au moment où certaines écoles des états du Wyoming et de Washington interdisent désormais les parties de chat ou de foot, jugées trop dangereuses, dans les cours de récré.
overgame.