IV) DEMOCRATISATION
Les années 90 vont propulser le
Beat Them All à ses heures de gloire. Avec le succès grandissant de l’arcade et la multiplication des bornes même au sein des plus petits cafés, le genre devient rapidement synonyme de fun à outrance, et surtout de défouloir convivial à plusieurs. Les bornes s’équipent de deux joysticks permettant à deux joueurs de progresser à la fois, certaines ont même quatre joysticks et deux écrans côté à côté. C’est l’euphorie, la possibilité de mettre ses initiales dans la machine en cas de high score pousse les joueurs à se ruer sur celle-ci pour un peu de reconnaissance dans ce microcosme naissant. Les premières réputations se forment, des duels et même des tournois. La course aux points est effrénée, et le joueur lambda apprend beaucoup en regardant ses homologues plus expérimentés progresser. Profitant des bugs de collision, des imperfections de collisions boxes, de diverses techniques et autres secrets, les vrais hardcore gamers dissèquent l’architecture du jeu de bout en bout, en révélant les forces et les faiblesses.
Les scénarios sont simplistes et souvent ridicule, mais cette absence avouée de prétexte à un massacre général fait aussi le charme du
Beat Them All.
Du point de vue technique également, le genre évolue. D’abord cantonné à une simple progression sur une ligne droite avec
Kung-Fu Master, il prend ses aises et se fait en profondeur voir sur plusieurs niveaux (
Altered Beast,
Shinobi).
Le célèbre Altered Beast, un des premiers Beat Them All à scrolling horizontal automatique qui se joue sur plusieurs niveaux
Nombreux softs seront salués par la critique et trouvent encore aujourd’hui une place de choix dans le cœur des gamers. La série des
Final Fight et des
Double Dragon resteront sans aucun doute comme une référence, suivies de softs plus originaux dans le style graphique ou dans le gameplay comme le nerveux
Altered Beast, le délire
Captain Commando, le médiéval
Dungeons And Dragons ou encore le kitsch
Cadillac And Dinosaurs.
Final Fight et Captain Commando, le clash du sérieux et du délire
Le mythique Double Dragon, le classique Dungeons And Dragons
Cadillacs And Dinosaurs, un Beat Them All rythmé et entraînant incroyablement fun
Rythmés de musiques entraînantes aux sonorités qui restent dans la tête pendant des heures, les thèmes sont encore d’actualité de nos jours et il n’est pas rare d’en entendre un remix dans un jeu de la même firme en clin d’œil. Et cela va en s’améliorant avec l’avancée technologique, permettant de varier les thèmes et les effets sonores entendus.
L’arrivée de consoles plus performantes qui permettent réellement de jouer chez soi comme dans une salle d’arcade participe grandement à la démocratisation d’un loisir jusqu’alors réservé aux connaisseurs. La
Neo-Geo en est le meilleur exemple. Bien qu’étant une console relativement chère à l’époque car techniquement en avance pour son époque, elle donne les premières esquisses du jeu d’arcade à la maison. Des hits comme
Burning Fight ou la mythique saga des
Metal Slug rendent le support incontournable, propulsant cette console au rang de « must have ». Tellement bien que bons nombres de firmes ont jeté leur dévolu sur cette bête au fort potentiel, comme « SNK » par exemple.
Le troisième épisode de la célèbre saga des Metal Slug, Burning Fight clairement plus classique
Aujourd’hui encore le
Beat Them All traditionnel persiste avec la refonte graphique de certains jeux comme le fait « Sega » avec sa série des
Sega Ages. En effet, la firme propose par exemple une « nouvelle » version de
Dynamite Deka ou encore de
Golden Axe sur
PlayStation 2, tout en profitant pleinement des capacités sonores, graphiques et de gameplay auxquelles elle n’avait pas accès auparavant sur des supports de moindre puissance. A noter également la présence de tentatives ratées d’adaptation d’anciens
Beat Them All sur un support plus récent qu’à l’époque, comme récemment les très mauvais
Altered Beast ou
Final Fight Streetwise, tous deux sur
PlayStation 2.
Malgré tout, le genre était voué à l’essoufflement. Et pourtant, le
Beat Them All continue à faire battre le cœur de nombreux joueurs. Par quel prodige ?
V)VERS UN MELANGE DES STYLES
1995, sortie de la
PlayStation et du premier jeu de combat entièrement en 3D,
Tekken. Cette course à la beauté graphique influencera bien évidemment tous les styles de jeu, et le
Beat Them All n’y échappera pas. S’adaptant à cette nouvelle dimension supplémentaire, le genre a rapidement su se modeler pour perdurer.
Là où le
Beat Them All a réussi à perdurer là où d’autres styles se sont enlisés, c’est dans leur gameplay. Il est rare de nos jours de retrouver un
Beat Them All « traditionnel » en nouvelle sortie console, avec ce classique scrolling horizontal dépourvu d’un réel intérêt scénaristique. Plus de compteur de temps, le joueur lambda s’est lassé de foncer dans le tas sous prétexte d’une fille à sauver ou d’un gang à démanteler.
Fort de son statut de média à part entière, le jeu vidéo se doit de proposer un scénario et de palier à la lassitude installée par un genre pourtant simpliste.
L’ambiance est dorénavant une donnée à part entière, de même que le scénario qui se doit désormais d’être complexe et de proposer nombres de challenges et de rebondissements afin d’impliquer le joueur de manière plus approfondie. Le joueur doit vivre à travers son personnage, vivre ses aventures à ses côtés et non plus d’un œil extérieur. Cette notion d’identification passe donc par le choix d’un personnage charismatique et souvent surpuissant en lequel chacun se retrouve. Afin de toucher une cible la plus large possible, les héros sont tour à tour provocateur, héros malgré lui, ou encore looser sur lequel repose le sort du monde.
Aujourd’hui le
Beat Them All est souvent complémentaire à un autre style de jeu, y ajoutant quelques notions. Ce mélange donne souvent des œuvres détonantes d’originalité, l’alchimie fonctionne dans la mesure où le style a sut s’adapter au joueur qui aime prendre son temps.
A l’époque de la
MegaDrive, « Sega » avait déjà perçu cette nécessité de renouveler le genre en y implantant des éléments récurrents du jeu de
plates formes. Ainsi naquit
Comix Zone,
Beat Them All incroyablement fun mettant en scène un dessinateur de comics aspiré dans sa propre création.
Le style est tout simplement génial pour l’époque, les graphismes donnent bien cette impression d’être au cœur d’une BD, notamment grâce à cette évolution dans le jeu qui se fait en passant de case en case à l’intérieur d’une page. Mais ce qui faisait aussi la force de
Comix Zone, c’était l’interactivité. Il était ainsi possible de projeter un adversaire contre le rebord ou le plafond d’une case, la déchirant par la même, permettant après au joueur de s’y rendre. Tout simplement jouissif et bluffant, le tout agrémenté d’effets visuels qui accompagnent les coups tels que « WAK », « KBAM », etc…
Restant longtemps dans la mémoire des joueurs de l’époque, ce soft original mêlait habilement gameplay nerveux issu du monde du
Beat Them All et sauts millimétrés chers au domaine du jeu de
plates formes.
Comix Zone est une réussite et lance une mode de manière prématurée le mélange des styles. Un exemple qui sera suivi de nombreuses autres tentatives, jusqu’à complètement imposer cette géniale alchimie qui permettra au
Beat Them All de reprendre ses lettres de noblesse.
Un des précurseurs du mélange Beat Them All/Platformes, Comix Zone
Ainsi « SquareSoft » innove en lançant
The Bouncer sur
PlayStation 2, un soft qui mélange habilement
Beat Them All et quelques notions de
RPG comme l’utilisation d’objets, la montée en expérience du joueur ainsi que le déblocage de nouvelles capacités spéciales. Malheureusement le jeu est mou et le scénario plus qu’inintéressant, ce qui laisse un goût amer aux joueurs pourtant attirés par ce mélange de styles. Malgré ce bide retentissant, l’initiative est saluée par la critique.
The Bouncer est un mauvais jeu, mais un jeu qui a le mérite d’être original.
Première tentative (ratée ?) de mélange Beat Them All/RPG, The Bouncer
La firme « Capcom » aura beaucoup d’influence dans ce mélange de genres. Avec sa série des
Onimusha, elle lance une mode des
Beat Them All saupoudré de notions de jeu d’
aventure, tendant parfois même vers le
RPG.
De ce fait, dès son premier opus de la série avec
Onimusha Warlords sur
PlayStation 2, il devient possible au joueur d’équiper son personnage d’armes et de protections différentes, d’utiliser diverses potions aux effets variés, et même de monter de niveau son équipement par un habile jeu de gameplay.
Ce mélange détonnant ne cesse d’aller en s’améliorant dans les opus suivant
Onimusha 2 : Samurai’s Destiny et
Onimusha 3 – Demon Siege, avant que la firme ne décide de se réaxer davantage sur son premier amour en proposant un ultime
Onimusha 4 : Dawn Of Dreams qui renoue dans le gameplay avec le
Beat Them All plus traditionnel.
La série des Onimusha, une saga qui a sut brillamment se modeler pour pallier à l’impression de répétition
Toujours à l’affût de nouvelles sensations de jeu, « Capcom » se penche sur l’exemple de l’excellent
Comix Zone de l’époque pour sortir à son tour avec le grandiose
Viewtiful Joe un
Beat Them All mêlant action effrénée, éléments récurrents du jeu de
plates formes et diverses notions de
RPG. Profitant du Cell-Shading revenu à la mode grâce à
The Legend Of Zelda : The Wind Waker qui a véritablement lancé la
Nintendo GameCube, la firme donne un style particulier à son bébé, paraissant de prime abord dépouillé mais pourtant diablement complexe et travaillé.
Piochant dans les clichés des séries « sentaï » des années 80 et dans son expérience dans le domaine du jeu vidéo, « Capcom » nous sort une véritable bombe unanimement saluée par la critique. Il faut dire que
Viewtiful Joe dispose de tous les atouts pour en faire une référence. Un style particulier et agréable à l’œil, une animation sans faille sur laquelle se repose un gameplay ravageur, un humour aiguisé et un côté kitsch qui ne pouvait que séduire les gamers par son côté second degré. Joe est un héros malgré lui qui compte bien profiter de ses quelques instants de gloire, Joe est proche de nous et décrit comme quelqu’un de banal, la phase d’identification personnage/joueur fait son effet.
Ajoutez à ça la possibilité de débloquer de nouvelles techniques toutes plus délirantes et dévastatrices les unes que les autres, un scénario délirant et des personnages charismatiques, une bande son adaptée et unique en son genre et vous obtenez un
Beat Them All comme les joueurs de l’époque n’osaient plus en espérer : un jeu incroyablement fun et jouissif, agressif et nerveux et pourtant subtil dans l’approche que le joueur doit consacrer à la moindre difficulté. Certes il est possible de progresser en fonçant dans le tas, mais le joueur passera à côté de moults secrets, subtilités, clin d’œils et techniques inédites, et par la même de ce qui contribue au charme de cette perle du style.
Un des exemples les plus concrets du mélange réussi des styles, Viewtiful Joe
Ce désormais courant mélange de styles peut aller jusqu’à créer le trouble dans l’esprit des joueurs, qui auront alors de plus en plus de mal à « cataloguer » un jeu donné. Prenons l’exemple de
The Revenge Of Shinobi sur
MegaDrive.
The Revenge Of Shinobi, Beat Them All ou jeu de plates-formes ?
A première vue il s’agirait d’un jeu de
plates formes, mais l’on voit de suite que quelques éléments récurrents du
Beat Them All y sont disséminés. Comment « classer » ce jeu ? A quelle catégorie appartient-il alors ? Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, à vrai dire le trouble est encore plus pointu lors du mélange
Beat Them All/
Versus Fighting.
Urban Reign sur
PlayStation 2 est sûrement l’exemple le plus récent et le plus marquant. Le joueur y incarne un personnage qui doit en découdre avec des bandes rivales, ce grâce à une panoplie de coups divers et variés assez éloignés du
Beat Them All. Les combos sont légions, les choppes, les counters et autres parades.
Un Beat Them All aux allures de VS Fighting, Urban Reign
Et pourtant, même si
Urban Reign ressemble davantage à un
Versus Fighting dans la forme, il faut avouer que dans le fond les notions du
Beat Them All sont conservées. A savoir la possibilité de se servir d’éléments du décors pour se battre (prendre appui sur un mur par exemple) ou encore l’utilisation d’armes disposées à même le sol, mais surtout cette vague d’ennemis à abattre avant que le couperet du compteur ne fasse son œuvre.
Un mélange de style encore une fois détonnant, qui peut lasser à la longue par son côté répétitif entrecoupé de bribes de scénarios qui révèle au final un rythme inégal de jeu.
Cette forte tendance à mélanger le
Beat Them All et le
Versus Fighting est de plus en plus évidente de nos jours. Des licences comme
Onimusha et
Viewtiful Joe ont vu une adaptation sous forme de
Versus Fighting.
Viewtiful Joe : Red Hot Rumble, un Smash Bros.-like aux allures de Versus Fighting, Onimusha Blade Warriors, opus en Versus Fighting très fidèle à la série originale
La limite entre les deux styles est donc devenue floue, et il n’est pas rare qu’ils soient habilement mixés. Ainsi Guy et Cody de la série des
Final Fight se retrouvent tous deux dans
Street Fighter Alpha 3, Clark et Ralk issus des
King Of Fighters’ feront leurs chemins dans le prochain
Metal Slug et il est devenu courant dans la série des
Tekken de proposer aux joueurs un mode de jeu qui s’apparente clairement à du
Beat Them All depuis le troisième opus de la série.
Un mélange des styles qui donne parfois de bonnes surprises, ici le désormais célèbre mode « Tekken Force » implanté dans la série depuis le troisième opus
Prochaine et dernière partie du dossier, le passage du 2 players au single et l’exploitation des licences.